Matthieu 22
34 Apprenant qu'il avait fermé la bouche aux
Sadducéens, les Pharisiens se réunirent.
35 Et l'un d'eux, un légiste, lui
demanda pour lui tendre un piège:
36 «Maître, quel est le grand
commandement dans la Loi?»
37 Jésus lui déclara: «Tu aimeras
le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée.
38 C'est là le grand, le premier
commandement.
39 Un second est aussi important:
Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
40 De ces deux commandements
dépendent toute la Loi et les Prophètes.»
Nous sommes aujourd’hui le dimanche qui est le plus
proche du 31 octobre et c’est donc, par tradition, dimanche – ou culte – ou
fête – de la Réformation ; certains célèbrent cette fête exactement le 31,
c'est-à-dire mardi prochain…
Le 31 octobre 1517 c’est la date d’affichage d’un
document signé Luther, affichage qui est le commencement de grands chamboulements
dans le Saint Empire Romain Germanique, puis plus tard dans tout le reste de
l’Europe, dont la France… Commencement de la Réforme donc, avec énormément de
beaux déploiements d’intelligence et de foi, et avec de terribles déploiements
de violence.
Alors que fête-t-on ? Difficile de dire qu’on fête
des déploiements de violence. Mieux vaudrait dire qu’on les commémore. Mais un
déploiement d’intelligence comme celui des 95 thèses, on peut le fêter… ça
n’est pas si fréquemment qu’un être humain soulève à lui tout seul les
problèmes intellectuels et religieux les plus aigus de son temps de son temps
et qu’il suggère en plus des réponses non seulement pertinentes, mais aussi
durables, durable suffisamment pour traverser les siècles.
Ce qui mérite vraiment d’être fêté : l’instant et le
temps. L’instant et le temps c’est le sens de la fête. Se conjuguent deux
grandeurs étrangères l’une à l’autre et de cette conjugaison viennent la parole
et la vie…
Nous reviendrons un peu plus tard sur la date du 31
octobre et sur l’une des thèses, la 30ème.
Mais auparavant, apprenant [que Jésus] avait réduit au
silence les Sadducéens (champions du rituel), les Pharisiens se réunirent
(champions de la Loi)… Tout le début ne pose aucun problème particulier, cet
épisode est bien connu, il est l’avant-dernier épisode de cette longue série
que nous explorons depuis plusieurs semaines.
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,
de toute ton âme et de toute ta pensée – c’est là le grand et premier
commandement – mais un second est de même nature : tu aimeras ton prochain
comme toi-même. Dans ces deux commandements, est suspendue toute la Loi et les
Prophètes. »
Deux mots sont particulièrement importants dans ces
versets, le mot nature et le petit mot de rien du tout mais.
Nature. Les commandements ont une nature. Il y a quelque
chose qui fait qu’ils sont ce qu’ils sont, à savoir qu’ils sont d’abord là,
présents, offerts, et possiblement saisis par un auditeur, ou lecteur. Le
commandement est présent dans le langage, et il attend d’être saisi. Mais
n’allons pas trop vite. Entre sa présence et son saisissement, le commandement
qui attend son saisissement est présent avec une puissance de sollicitation,
puissance qui peut être considérée comme sa nature. Le commandement appelle, en
somme, Il a en lui une forte puissance de sollicitation. « Toi,
prends-moi ! » La nature du commandement, c’est sa puissance de
sollicitation.
Nous avons ici deux commandements qui sont déclarés
d’égale nature par Jésus, le commandement d’aimer Dieu, et le commandement
d’aimer le prochain. L’un et l’autre ont même puissance de sollicitation et
conduisent à la même tâche ceux qui s’emparent de l’un, ou de l’autre, ou les
deux… Mais on n’a pas le choix entre eux. Saisir le commandement, c’est se
laisser saisir par lui. Et qui dit une seule nature pour deux commandement dit
aussi une seule forme concrète du déploiement pratique des deux impératifs.
Et cela paraît simple – à la fin cela paraîtra simple –
pourtant il y a un mais. Retour au texte ; tu aimeras le Seigneur ton Dieu
(…) grand et premier commandement mais un second est de même nature, (…) amour
du prochain. C’est le mais qui nous intéresse maintenant, un mais qui vient
souligner que c’est parfois au détriment de l’amour concret du prochain qu’on
se réclame d’un amour de Dieu – ce qui a dû être bien avéré au temps où Jésus
vivait, au temps aussi où Matthieu rédigeait. Un amour du prochain totalement
laissé de côté par ceux à qui la religion avait réussi, et pour lesquels la
définition du prochain n’excédait pas – presque pas – celle de la famille et du
clan. Enlisés dirons-nous dans l’amour de Dieu, dans l’amour d’un amour de
Dieu. Et auxquels Jésus adressera une inoubliable série de malédictions
« Soyez maudits… »
Pour finir, le premier qui vient en premier (Dieu) ne
peut pas oublier le second (le prochain), qui vient en second, parce que les
deux sont de même nature. Mais si d’aventure on l’oublie ? Si l’attelage
des commandements est rompu ?
Lorsque l’attelage des commandements est rompu, c’est le
temps des massacres qui commence au nom d’une prétendue dévotion, aux cris
d’une prétendue invocation. On se joue de Dieu, on joue à être Dieu, on joue sa
prétendue fureur. Mais ces prétendues dévotions, invocations etc. fabriquent de
vrais cadavres. Et lorsqu’on joue avec ces choses-là, ce sont toujours les plus
faibles qui trinquent.
Mais (encore un mais) en face de la possibilité du chaos,
il y a deux commandements, une seule nature pour deux commandements, une seule
tâche humaine pour que l’un et l’autre puissent vivre avec un peu – beaucoup –
d’harmonie. Et en espérant que la source fraternelle et théologique qui jaillit
de quelques versets de Matthieu 22 ne tarisse jamais. Il s’agit bien de Dieu
lui-même et de l’homme lui-même, dont l’homme porte la responsabilité.
Revenons un peu à Martin Luther, 31 octobre 1517, et à
une thèse, la 30ème. Au temps de Martin, l’homme vivait sous la
menace d’un purgatoire très semblable à l’enfer. Pour se libérer de la menace
de ce purgatoire, certains moyens existaient, plus ou moins chers, dont
l’indulgence. Mais il y avait aussi du gratuit, dont la contrition, regretter
le péché. Une parfaite contrition entraine une totale rémission… c’était une
doctrine, et sans doute pas la plus prêchée. Mais Martin la connaissait et il
en savait long sur la nature humaine. Martin était aussi un homme extrêmement
angoissé… Ce qui lui a permis d’écrire ceci : thèse 30. « Nul
n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l'être
de l'entière rémission. » Si bien que l’angoisse demeure. Alors, d’où le
secours pourra-t-il venir ? Il n’y a de possibilité d’apaisement que du
côté de la grâce, d’un apaisement ou peut-être seulement d’un moment de
suspension ; pourvu que la grâce demeure ; et pourvu que ceux qui en
parlent restent actif ; car c’est une responsabilité humaine, mais pas
seulement. Le langage, la Parole, demeurent toujours prêts à produire un
événement de sens. Pourvu que tout cela, toutes ces bonnes nouvelles ne soient
pas figées, et pourvu que les instruments d’étude de la Bible restent toujours
affutés, la Bible, et les grands textes reçus, comme par exemple les 95 thèses théologiques sur la puissance
des indulgences, Martin Luther, 31 octobre 1517
Et je vous donne un petit instrument de ma boîte personnelle. Martin Luther thèse 30. « Nul n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l'être de l'entière rémission. » Et donc l’angoisse toujours demeure. Mais je réplique avec une thèse 30 bis « Nul n’est certain de la vérité de la thèse 30 »
En Dieu la joie est donc possible. Et mieux, avec ce que nous avons médité, en Dieu la joie est promise.