lundi 12 juin 2023

Là où est Dieu (Deutéronome 8,1-16)

Un texte qui vient un peu en retard.
Toutes mes excuses.
Et amitiés

 Deutéronome 8

1 Tout le commandement que je te donne aujourd'hui, vous veillerez à le pratiquer afin que vous viviez, que vous deveniez nombreux et que vous entriez en possession du pays que le SEIGNEUR a promis par serment à vos pères.

 2 Tu te souviendras de toute la route que le SEIGNEUR ton Dieu t'a fait parcourir depuis quarante ans dans le désert, afin de te mettre dans la pauvreté; ainsi il t'éprouvait pour connaître ce qu'il y avait dans ton cœur et savoir si tu allais, oui ou non, observer ses commandements.

 3 Il t'a mis dans la pauvreté, il t'a fait avoir faim et il t'a donné à manger la manne que ni toi ni tes pères ne connaissiez, pour te faire reconnaître que l'homme ne vit pas de pain seulement, mais qu'il vit de tout ce qui sort de la bouche du SEIGNEUR.

 4 Ton manteau ne s'est pas usé sur toi, ton pied n'a pas enflé depuis quarante ans,

 5 et tu reconnais, à la réflexion, que le SEIGNEUR ton Dieu faisait ton éducation comme un homme fait celle de son fils.

 6 Tu garderas les commandements du SEIGNEUR ton Dieu en suivant ses chemins et en le craignant.

 7 Le SEIGNEUR ton Dieu te fait entrer dans un bon pays, un pays de torrents, de sources, d'eaux souterraines jaillissant dans la plaine et la montagne,

 8 un pays de blé et d'orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers, un pays d'huile d'olive et de miel,

 9 un pays où tu mangeras du pain sans être rationné, où rien ne te manquera, un pays dont les pierres contiennent du fer et dont les montagnes sont des mines de cuivre.

 10 Tu mangeras à satiété et tu béniras le SEIGNEUR ton Dieu pour le bon pays qu'il t'aura donné.

 11 Garde-toi bien d'oublier le SEIGNEUR ton Dieu en ne gardant pas ses commandements, ses coutumes et ses lois que je te donne aujourd'hui.

 12 Si tu manges à satiété, si tu te construis de belles maisons pour y habiter,

 13 si tu as beaucoup de gros et de petit bétail, beaucoup d'argent et d'or, beaucoup de biens de toute sorte,

 14 ne va pas devenir orgueilleux et oublier le SEIGNEUR ton Dieu. C'est lui qui t'a fait sortir du pays d'Égypte, de la maison de servitude;

 15 c'est lui qui t'a fait marcher dans ce désert grand et terrible peuplé de serpents brûlants et de scorpions, terre de soif où l'on ne trouve pas d'eau; c'est lui qui pour toi a fait jaillir l'eau du rocher de granit;

 16 c'est lui qui, dans le désert, t'a donné à manger la manne que tes pères ne connaissaient pas, afin de te mettre dans la pauvreté et de t'éprouver pour rendre heureux ton avenir.

Prédication : 

            Souvenons-nous de ce que nous avons tenté de dire, il y a huit jours, sur la Loi, dont nous avons découvert qu’elle n’était pas une, mais au moins deux, l’une poussières mélangées de granit et d’or, consommable par voix orale, et l’autre texte, destinée à l’instruction scolaire des croyants. Deux lois… la Loi – la Torah – ne serait pas une ? Lorsqu’est évoquée la Torah, nous pensons à quelque chose, à une chose plutôt figée, statique… mais c’est une erreur que de penser ça. Car Torah signifie en réalité chemin. Et que serait un chemin, dans notre méditation, s’il n’était pas un chemin qu’on découvre au fur et à mesure du parcours ? Et comment alors serait-il chemin s’il s’agissait de le suivre ainsi à la lettre ?

            Tout cela comme autant de raisons pour lesquelles le texte que nous méditons maintenant comporte des éléments diversifiés, et peut-être bien contradictoires.

 

            Souvenons-nous, quelques pages plus haut, en fait, deux chapitres plus haut dans le texte, il y a ceci : « Écoute Israël, IHVH LE SEIGNEUR notre Dieu IHVH LE SEIGNEUR est un » (Dt. 6,4). Certains préféreront proposer qu’il est l’unique. Et puis certains autres – Professeur Dany Nocquet – nous signalent que cette phrase, dans le contexte de la réforme politique et religieuse musclée, qui eut lieu sous le règne du roi Josias, royaume de Juda (600 env. av. J.C.), signifiait tout simplement : culte à Jérusalem, et nulle part ailleurs.

            La mise en œuvre de cette réforme fut un cortège d’assassinats. Car il y avait bien d’autres lieux de culte, bien d’autre familles de prêtres, et pour atteindre le résultat « un lieu un prêtre un culte » on effaça bien des gens par l’épée et par le feu.

            Et, voyez-vous, les questions que nous nous posons sur Dieu viennent percuter ces récits. Dieu, invention humaine ? C’est bien difficile de tenir cette idée, et l’être humain – certains être humains – ont de drôles d’idées. Où Dieu, se révélant, se dévoilant, ainsi… où Dieu c’est l’ordre obtenu par la violence.

            Et vous êtes pris alors d’un certain murmure : Dieu serait cela ? Dieu serait-il en lui-même violent et se révélerait par et dans la violence ? Ou les humains qui l’ont pensé et raconté devaient-ils tant à la violence qu’ils ont dépeint Dieu comme violent et inventé des rituels violents pour l’adorer ? Question plutôt délicate, car elle porte en elle comme une insinuation, l’homme aurait un mot à dire, une responsabilité même dans la découverte, dans la pensée de Dieu.

           

            Poursuivons. Il y eut des périodes de d’opulence, il y eut des périodes de disette. Elles furent racontées, les unes et les autres, dans les livres de l’Ancien Testament. Et nous avons pris l’habitude de considérer qu’il n’y eut qu’une seule période, rapportée à la vie d’un certain Moïse… c’est tellement une habitude que ceux qui choisissent pour nous les textes du dimanche nous ont donné, comme une sorte de petit exode miniature comme il s’en trouve plusieurs dans la Bible – le plus ancien, et le plus court étant dans le prophète Osée, un verset (Osée 12,14) : « Mais par un prophète le SEIGNEUR a fait monter Israël hors d'Égypte, et par un prophète Israël a été gardé. »

            Le texte que nous méditons se déploie comme linéairement, comme si la vie était elle-même bien régulière. Mais est-ce le cas ? L’histoire des cultures et des sociétés ne se lance pas tout droit sur la flèche du temps. Et l’histoire des personnes encore moins. Oui, les heures passent l’une après l’autre, mais pour ce qu’il en est de ce qui advient, c’est tout autrement, nous parlerons de désordre, voire de chaos, même s’il y a aussi des moments de joie. Y a-t-il une raison à tout cela ?

            Ça serait peut être bien qu’il y ait des raisons à tout cela. Alors, dans le 8ème chapitre du Deutéronome nous allons trouver ce schéma super classique : pauvreté, errance, entrée en terre promise, puis épreuve : celui que Dieu bénit surabondamment va-t-il devenir orgueilleux ? Ou – variante très précieuse – celui que la vie gâte va-t-il considérer qu’il le mérite bien, et qu’il y a là Dieu qui en récompense certains et qui se détourne des autres ? Et que telle est là la justice divine…

            Le texte donc du Deutéronome est bien découpé, c'est-à-dire opportunément découpé. Et donc ça marche, ça produit le résultat escompté. Et c’est ennuyeux, non pas seulement ennuyeux comme un texte qu’on a trop lu, mais ennuyeux parce que ça rend une impression, une seule impression, celle que Dieu est là dans le récit, qu’il est là aussi comme au-dessus du monde, et qu’il gouverne le texte et l’histoire, surtout l’histoire, le texte vient derrière. Or, il n’en est rien.

            Comment donc Dieu gouvernerait-il l’histoire lorsque les drones attaquent les populations civiles ? Ou qui donc s’est montré orgueilleux devant Dieu pour que les populations de volailles soient frappées par la grippe aviaire ? Et vous repenserez aux tragédies de la semaine passées, et vous vous demanderez une fois encore si Dieu, Bible en main, conduit l’histoire avec épreuves, punitions certainement, et récompenses peut-être.

            C’est à ce genre d’interrogation que mène le choix trop bien choisi d’un fragment, le choix d’une ligne simple, beaucoup trop simple à laquelle est suspendue une idée de destin tellement pauvre qu’elle est incapable de s’abaisser très bas, là où les humains souffrent, pour leur offrir peut-être un peu de réconfort.

            Ce qui suppose quelque chose que nous allons tâcher d’envisager.

 

            Nous parlions tantôt de segments extrêmement simples, extrêmement déterminés, comme les versets Deutéronome 8,12-16 : il y a un premier si, un deuxième si, et une première possible conclusion : celui qui est comblé de richesse attrape comme on dit le melon. Ce qui a pour conséquence toutes sortes de chose dont l’une, dépérir et disparaître. Est-ce ainsi que Dieu agit ? Est-ce ainsi que les humains vivent ? Nous n’allons pas répondre – ça serait juste trop facile. Et nous l’avons déjà fait.

            L’invitation qui peut vous être faite, c’est de ne pas vous en tenir, de ne jamais vous en tenir à 5 versets, de ne jamais vous en tenir à 5 versets, mais de compter 10 versets en amont, et 10 versets en aval, 10 au moins. C'est-à-dire un minimum pour que les thèmes se renouvellent, un minimum pour que vous puissiez apprécier combien les auteurs bibliques, leurs textes et la vie ont étroitement à faire ensemble.

            S’agissant alors de Dieu  et des humains ce ne sera plus un segment tout droit et sans intérêt, mais bien plus une sorte de lieu foisonnant, comme certains massifs floraux, pas forcément tout en douceur, pas non plus forcément tout en épines. Il y aura là simplicité et complexité, il y aura là absence et présence de Dieu, il y aura là une vie fraternelle… Dieu sera là…

            Amen