Luc 3
1 L'an quinze du règne de Tibère César, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode tétrarque de Galilée, Philippe son frère tétrarque du pays d'Iturée et de Trachonitide, et Lysanias tétrarque d'Abilène, 2 sous le sacerdoce de Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée à Jean fils de Zacharie dans le désert. 3 Il vint dans toute la région du Jourdain, proclamant un baptême de conversion en vue du pardon des péchés, 4 comme il est écrit au livre des oracles du prophète Esaïe: Une voix crie dans le désert: Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers. 5 Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées; les passages tortueux seront redressés, les chemins rocailleux aplanis; 6 et tous verront le salut de Dieu.
Prédication
L’an 15 du règne de Tibère César… vous venez d’entendre
la suite, et cette suite est d’une précision formidable. Luc – auteur de l’évangile
de Luc et des Actes des Apôtres – écrit comme s’il avait mené une enquête
minutieuse. Certains commentateurs font confiance à Luc et développent encore l’enquête,
jusqu’à être capables de donner des dates précises, au jour près… La parole de
Dieu fut donc adressée à Jean le 19 août 28, ou le 1er janvier 28.
Ces estimations, mises en lien avec les chapitres 1 et 2 de Luc, permettent
d’établir avec précision toutes sortes de dates, dont par exemple la date de la
visite de l’ange Gabriel à Marie, et, aussi, bien sûr, la date de la naissance
de Jésus. Mais pourquoi autant de précision ? Autant de précision, est-ce
nécessaire ?
Avant d’examiner si cette précision nous est nécessaire,
nous pouvons faire un retour en arrière, au temps de l’Empire romain, à
l’articulation des deux ères, avant et après Jésus Christ. Les Romains, nous le
savons, étaient extrêmement tolérants en matière de diversité religieuse. Ils
laissaient les peuples qu’ils dominaient pratiquer les cultes qu’ils voulaient
pratiquer. Ils ne leur imposaient pas le culte impérial. Les cultes anciens
avaient leur faveur – pragmatique – parce qu’ils apaisent ceux qui les
pratiquent, et provoquent généralement peu de remous. Très pragmatiques, tant
que la paix romaine, condition de prospérité n’était pas menacée, ils
laissaient faire. Les Juifs, leur Dieu et leur Temple, ont fait exception à
tout ça… vous le savez bien, et vous savez comment cela allait se finir, le
temple allait être détruit et la population allait être disséminée.
Dans ce cadre et
dans ce temps, les Chrétiens n’avaient aucune ancienneté à faire valoir. Ils
étaient donc ce que les Romains ont parfois appelé une superstitio nova et maleficia, du genre qui s’agite comme un
adolescent en crise, qui se mêle de tout, qui a des avis sur tout, qui provoque
des troubles, et qu’il faut mater d’urgence…
Mais l’ancienneté n’est pas, dans l’Empire romain, le
seul gage qu’une religion peut donner. Une religion jeune peut se réclamer
d’une histoire récente certaine. Et c’est ainsi que, en donnant à ses moments
historiques la précisions que nous avons vue, Luc entend montrer que cette
religion dont il parle n’est pas une superstitio
nova, mais un culte raisonnable, inscrit certes dans une histoire récente mais
qui est une histoire vérifiable.
Pour pouvoir être évangéliste, Luc, en son temps, doit
d’abord être historien.
Nous nous sommes demandé si autant de détails historiques
étaient nécessaires, et nous avons répondu, dans un certain cadre, que oui,
cela était nécessaire. Il faut tenir ce oui, qui est, si nous comprenons bien,
le oui de nos premiers ancêtres dans la foi au Christ Jésus.
Mais, en traversant l’espace et le temps, ce oui initial
va se transformer. Si nous considérons le Crédo,
celui que nous récitons assez souvent, et qui date du 2ème (ou du 4ème)
siècle, il ne reste de toute l’enquête de Luc qu’une seule indication : il a souffert sous Ponce Pilate. Dernière
indication historique, qui insiste sur la Passion bien plus que sur la
naissance de Jésus, et qui, au-delà de la Passion, parle d’un certain futur, d’une
fin des temps, d’un au-delà même de la fin des temps. Personne ne se souvient
de Ponce Pilate, mais en entendant dans le Crédo
le nom de quelqu’un, il est attesté que tout cela qui s’est produit un jour quelque
part, concernait des êtres humains, et donc que cela les concerne encore. Nous
sommes concernés, interpelés. Mais de quelle manière peut-on répondre ? Deux
réponses peuvent être possibles.
Première réponse possible, l’enquête historique de Luc
appelle une adhésion pleine, entière, et littérale. Pour cette forme d’adhésion,
on pense le plus souvent au récit de la création (il faut trois clics de souris
pour arriver sur un site ouvertement créationniste…), mais tout texte biblique
comportant ne serait-ce qu’un embryon de récit peut être pris dans un schéma
totalement figé, totalement univoque. Et univoques aussi, figées aussi seront
les leçons, morales et commandements portés par ces textes. Paralysie générale,
même de Dieu. Et seule attitude possible, se soumettre, soumettre
éventuellement autrui, avec brutalité, tout cela avec pour bénéfice de n’être
personnellement responsable de rien, puisque la Bible ceci… puisque Dieu cela… Répétons
que Dieu lui-même est alors figé, et muet, parce que pris dans la glu de cette
totale irréflexion.
Nous sommes concernés, interpelés par l’enquête historique de Luc. Mais de quelle manière peut-on répondre ? Deuxième réponse possible : nous 0proposons ici de prendre acte justement de ce que même ce que Luc propose est une… proposition, proposition de dire la foi là où l’on est, là où l’on en est. Toute confession de foi est toujours inscrite dans l’époque de celui qui la compose. Et toute confession de foi est toujours inscrite dans la vie de celui qui la prononce. Ne nous y trompons pas, le principe que nous énonçons ici est un principe de liberté. Liberté de lire la Bible et les Confessions déjà existantes, liberté de les méditer et de les critiquer, liberté d’écrire et de dire. Et tout cela est une bonne nouvelle. Car Dieu ici aura toujours parlé, et car sa Parole aussi sera toujours possible.
Laquelle de ces deux réponses allons-nous faire nôtre ?
Quelque-chose de massivement littéral ? Quelque chose de massivement critique ?
Il existe quantité de positions intermédiaires, et donc quantité d’évolutions.
Le pire n’est pas toujours certain. Des surprises sont toujours possibles.
Bonnes, moins bonnes, très bonnes.
Nous allons ici donner une sorte de recommandation. Elle
nous est suggérée par ce verset de Luc – parole de Jean le Baptiste – sur lequel
s’achève notre extrait. La prédication de Jean le Baptiste est, nous le savons,
une prédication sélective. Elle annonce un grand tri, elle annonce que le
couperet va tomber sur certaines nuques… et nous allons lire cette prédication
tout comme nous aurons lu, et reçu, l’enquête historique de Luc. Ainsi allons
donner cet horizon à nos méditations, et à nos engagements : « Et
tous verront le salut de Dieu. »