samedi 18 juin 2022

Dangereuse Sainte Cène (1 Corinthiens 11:27, et autres)

Luc 9

11 L'ayant su, les foules le suivirent. Jésus les accueillit; il leur parlait du Règne de Dieu et il guérissait ceux qui en avaient besoin.

 12 Mais le jour commença de baisser. Les Douze s'approchèrent et lui dirent: «Renvoie la foule; qu'ils aillent loger dans les villages et les hameaux des environs et qu'ils y trouvent à manger, car nous sommes ici dans un endroit désert.»

 13 Mais il leur dit: «Donnez-leur à manger vous-mêmes.» Alors ils dirent: «Nous n'avons pas plus de cinq pains et deux poissons... à moins d'aller nous-mêmes acheter des vivres pour tout ce peuple.»

 14 Il y avait en effet environ cinq mille hommes. Il dit à ses disciples: «Faites-les s'installer par groupes d'une cinquantaine.»

 15 Ils firent ainsi et les installèrent tous.

 16 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons et, levant son regard vers le ciel, il prononça sur eux la bénédiction, les rompit, et il les donnait aux disciples pour les offrir à la foule.

 17 Ils mangèrent et furent tous rassasiés; et l'on emporta ce qui leur restait des morceaux: douze paniers.

 

Genèse 14

18 C'est Melkisédeq, roi de Salem, qui fournit du pain et du vin. Il était prêtre de Dieu, le Très-Haut,

 19 et il bénit Abram en disant: «Béni soit Abram par le Dieu Très-Haut qui crée ciel et terre!

 20 Béni soit le Dieu Très-Haut qui a livré tes adversaires entre tes mains!» Abram lui donna la dîme de tout.

 

1 Corinthiens 11

23 En effet, voici ce que moi j'ai reçu du Seigneur, et ce que je vous ai transmis: le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain,

 24 et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit: «Ceci est mon corps, qui est pour vous, faites cela en mémoire de moi.»

 25 Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant: «Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang; faites cela, toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi.»

 26 Car toutes les fois que vous mangez ce pain et que vous buvez cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne.

 27 C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur.

 28 Que chacun s'éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire cette coupe;

 29 car celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation.

 30 Voilà pourquoi il y a parmi vous tant de malades et d'infirmes, et qu'un certain nombre sont morts.

Prédication : 

            Les foules ne cessaient de suivre Jésus et il se trouva, un soir, que Jésus acheva son enseignement à l’heure du dîner, mais de dîner il n’y avait pas, d’autant plus que cinq mille hommes ne pouvaient absolument pas aller se ravitailler dans les – pauvres – et rares – villages alentour. Et nous connaissons la suite… combien de fois nous a-t-on raconté cet exploit : nourrir cinq mille personnes avec cinq pains et deux poissons, plus douze paniers de restes. Nous imaginons les éléments que Jésus partage se mettre à foisonner dans les paniers comme de la mousse expansive de polyuréthane, et continuer à foisonner, dans les mains de Jésus, un panier après l’autre, jusqu’à ce que le peuple soit rassasié. Suite à quoi, le récit de l’évangile reprend son cours.

            Et nous autres, lectrices, lecteurs, nous restons plutôt bouche bée… autant les miracles à connotation médicale peuvent se laisser saisir, autant la maîtrise de Jésus sur les éléments nous demeure plutôt étrangère, dès le franchissement de la mer rouge, dès Jonas, et donc aussi les pains et les poissons multipliés et surmultipliés, ça reste là, devant nous, comme les douze paniers de restes qui restent là dans le récit, dont, c’est là le propos, personne ne semble savoir quoi faire.

            Moralité – provisoire – de l’affaire, il y en a plus de reste qu’il n’y en avait au tout début. Il s’agit de pain et poisson… et peut-être, symboliquement, de tout autre chose, d’une tout autre nourriture, Mais quoi ? La bénédiction ? A cette étape, nous ne le savons pas. Mais nous allons constater que ce repas semble avoir été pris dans l’ordre et dans le calme, les 5000, groupés 50 par 50, une centaine de groupes, ont reçu tout tranquillement ce qu’on leur a donné, et nul ne semble s’être levé pour protester qu’un autre aurait été soi disant mieux servi que lui.

            Le don s’est ainsi fait, des disciples vers Jésus et de Jésus vers la foule. Et l’on peut voir dans cette belle scène comme une espèce de prototype d’Eglise, avec son peuple, avec son clergé, et avec son Seigneur, à ceci près que nos Saintes Cènes ou Eucharisties ne reproduisent pas le miracle de la multiplication des pains.

 

            Dans le Nouveau Testament, nous avons quatre récits d’institution de la Sainte Cène. Trois sont des récits évangéliques, le quatrième vient de Paul. Paul, qui n’a pas connu le Seigneur de son vivant, parle pour la Sainte Cène d’une révélation qu’il aurait personnellement reçue du Seigneur, et transmise directement aux Corinthiens. La Sainte Cène de Paul est donc d’institution très ancienne (50-52), plus ancienne que les Saintes Cènes des évangiles.

            La Sainte Cène selon Paul ne pose pas en tant que telle de problèmes liturgiques particuliers. Elle pose par contre de graves problèmes liés au contexte de Corinthe, tellement graves que Paul va commettre quelques phrases mémorables. Poursuivant l’institution de la Sainte Cène à proprement parler Paul ajoute ceci : « 27 C'est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement se rendra coupable envers le corps et le sang du Seigneur. 28 Que chacun s'éprouve soi-même avant de manger ce pain et de boire cette coupe ; 29 car celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation. 30 Voilà pourquoi il y a parmi vous tant de malades et d'infirmes, et qu'un certain nombre sont morts. »

            Ce genre de petit texte porte le nom de discipline eucharistique et répond à la question : qui peut participer à la Sainte Cène ? Selon les Eglises, la réponse n’est pas la même. Chaque Eglise a sa propre discipline, plus ou moins contraignante, et plus ou moins mise en œuvre. Notre Eglise, dans sa liturgie de Sainte Cène (1997), propose, en guise de discipline : « Que celles et ceux qui reconnaissent en Jésus Christ le Seigneur, et désirent partager son repas… » Mais les officiants ne sont pas contraints par la liturgie – cela fait partie de notre tradition. Ajoutons qu’en 2012, dans sa Constitution, notre Eglise précise que pendant la célébration, la Sainte Cène ne peut être refusée à qui la demande. Table ouverte, en somme, table à laquelle le Seigneur invite très largement. Et pas de quoi s’inquiéter avec les propos de Paul.

            Pourtant, je vais partager avec vous un souvenir. Alors que j’étais pasteur itinérant, est arrivé sur ma table une lettre, adressée à un Conseil presbytéral, dont le propos était à peu près celui-ci : « Pendant la Sainte Cène du culte de Pentecôte, les catéchumènes se sont abominablement mal tenus. Ils se sont esclaffés en recevant la communion. Et c’est parce que vous n’avez pas lu l’Institution (avec majuscule) de la Sainte Cène. Ces catéchumènes, vous les avez condamnés à mort, car il est écrit… » Et là venait la citation que nous avons déjà lue, affaire de discernement ou de mort, ce que Paul a ajouté et qui est effectivement très radical et très expéditif. Renseignements pris auprès de plusieurs paroissiens et conseillers témoins de l’affaire, ça n’avait pas été franchement la grosse foire… la jeunesse locale avait juste manifesté son enthousiasme et sa joie… De là à crier à l’assassin, il y avait tout de même encore de la marge.

            Mais qu’en était-il à Corinthe ? La communauté de Corinthe était une communauté bien mélangée, avec des très riches, et de très très pauvres esclaves. Le repas faisait partie de la rencontre, et la Sainte Cène venait après le repas. Les très riches faisaient des repas de riches ; on a dû rapporter à Paul que les très riches arrosaient  fort leur repas, alors que les pauvres faisaient des repas de pauvres, autant dire pas de repas du tout. Pas de partage… et à la fin du repas, au moment de la Sainte Cène, côte à côte, ou face à face, des gens recueillis autant qu’on le peux avec le ventre creux, et des gens repus, et pris de boisson.

            Cette disparité communautaire fut rapportée à Paul et nous savons comment il réagit. Repassons une fois encore le disque « (…) celui qui mange et boit sans discerner le corps mange et boit sa propre condamnation. 30 Voilà pourquoi il y a parmi vous tant de malades et d'infirmes, et qu'un certain nombre sont morts. » En plus de cela, il leur adresse une recommandation toute simple, manger chez eux avant de venir. Mais, quand même ; transformer la Sainte Cène en un poison mortel, c’est un peu fort. Bien sûr, ce repas que les chrétien partagent, vu ce qu’il représente, doit pouvoir être pris avec un minimum de recueillement, mais peut-il vraiment devenir létal ? Paul, nous le savons, a parfois la plume acide… mais est-ce bien lui ? Est-ce Paul ou l’un des rédacteurs qui ont écrit après Paul et qui avaient sacralisé leurs personnes, la cérémonie et les espèces, au point que la Sainte Cène, déclaration d’amour du Christ aux humains, était devenue une ordalie ? Alors, qui donc allait venir ? Des gens très sûrs de leur propre sainteté… et d’autres emportés par un élan spirituel qui leur fait mépriser le danger. Et s’ils rataient leur évaluation préalable, est-ce qu’ils tombaient raides par terre comme Annanias et Saphira dans le livre des Actes ? S’agissant de la Sainte Cène, à Corinthe ou ailleurs, nous ne le savons pas. Mais ce que nous pouvons savoir, c’est que, à prendre la chose trop excessivement au sérieux, elle devient inaccessible, et à la prendre trop à la légère, elle perd de sa saveur, de sa sapidité spirituelle.

 

            Mais, maintenant, que faire ? C’est notre responsabilité de choisir le poids que nous allons donner à chaque verset, à chaque histoire. C’est notre responsabilité de dire – ou pas – que l’institution (la grosse et unique IIIInstitution) de la Sainte Cène est dans la première épître aux Corinthiens, chapitre 11, et qu’elle condamne pour toujours à mort ceux qui mangent en étant indignes (mais, non d’un chien, qui peut oser se déclarer lui-même digne d’avoir part à l’incomparable don que le Seigneur fait de lui-même ?).

            C’est notre responsabilité de déclarer que les célébrants et les fidèles sont sœurs et frères, absolument égaux devant le Seigneur, égaux en indignité et en dignité (c’est ainsi qu’on peut comprendre les quelques versets au fil desquels Abram et Melchisédeq se rencontrent et s’estiment, une affaire d’hommes apprenant à se connaître… presque rien de religieux là-dedans, à moins que ce soit presque tout).

            C’est notre responsabilité à la fin de penser à cette multiplication des pains et des poissons : les bénédictions du Seigneur gagnent toujours à être partagées, toujours. Car il y a toujours d’abord ce qu’elles sont, et à ce qu’elles sont s’ajoute toujours le bonheur du partage.

            De l’exercice de cette troisième responsabilité vient qu’il est possible de célébrer la Sainte Cène dans le recueillement et la joie.