samedi 11 décembre 2021

Jean le Baptiste, ou l'ordre de l'Evangile (Luc 3,10-18)

 Luc 3

10 Les foules demandaient à Jean: «Que nous faut-il donc faire?» 11 Il leur répondait: «Si quelqu'un a deux tuniques, qu'il partage avec celui qui n'en a pas; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il fasse de même.» 12 Des collecteurs d'impôts aussi vinrent se faire baptiser et lui dirent: «Maître, que nous faut-il faire?» 13 Il leur dit: «N'exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé.» 14 Des militaires lui demandaient: «Et nous, que nous faut-il faire?» Il leur dit: «Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde.»

 15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie? 16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je vous baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu; 17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la brûlera au feu qui ne s'éteint pas.» 18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.

Prédication

         Lorsque nous lisons l’évangile de Luc à partir de son premier chapitre, et que nous arrivons au deuxième chapitre, nous trouvons le récit de la Nativité que nous lisons en général      pendant la veillée de Noël. Puis, notre lecture continuant, nous faisons la connaissance de Jean le Baptiste (Luc 3) prêchant d’abord un baptême de conversion pour le pardon des péchés, puis accueillant Jésus de Nazareth à son baptême. Ils ont presque le même âge, un âge adulte, une trentaine d’années.

            Ainsi, lorsque nous lisons dans l’ordre les premiers chapitres de l’évangile de Luc, la prédication de Jean le Baptiste précède celle de Jésus. Elle la précède dans le temps, elle la précède aussi dans l’ordre de l’interprétation : cela signifie que si l’on se détourne de la prédication de Jean le Baptiste, si l’on se dispense de la méditer, il y a un risque sérieux de passer à côté de la prédication de Jésus.

             Alors, quelle est la prédication de Jean le Baptiste ? Un baptême de conversion pour le pardon des péchés. L’imminence d’un jugement très sélectif. Aucun moyen d’échapper à ce jugement. Il est nécessaire de produire du fruit…     C’est, en gros, la prédication de Jean le Baptiste. Et il semble que Jean ait eu un certain – peut-être même un grand – succès.

            Comment ce succès se manifestait-il ? Nous lisons qu’il y avait des foules. Nous ne savons pas comment elles manifestaient leur adhésion à la prédication de Jean. Mais nous pouvons imaginer – depuis la nuit des temps les éléments d’une piété de foule sont à peu près toujours les mêmes – des chants, des danses, et toutes sorte de manifestations somatiques, et vocales plus ou moins structurées.

            Ces manifestations étaient-elles souhaitées par Jean le Baptiste ? Nous ne le savons pas d’emblée. Et nous ne le savons pas jusqu’au moment où, émergeant des foules, une certaine question est posée : « Que devons-nous faire ? »

            Ces gens qui ont vécu – nous le supposons – une grande expérience spirituelle, qui ont affirmé vouloir changer de vie, qui ont communié dans la proximité de la fin, etc. posent – cela vient d’eux – une question, une très belle question : « Que devons-nous faire ? » La conversion qu’ils professent veut bien être tendue vers la fin, mais elle veut aussi habiter le présent. La fin viendra mais la fin peut attendre. C’est aujourd’hui qu’il convient d’agir, et cela n’attend pas.

            D’où cette ramification tout à fait pratique de la prédication de Jean le Baptiste. Suivant les dénominations, cette ramification porterait le nom de baptisme social. Vous l’avez entendu, la proposition que fait Jean le Baptiste tient en un verbe : partager, des vêtements et de la nourriture. Partager donc, mais pas seulement. Les collecteurs d’impôts – qui achetaient leur charge – sont invités à ne collecter que le nécessaire. Et les soldats, mercenaires et supplétifs, dont les soldes n’étaient pas trop souvent versées, sont invités à ne pas se payer sur les populations…

            Cette prédication pratique fait suite aux grandes inspirations fin des temps de Jean le Baptiste, et précède la prédication entière de Jésus. C’est ce que nous pouvons constater lorsque nous lisons l’évangile de Luc dans l’ordre du récit.

             Mais aujourd’hui, troisième dimanche de l’Avent 2021, il nous est proposé que la prédication de Jean le Baptiste (Luc 3) vienne avant la Nativité (Luc 2) – et peut-être même avant l’Annonciation et avant la Visitation.

            Pourquoi ? Il nous faut nous souvenir du commencement de l’évangile de Luc. Il nous faut nous souvenir d’apparitions d’anges, de grossesses extraordinaires, d’un prêtre devenu muet, de bergers divinement enseignés, d’envolées d’anges et de cantiques célestes, et nous en oublions. Et nous pourrions en rajouter en puisant dans l’infini répertoire des textes apocryphes : avec des bêtes sauvages venus rendre hommages au Nouveau Né (le lion qui ronronne en bougeant gentiment la queue), avec des gens pleins de doute réclamant – et obtenant – la permission de vérifier que la naissance de cet enfant était bien une naissance virginale.

            L’évangile de Luc est déjà, en lui-même, un peu baroque lorsqu’il s’agit de nativité. Mais les apocryphes sont vraiment rococo. Or, tels textes, telles piétés. Quelles piétés éthérées ces textes-là peuvent-ils avoir inspirées ? Nous ne le savons pas vraiment. Nous pouvons le pressentir ; ça a dû partir dans tous les sens, sans jamais retoucher terre. Piétés d’élite, ou piétés populaires : plus on célèbre ardemment des choses élevées et des révélations sublimes, moins il reste de place pour le prochain (John Steinbeck, Les raisins de la colère, 1939).

            Luc – peut être pas tout seul, peut-être y avait-il une équipe de chercheurs avec lui – Luc donc, ayant mené son enquête soi-disant historique, aura été capable de faire un tri. Le reste de ce tri nous est à peu près connu : les chapitres 1, 2 et 3 de l’évangile de Luc. Nous ne sommes pas absolument certains de ce résultat, évidemment, mais dans ces trois chapitre il y a tout ce qu’il faut de fantastique pour que les esprits s’enflamment, et tout ce qu’il faut aussi pour que les esprits se calment. Tout ce qu’il faut pour que des convictions fantasques trouvent à se fonder, et tout ce qu’il faut pour discuter et contester ces convictions.

            Et puis, ayant ramassé tous ces très beaux épisodes et les ayant ordonnés, ce qui déjà évite l’inflammation des imaginations, Luc met en place la question clé, la question essentielle, la question pratique : « Que ferons-nous ? »

             A cette question Jean le Baptiste, qui est un très grand prédicateur, donne des réponses simples à quantité de personnes. Et dans cette quantité de personnes, tous ceux qui partagent la question sauront trouver une réponse. « 11 «Si quelqu'un a deux tuniques, qu'il partage avec celui qui n'en a pas; si quelqu'un a de quoi manger, qu'il fasse de même.»  13 «N'exigez rien de plus que ce qui vous a été fixé.»  «Ne faites ni violence ni tort à personne, et contentez-vous de votre solde.» Et s’ils ne trouvent pas de réponse immédiate, il ne faudra pas de longs efforts d’imagination pour trouver une réponse personnelle. Il y aura des réponses simples adaptées à chaque vie personnelle.

            Et le monde n’en sera que plus beau.