samedi 7 octobre 2023

Quand l'évangile est à la bagarre (Matthieu 21,33-43 + quelques lignes aux Philippiens)

 

Matthieu 21

33 «Écoutez une autre parabole. Il y avait un propriétaire qui planta une vigne, l'entoura d'une clôture, y creusa un pressoir et bâtit une tour; puis il la donna en fermage à des vignerons et partit en voyage.

 34 Quand le temps des fruits approcha, il envoya ses serviteurs aux vignerons pour recevoir les fruits qui lui revenaient.

 35 Mais les vignerons saisirent ces serviteurs; l'un, ils le rouèrent de coups; un autre, ils le tuèrent; un autre, ils le lapidèrent.

 36 Il envoya encore d'autres serviteurs, plus nombreux que les premiers; ils les traitèrent de même.

 37 Finalement, il leur envoya son fils, en se disant: ‹Ils respecteront mon fils.›

 38 Mais les vignerons, voyant le fils, se dirent entre eux: ‹C'est l'héritier. Venez! Tuons-le et emparons-nous de l'héritage.›

 39 Ils se saisirent de lui, le jetèrent hors de la vigne et le tuèrent.

 40 Eh bien! lorsque viendra le maître de la vigne, que fera-t-il à ces vignerons-là?»

 41 Ils lui répondirent: «Il fera périr misérablement ces misérables, et il donnera la vigne en fermage à d'autres vignerons, qui lui remettront les fruits en temps voulu.»

 42 Jésus leur dit: «N'avez-vous jamais lu dans les Écritures: La pierre qu'ont rejetée les bâtisseurs, c'est elle qui est devenue la pierre angulaire; c'est là l'oeuvre du Seigneur: Quelle merveille à nos yeux.

 43 Aussi je vous le déclare: le Royaume de Dieu vous sera enlevé, et il sera donné à un peuple qui en produira les fruits.

 44 Celui qui tombera sur cette pierre sera brisé, et celui sur qui elle tombera, elle l'écrasera.»

 45 En entendant ses paraboles, les grands prêtres et les Pharisiens comprirent que c'était d'eux qu'il parlait.

 46 Ils cherchaient à l'arrêter, mais ils eurent peur des foules, car elles le tenaient pour un prophète.

 

Philippiens 4

6 Ne soyez inquiets de rien, mais, en toute occasion, par la prière et la supplication accompagnées d'action de grâce, faites connaître vos demandes à Dieu.

 7 Et la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence, gardera vos coeurs et vos pensées en Jésus Christ.

 8 Au reste, frères, tout ce qu'il y a de vrai, tout ce qui est noble, juste, pur, digne d'être aimé, d'être honoré, ce qui s'appelle vertu, ce qui mérite l'éloge, tout cela, portez-le à votre actif.

 9 Ce que vous avez appris, reçu, entendu de moi, observé en moi, tout cela, mettez-le en pratique. Et le Dieu de la paix sera avec vous.


Prédication : 

          Que votre douceur soit connue de tous les hommes, écrit Paul aux Philippiens. C'est-à-dire votre tolérance, votre douceur, votre souplesse… bien des mots en vérité pour tâcher d’en rendre un seul, et pour rendre compte d’une certaine aptitude dans la vie communautaire, faire bon accueil à autrui, et lui laisser de la place dans la conversation, la douceur, est une certaine manière de restreindre l’espace qu’on occupe pour pouvoir offrir de l’espace à celui qui vient. Nous pouvons par exemple penser à Abraham, lorsque trois hommes vinrent le trouver au lieu dit les chênes de Mambré (Genèse 18). Nous pouvons aussi penser que Paul rencontra à Philippes des gens – disons juste des gens, très principalement d’anciens païens, très fraternels… Mais des nuages noirs s’amoncelèrent, et Paul dût partir. Et il écrivit… Aux Philippiens… « Aucune de ses lettres […] n’est à ce point familière et cordiale » (introduction à l’épître aux Philippiens dans la TOB ), lettre qui, en plus, comporte en son texte des pièces capitales en même temps pour parler de Jésus Christ et pour parler de la vie fraternelle en Jésus Christ, liturgie et éthique. Il a dû faire bon vivre et croire à Philippes pendant un certain temps…

            Et après… les choses se sont gâtées, au sein de la communauté, peut-être, entre la communauté et le reste de la ville, une partie du reste de la ville. Était-ce un reste païen de la ville qui ne supportait pas la présence et l’enseignement de Paul, qui ne supportait pas ces gens, ceux que Paul avait enseignés, cette communauté douce et accueillante ? Supposons que notre hypothèse soit un peu bonne, les choses là se seraient passées à Philippes parce que d’aucuns ne supportaient pas l’indulgence et la douceur… et ils auraient fomenté quelques troubles… fait menacer Paul… qu’il aurait exfiltrer pour sauver sa vie, et son ministère.           Pourquoi des gens de Philippes auront-ils fait cela ?

            Nous allons méditer cette question, pas certain que nous trouvions la réponse, nous essayons.

 

            La semaine dernière, nous méditions une parabole qui rapportait que de deux fils envoyés par leur père travailler à la vigne, l’un dit j’y vais et n’y alla pas, l’autre dit je n’y vais pas et y alla. Ça n’est pas une petite affaire d’obéissance à papa. La vigne, celle dont parle cette parabole, c’est un bien millénaire, inaliénable, un bien sacré, et je vais même dire que c’est un bien théologique. Même le roi ne peut disposer de la vigne d’un tout petit de ses sujets. Souvenez-vous de l’épisode de la vigne de Naboth d’Izréel que le roi Akhab fit assassiner, et souvenez-nous de la violence de la punition qui s’abattît… le prophète de service était Elie. On ne parle pas de vigne lorsqu’on parle de vigne, mais de l’histoire de Dieu et de son peuple, et on parle dans une perspective un peu individuelle. Autant avec le temple c’est plutôt au collectif qu’on s’adresse, autant avec la vigne c’est plutôt à la seconde personne du singulier que les choses se jouent. Qu’as-tu fait de ta vigne ? C’est qu’as-tu fait de ton Dieu ? Qu’as-tu – aussi – fait de ton frère, ou encore de ton prochain ? Et ce ne sont pas des questions polies et aimables. Ce sont des vies humaines qui sont engagées là.

            Jésus est dans le temple. Il discute, il polémique avec les autorités locales. Objet de la polémique : autorité. Qui t’a donné autorité ? Qui des deux frère a ou aura autorité sur la vigne ? Celui dont la volonté a pu élaborer le refus et le repentir. Ce qui doit déjà pas mal agacer les Hauts Dignitaires. Et enfin, parabole, la parabole des assassins, parabole des usurpateurs… et il n’est pas possible que ces gens n’aient pas exactement compris à quel point ils étaient visés par Jésus. C’est d’ailleurs si précis et si ajusté que ça n’est pas vraiment une parabole, c’est plutôt une simple allégorie.

            Mais bon, Matthieu nous propose le mot parabole. Et c’est une affaire de vigne, de fermage, et de vignerons dont la cupidité sera dans limites. C'est-à-dire une affaire de temple, d’enseignement du temple, et de Dieu dans laquelle les dignitaires du temple se montrent, se sont montrés et se montreront d’une cupidité sans limites. Bien sûr, l’évangile tâche de parler de Jésus du temps de son ministère public, mais il est aussi un document du temps où Matthieu a écrit. Et, manifestement les relations dans les deux époques n’ont pas été cordiales entre le temple et le messie et ça n’est pas peu dire, il y a eu des cadavres et nous le savons, un certain Etienne (Actes 6) premier d’une longue liste. A moins que le tout premier de la liste n’ait été Jésus de Nazareth, que les foules tenaient pour un prophète. Vivre et parler en prophète a toujours été dangereux…

            Et nous revenons à cette question que nous avons déjà effleurée ce matin, et aussi la semaine dernière : « Pourquoi ? » Pourquoi tant de tension, pourquoi tant de méfiance et tant de haine à l’encontre de Jésus ? Pourquoi son enseignement suscite-t-il émerveillement du côté des foules, et fureur du côté des Dignitaires ? Côté des Dignitaires, il leur balance qu’une certaine pierre va leur tomber dessus et les écrabouiller (image qu’ils comprennent évidemment), il leur balance aussi que le Royaume de Dieu va leur être enlevé et sera donné à un autre peuple (ils comprennent parfaitement aussi), quant à la vigne, c’est clair aussi. Le tout assené publiquement… ils ne vont pas recevoir ça dans la joie ! Le peuple peut-être si. Mais pourquoi le propos de Jésus doit-il être si violent ?

            Probablement parce que la résistance qu’il rencontrait dans le Temple appelait des propos très forts, compréhensibles par tous ceux qui étaient présents. Et ce prophétisme, avec les paraboles, dans sa version énervée, était certainement le seul langage disponible. C’est extrêmement bien vu : Jésus peut parler, tout le monde écoute, foule et dignitaires, et personne n’ose l’interrompre, la foule est suspendue à ses lèvres, et les dignitaires ont la frousse. La parole est là, disant ce qui doit être dit, accomplissant ce qui doit être accompli.

 

            Alors voilà, parole de Jésus. Et si l’on veut atteler à cette parole le beau mot évangile, cela nous ajoute à l’évangile des propos d’une certaine violence… Écoutez une bonne nouvelle : celui sur lequel tombera, elle l’écrabouillera. Propos énervé, qui doit tenir aux circonstances de la rédaction de l’évangile – de Marc – avec emprunts postérieurs de Matthieu et de Luc. Le ton guerrier de cet évangile se poursuit encore dans Matthieu jusqu’au chapitre 25. Un ton nécessaire ?

            Lorsque vous vivez sans pouvoir vivre ouvertement votre foi, lorsque pour l’avoir professée vous risquez la prison, ou pire, il est peut-être normal que le langage de la foi, au moins votre langage intérieur, ait une certaine dureté. N’est pas Martin Luther King qui veut. Et pour notre part, Vincennes, 8 octobre 2023, nous sommes libres de nous taire et de parler. Grâce en soit rendue à Dieu.