samedi 28 octobre 2023

La trentième thèse de Luther, et plus encore (Matthieu 22 34-40)

Matthieu 22

34 Apprenant qu'il avait fermé la bouche aux Sadducéens, les Pharisiens se réunirent.

 35 Et l'un d'eux, un légiste, lui demanda pour lui tendre un piège:

 36 «Maître, quel est le grand commandement dans la Loi?»

 37 Jésus lui déclara: «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée.

 38 C'est là le grand, le premier commandement.

 39 Un second est aussi important: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

 40 De ces deux commandements dépendent toute la Loi et les Prophètes.»

Prédication

            Nous sommes aujourd’hui le dimanche qui est le plus proche du 31 octobre et c’est donc, par tradition, dimanche – ou culte – ou fête – de la Réformation ; certains célèbrent cette fête exactement le 31, c'est-à-dire mardi prochain…

            Le 31 octobre 1517 c’est la date d’affichage d’un document signé Luther, affichage qui est le commencement de grands chamboulements dans le Saint Empire Romain Germanique, puis plus tard dans tout le reste de l’Europe, dont la France… Commencement de la Réforme donc, avec énormément de beaux déploiements d’intelligence et de foi, et avec de terribles déploiements de violence.

            Alors que fête-t-on ? Difficile de dire qu’on fête des déploiements de violence. Mieux vaudrait dire qu’on les commémore. Mais un déploiement d’intelligence comme celui des 95 thèses, on peut le fêter… ça n’est pas si fréquemment qu’un être humain soulève à lui tout seul les problèmes intellectuels et religieux les plus aigus de son temps de son temps et qu’il suggère en plus des réponses non seulement pertinentes, mais aussi durables, durable suffisamment pour traverser les siècles.

            Ce qui mérite vraiment d’être fêté : l’instant et le temps. L’instant et le temps c’est le sens de la fête. Se conjuguent deux grandeurs étrangères l’une à l’autre et de cette conjugaison viennent la parole et la vie…

            Nous reviendrons un peu plus tard sur la date du 31 octobre et sur l’une des thèses, la 30ème.

 

            Mais auparavant, apprenant [que Jésus] avait réduit au silence les Sadducéens (champions du rituel), les Pharisiens se réunirent (champions de la Loi)… Tout le début ne pose aucun problème particulier, cet épisode est bien connu, il est l’avant-dernier épisode de cette longue série que nous explorons depuis plusieurs semaines.

            « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée – c’est là le grand et premier commandement – mais un second est de même nature : tu aimeras ton prochain comme toi-même. Dans ces deux commandements, est suspendue toute la Loi et les Prophètes. »

            Deux mots sont particulièrement importants dans ces versets, le mot nature et le petit mot de rien du tout mais.

            Nature. Les commandements ont une nature. Il y a quelque chose qui fait qu’ils sont ce qu’ils sont, à savoir qu’ils sont d’abord là, présents, offerts, et possiblement saisis par un auditeur, ou lecteur. Le commandement est présent dans le langage, et il attend d’être saisi. Mais n’allons pas trop vite. Entre sa présence et son saisissement, le commandement qui attend son saisissement est présent avec une puissance de sollicitation, puissance qui peut être considérée comme sa nature. Le commandement appelle, en somme, Il a en lui une forte puissance de sollicitation. « Toi, prends-moi ! » La nature du commandement, c’est sa puissance de sollicitation.

            Nous avons ici deux commandements qui sont déclarés d’égale nature par Jésus, le commandement d’aimer Dieu, et le commandement d’aimer le prochain. L’un et l’autre ont même puissance de sollicitation et conduisent à la même tâche ceux qui s’emparent de l’un, ou de l’autre, ou les deux… Mais on n’a pas le choix entre eux. Saisir le commandement, c’est se laisser saisir par lui. Et qui dit une seule nature pour deux commandement dit aussi une seule forme concrète du déploiement pratique des deux impératifs.

            Et cela paraît simple – à la fin cela paraîtra simple – pourtant il y a un mais. Retour au texte ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu (…) grand et premier commandement mais un second est de même nature, (…) amour du prochain. C’est le mais qui nous intéresse maintenant, un mais qui vient souligner que c’est parfois au détriment de l’amour concret du prochain qu’on se réclame d’un amour de Dieu – ce qui a dû être bien avéré au temps où Jésus vivait, au temps aussi où Matthieu rédigeait. Un amour du prochain totalement laissé de côté par ceux à qui la religion avait réussi, et pour lesquels la définition du prochain n’excédait pas – presque pas – celle de la famille et du clan. Enlisés dirons-nous dans l’amour de Dieu, dans l’amour d’un amour de Dieu. Et auxquels Jésus adressera une inoubliable série de malédictions « Soyez maudits… »

            Pour finir, le premier qui vient en premier (Dieu) ne peut pas oublier le second (le prochain), qui vient en second, parce que les deux sont de même nature. Mais si d’aventure on l’oublie ? Si l’attelage des commandements est rompu ?

            Lorsque l’attelage des commandements est rompu, c’est le temps des massacres qui commence au nom d’une prétendue dévotion, aux cris d’une prétendue invocation. On se joue de Dieu, on joue à être Dieu, on joue sa prétendue fureur. Mais ces prétendues dévotions, invocations etc. fabriquent de vrais cadavres. Et lorsqu’on joue avec ces choses-là, ce sont toujours les plus faibles qui trinquent.

            Mais (encore un mais) en face de la possibilité du chaos, il y a deux commandements, une seule nature pour deux commandements, une seule tâche humaine pour que l’un et l’autre puissent vivre avec un peu – beaucoup – d’harmonie. Et en espérant que la source fraternelle et théologique qui jaillit de quelques versets de Matthieu 22 ne tarisse jamais. Il s’agit bien de Dieu lui-même et de l’homme lui-même, dont l’homme porte la responsabilité.

 

            Revenons un peu à Martin Luther, 31 octobre 1517, et à une thèse, la 30ème. Au temps de Martin, l’homme vivait sous la menace d’un purgatoire très semblable à l’enfer. Pour se libérer de la menace de ce purgatoire, certains moyens existaient, plus ou moins chers, dont l’indulgence. Mais il y avait aussi du gratuit, dont la contrition, regretter le péché. Une parfaite contrition entraine une totale rémission… c’était une doctrine, et sans doute pas la plus prêchée. Mais Martin la connaissait et il en savait long sur la nature humaine. Martin était aussi un homme extrêmement angoissé… Ce qui lui a permis d’écrire ceci : thèse 30. « Nul n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l'être de l'entière rémission. » Si bien que l’angoisse demeure. Alors, d’où le secours pourra-t-il venir ? Il n’y a de possibilité d’apaisement que du côté de la grâce, d’un apaisement ou peut-être seulement d’un moment de suspension ; pourvu que la grâce demeure ; et pourvu que ceux qui en parlent restent actif ; car c’est une responsabilité humaine, mais pas seulement. Le langage, la Parole, demeurent toujours prêts à produire un événement de sens. Pourvu que tout cela, toutes ces bonnes nouvelles ne soient pas figées, et pourvu que les instruments d’étude de la Bible restent toujours affutés, la Bible, et les grands textes reçus, comme par exemple les 95 thèses théologiques sur la puissance des indulgences, Martin Luther, 31 octobre 1517

            Et je vous donne un petit instrument de ma boîte personnelle. Martin Luther thèse 30. « Nul n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l'être de l'entière rémission. » Et donc l’angoisse toujours demeure. Mais  je réplique avec une thèse 30 bis « Nul n’est certain de la vérité de la thèse 30 »

            En Dieu la joie est donc possible. Et mieux, avec ce que nous avons médité, en Dieu la joie est promise.