samedi 11 juin 2022

Paul, une prédication de la simplicité (Romains 5,1-5)

Romains 5

1 Ainsi donc, justifiés par la foi, nous sommes en paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus Christ;

 2 par lui nous avons accès, par la foi, à cette grâce en laquelle nous sommes établis et nous mettons notre orgueil dans l'espérance de la gloire de Dieu.

 3 Bien plus, nous mettons notre orgueil dans nos détresses mêmes, sachant que la détresse produit la persévérance,

 4 la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l'espérance;

 5 et l'espérance ne trompe pas, car l'amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné.

Prédication

            Orgueil. Qu’est-ce que l’orgueil ? « Opinion très avantageuse de soi-même, sentiment très vif, le plus souvent exagéré, et parfois injustifié, qu’une personne a de sa valeur personnelle, de son importance sociale, généralement aux dépens de la considération due à autrui. »

            Il pourrait être intéressant de nous demander si Paul fut un orgueilleux. Peut être le fut-il… mais est-ce bien important ? L’orgueil, présumé ou avéré, est-il un motif valable pour biffer sans délais quelques intéressantes pages de la Bible  (Romains, 1 et 2 Corinthiens, Galates, Philippiens, 1 Thessaloniciens) ? On pourrait bien entendu le faire, mais on laisserait de reste des gens qui ont plagié Paul, qui ont utilisé et détourné Paul, qui ont usé de la gloire de son nom pour faire valoir par exemple une radicale infériorité de la femme... Plutôt qu’effacer Paul, mieux vaut étudier Paul, quitte, éventuellement, à l’écarter, mais alors à la fin.

            Paul est peut-être un orgueilleux. Paul est certainement un être tourmenté, du genre sérieusement tourmenté, qui remet 100 fois l’ouvrage sur le métier. Et dont, peut-être, l’objectif est l’unique objectif de tous les gens tourmentés : trouver la paix.

 

            Orgueil : « nous mettons notre orgueil dans l’espérance de la gloire de Dieu ». Nous mettons notre orgueil est un bout de phrase qui traduit un seul verbe. Dans ce verbe, il y a l’idée d’une grande importance, qu’on pourrait traduire ainsi : il y a d’après nous quelque chose de suprêmement important… nous allons dire quoi. Mais avant, ce qui est suprêmement importante pour nous, peut être effectivement l’occasion d’une vilaine enflure des personnes, mais peut être aussi la suffocation des personnes qui assistent à un exploit. Et il va falloir que nous choisissions… Quel est l’objet du verbe ? L’espérance de la gloire de Dieu.

            Voici une traduction approximative : il y a quelque chose qui est pour nous suprêmement important, c’est l’espérance de la gloire de Dieu. Que Paul et ses amis, dont l’existence est donnée à Dieu, donnent à Dieu une certaine importance, ça n’est pas trop difficile à comprendre. Mais il ne faudrait pas qu’ils en fassent trop tout de même et commencent à disposer comme pour eux-mêmes d’une gloire qui ne serait pas la leur, mais celle de Dieu. En lisant bien ce qui est écrit, nous voyons que ça n’est pas de la gloire de Dieu qu’ils parlent, mais, bien plus subtilement, bien plus modestement, de l’espérance de la gloire de Dieu. Et si l’on ajoute que le propre de l’espérance c’est toujours d’être sans délais, et d’ignorer sur le fond ce qu’elle attend, nous arrivons vraiment à quelque chose qui est vraiment très très peu, qui s’appelle espérance de la gloire de Dieu, devant quoi Paul et ses compagnons frémissent, et à quoi ils consacrent leur existence. Les mots espérance, gloire, et Dieu, utilisés pour parler de ça, sont de beaux mots, espérance de la gloire de Dieu, c’est une belle expression, mais en réalité, nous l’avons vu, il n’y a presque rien, l’homme, au bord du gouffre, suffoqué par la hauteur et la profondeur du paysage, et suffoqué peut-être bien aussi par la beauté des pensées et des phrases.

            Un autre auteur que Paul en serait resté là, mais là, c’est Paul. Et ce qui pourrait satisfaire certains auteurs ne le satisfait pas. Il remet l’ouvrage sur le métier. Cette espérance de la gloire de Dieu, c’est encore trop.

           

            Orgueil : « nous mettons notre orgueil dans l’espérance de la gloire de Dieu », dit Paul. Et Paul continue : « Bien plus, nous mettons notre orgueil dans nos détresses mêmes… » De la prédication que Paul évoque, nous pensons que son fil était si ténu qu’elle n’a jamais pu produire que des effets ténus, et Paul n’a jamais eu, si nous comprenons, à se vanter de quoi que ce soit, car en réalité il n’y avait rien. Mais même de rien il arrive qu’on se vante en donnant à ce rien un nom divin. Et cela, Paul en a manifestement conscience, soit qu’il ait été témoin du phénomène, soit qu’il ait pu céder, parfois, à cette tentation. Et ce qu’il fait ici, c’est chercher une écriture de ce qui serait moins encore que l’espérance de la gloire de Dieu. Lorsqu’il écrit « Bien plus, il y a d’après nous quelque chose de suprêmement important, ce sont nos détresses… », c’est un bien plus qui signifie un bien moins. Bien moins encore que l’espérance de la gloire de Dieu, il y a nos détresses.

            Et nos détresses, cela signifie que ça ne marche pas, on ne nous écoute pas, on nous chasse, etc. Ah, si la gloire de Dieu… Ah, si l’esprit de Dieu… Et bien non, dit en somme Paul, en matière d’esprit, de conversion, d’affaires divines et tout ce que vous voudrez, la beauté de la chose est dans la ténuité de la chose. Et cette ténuité est si ténue que celui qui entend en témoigner sera toujours devant et dans cet abime, n’ayant pour viatique que sa propre et modeste persévérance.

 

            « La détresse produit la persévérance, la persévérance la fidélité éprouvée, la fidélité éprouvée l’espérance, et l’espérance ne trompe pas. »

            Mais alors se pose une question : toute la méditation – difficile – sur la précarité – sur le presque rien – le moins que rien – de la foi en Dieu… toute cette méditation, avec son fruit de simplicité, de vertige et de liberté, peut-elle être perdue ? Elle risque bien de l’être avec cette chaîne logique que Paul propose et qu’il scelle ainsi : « … car l’amour de Dieu a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné. »

            L’auteur de l’épître aux Romains est un assez bon pédagogue, qui ne nous laisse pas devant le divin vide qui ne peut qu’être creusé. Il nous propose sa méditation, puis nous invite à reprendre un chemin mieux balisé.

            Béni soit son nom.

 Amen