samedi 24 juin 2023

Un messie exigeant (Matthieu 10,26-33 plus d'autres fragments)

Matthieu 10 :

1 Ayant fait venir ses douze disciples, Jésus leur donna autorité sur les esprits impurs, pour qu'ils les chassent et qu'ils guérissent toute maladie et toute infirmité.

 

5 Ces douze, Jésus les envoya en mission avec les instructions suivantes: «Ne prenez pas le chemin des païens et n'entrez pas dans une ville de Samaritains;

 6 allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d'Israël.

 7 En chemin, proclamez que le Règne des cieux s'est approché.

 

23 Quand on vous pourchassera dans telle ville, fuyez dans telle autre; en vérité, je vous le déclare, vous n'achèverez pas le tour des villes d'Israël avant que ne vienne le Fils de l'homme.

 

26 «Ne les craignez donc pas! Rien n'est voilé qui ne sera dévoilé, rien n'est secret qui ne sera connu.

 27 Ce que je vous dis dans l'ombre, dites-le au grand jour; ce que vous entendez dans le creux de l'oreille, proclamez-le sur les terrasses.

 28 Ne craignez pas ceux qui tuent le corps, mais ne peuvent tuer l'âme; craignez bien plutôt celui qui peut faire périr âme et corps dans la géhenne.

 29 Est-ce que l'on ne vend pas deux moineaux pour un sou? Pourtant, pas un d'entre eux ne tombe à terre indépendamment de votre Père.

 30 Quant à vous, même vos cheveux sont tous comptés.

 31 Soyez donc sans crainte: vous valez mieux, vous, que tous les moineaux.

 32 Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux;

 33 mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux.

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            "Le christianisme et nous n'avons qu'un seul point commun : nous exigeons l'homme tout entier !" Cette phrase est extraite de l’une des dernières lettres adressées à sa femme Freya par Helmut James Graf von Moltke. Helmut James était membre du Cercle de Kreisau – nom donné par la Gestapo à un groupe de réflexion et de discussion, non-violent, qui tenta de penser ce que serait l’Allemagne après la fin du IIIè Reich. Ce groupe fut actif entre 1938 et 1944.

            Le petit recueil des dernières lettres n’a été traduit en français que dans le cadre d’un travail de fin d’études, non publié, mais je connais très bien l’auteur de ce travail.

            La plupart des membres du Cercle de Kreisau ont été arrêtés après l’échec de l’opération Walkyrie (attentat contre Hitler du 20 juillet 1944), jugés, condamnés et pour certains, exécutés.

            La phrase que nous citons est de Roland Freisler, juge nazi, président du Volksgerichtshof, juridiction spéciale chargée des affaires politiques et des cas de haute trahison, comme on le disait alors, c'est-à-dire tout et n’importe quoi, avec le plus souvent la même peine. Il a prononcé de très nombreuses condamnations à la peine capitale… Sa voix peut aujourd’hui très facilement être entendue (You Tube) ; plusieurs auteurs l’ont mis en scène dans des œuvres de fiction (comme Hans Fallada, Seul dans Berlin).

             "Le christianisme et nous n'avons qu'un seul point commun : nous exigeons l'homme tout entier !" Quant aux moyens de cette exigence…

 

Prédication : 

            Jésus envoya ses disciples en mission. C’est pour une belle mission qu’il les envoya : faire du bien à leurs semblables et proclamer que le Règne des cieux s’était approché.

            Dans cette mission, la proximité du Règne des cieux se voit à ce que, gratuitement, des humains font du bien à d’autres humains. Les disciples sont en somme envoyés par Jésus pour faire ce que Jésus lui-même fait. C’est d’ailleurs exactement ce que recouvre la notion de disciple : étudier auprès du maître, en écoutant son enseignement et en observant ses actes, dans le but de faire de même.

            Cependant, pour caractériser plus précisément cette mission, telle qu’elle apparaît dans les versets que nous avons lus, nous pouvons retenir deux éléments. (1) Cette mission est exclusive, et (2) elle exige un engagement radical.

            (1) C’est une mission exclusive : elle est destinée aux brebis perdues de la maison d’Israël, et elle exclut les Païens et les Samaritains. Il y a bien des versets embarrassants dans la Bible, ces versets sont embarrassants. Mais ne nous laissons pas trop embarrasser. Ces versets sont juste la trace d’une compréhension particulière de la Bonne Nouvelle par des communautés particulières. Tout comme, dans l’Ancien Testament, on voit la notion du prochain être parfois strictement une notion clanique, tribale, et être parfois universelle, nous voyons, dans le Nouveau Testament, la Bonne Nouvelle n’être parfois destinée qu’à une tribu particulière, et être parfois destinée à l’humanité tout entière. C’est d’ailleurs dans le même évangile, celui de Matthieu, que Jésus ressuscité enverra ses disciples vers toutes les nations…

            Mais, ici, ce matin, la mission est exclusive, comme si notre Messie était un Messie débutant et excessivement exigeant envers ses disciples, ou comme si certains de nos prédécesseurs avaient dès l’aube de l’ère chrétienne pensé à se garder le salut pour eux seuls…

(2) Cette même mission, que Jésus confie à ses disciples, exige un engagement radical. Gratuité absolue et pauvreté absolue sont requises, en plus d’une fidélité de chaque instant : « Quiconque se déclarera pour moi devant les hommes, je me déclarerai moi aussi pour lui devant mon Père qui est aux cieux ; mais quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux. » Nous allons méditer là-dessus.

Est-ce une menace ? Le verbe renier n’est employé qu’à un autre moment de l’évangile de Matthieu. Dans l’évangile de Matthieu, une seule personne a renié Jésus… par trois fois avant que le coq ne chante (Mt 26,72)… Pierre. Souvenez-vous-en. Mais souvenez-vous aussi des larmes de Pierre après le chant du coq. Souvenez-vous aussi de son cri du cœur : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Mt 16,16). Souvenez-vous encore de cette si étrange parabole de la fin des temps, le tri entre les justes et les injustes, les uns comme les autres ne sachant pas quand ils ont fait, ou pas fait, leurs actes de bontés (Mt 25). Quand avons-nous fait aumône ? Quand n’avons-nous pas fait aumône ? Une négligence unique efface-t-elle tout le soin que nous aurions eu de nos semblables ? Les larmes de Pierre et sa confession de foi sont-elles annulées par son reniement ? Si nous confessons une fois, une seule, publiquement, notre foi en Jésus, cela effacera-t-il toutes les fois où nous l’aurons renié en paroles, ou en actes, ou en nous taisant ?

« … quiconque me reniera devant les hommes, je le renierai moi aussi devant mon Père qui est aux cieux. » Une fois encore, nous pouvons penser à un Messie débutant, trop dur pour ses disciples. Et une fois encore, nous pouvons penser que nous avons aussi sous les yeux la trace de l’existence de missionnaires radicaux se réclamant d’un maître radical, du genre qu’on connaît encore aujourd’hui, missionnaires radicaux toujours capables de vous précipiter dans la terreur de l’au-delà, quand ça n’est pas dans la terreur ici-bas…

 

            Ceci étant dit, ces versets sont là, et bien là. Il y a en effet quelque chose de radical dans l’Évangile. Il requiert toute la personne et l’on peut bien dire qu’à Jésus Christ il faut se donner tout entier, ou pas du tout. Mais qui sait si autrui se donne tout entier, ou pas du tout ? Dieu seul en est juge. Et il n’appartient pas aux humains de connaître ce jugement avant la fin des temps. Bien entendu, les humains aimeraient ne pas attendre pour savoir. Ils aimeraient bien que ce jugement voilé leur soit dévoilé. Supposons qu’il le soit… Intransigeance divine ; à part peut-être quelques saints, nous sommes tous perdus. C’est une mauvaise nouvelle. Miséricorde divine ; nous sommes très probablement tous sauvés. C’est aussi une mauvaise nouvelle, tout comme la première, et pour une raison très simple : si le jugement est dévoilé avant la fin des temps, Dieu n’est plus Dieu, et tout radicalisme conduisant à la terreur devient possible et justifiable.

 

Parce que Dieu est Dieu, l’envoi en mission que Jésus adresse à ses disciples au 10ème chapitre de l’évangile de Matthieu est exclusif, et radical, mais parce que Dieu est Dieu, l’envoi en mission est en même temps gratuit, et bienveillant. 

Exclusif ? Peut-être nous faut-il simplement comprendre cela comme une invitation à vivre en disciple notre vie, là où la vie nous a placés, avec nos plus proches, pour que la Bonne Nouvelle de la proximité du Royaume des Cieux ne soit pas pour eux une idée nébuleuse mais juste la vie qu’ils mènent avec nous.

L’exigence est radicale ? Le christianisme exige l’homme tout entier. Le Seigneur nous requiert tout entier, il ne cesse de nous requérir, là où nous sommes. Il nous accompagne aussi. Amen