On doit parfois faire très vite...
Aujourd'hui donc, juste du texte, pas d'images
Luc 1
39 En ce temps-là, Marie partit en hâte pour se rendre dans le haut pays,
dans une ville de Juda.
40 Elle entra dans la
maison de Zacharie et salua Élisabeth.
41 Or, lorsqu’Élisabeth
entendit la salutation de Marie, l'enfant bondit dans son sein et Élisabeth fut
remplie du Saint Esprit.
42 Elle poussa un grand
cri et dit: «Tu es bénie plus que toutes les femmes, béni aussi est le fruit de
ton sein!
43 Comment m'est-il donné
que vienne à moi la mère de mon Seigneur?
44 Car lorsque ta
salutation a retenti à mes oreilles, voici que l'enfant a bondi d'allégresse en
mon sein.
45 Bienheureuse celle qui
a cru: ce qui lui a été dit de la part du Seigneur s'accomplira!»
Michée 5
1
Et toi, Bethléem Ephrata, trop petite pour compter parmi les clans de Juda, de
toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent à
l'antiquité, aux jours d'autrefois.
2 C'est pourquoi, Dieu
les abandonnera jusqu'aux temps où enfantera celle qui doit enfanter. Alors ce
qui subsistera des ses frères rejoindra les fils d'Israël.
3 Il se tiendra debout et
fera paître son troupeau par la puissance du SEIGNEUR, par la majesté du Nom du
SEIGNEUR son Dieu. Ils s'installeront, car il sera grand jusqu'aux confins de
la terre.
4 Lui-même, il sera la
paix. Au cas où Assour entrerait sur notre terre et foulerait nos palais, nous
dresserons contre lui sept bergers, huit princes humains.
Prédication : Vincennes 19 décembre 2021 – d’après
Le Creusot, 20 décembre 2005 (espérance, foi, engagement)
Ainsi donc, Marie, enceinte, se rendit
un jour chez Élisabeth, sa parente, qui était enceinte, elle aussi, et en était
au sixième mois. Dans cet épisode, ce ne sont pas seulement deux femmes qui se
rencontrèrent, mais deux visages de l’espérance. Nous allons méditer ces deux
visages de l’espérance. Et nous verrons comment ils se rencontrent.
Nous avons le souvenir de plusieurs vieux couples bibliques, dont ceux
formés par Sarah et Abraham, par Manoah (Juges 13) et sa femme, et par
Élisabeth et Zacharie, son mari, qui était prêtre. Pour une femme de ces temps-là,
ne pas mettre d’enfants au monde était une honte. Concevoir était donc son
espérance et enfanter l’accomplissement suprême de cette espérance. Élisabeth, en
son sixième mois, est donc sur le point de voir s’accomplir de son vivant ce
qu’elle a espéré. L’accomplissement de cette espérance de femme, de cette
espérance de vieux couple, même si l’ange l’avait prédite, requerrait une œuvre
de ce vieux couple… on ne devient pas enceinte comme ça. Quel visage de
l’espérance est donc celui que représente Élisabeth ? Celui d’une
espérance qu’un être humain peut voir s’accomplir au cours de sa vie, pourvu
qu’il se consacre à cet accomplissement. C’est ainsi. Il y a une certaine forme
d’espérance qui ne peut s’accomplir qu’à la condition que ceux qui espèrent
s’engagent concrètement, et qui ne s’accomplira jamais s’ils ne s’y engagent
pas. Ainsi l’espérance de la moisson requiert la tâche de labourer, et la tâche
de semer. Et c’est à la fin de la saison que vient le temps de la récolte.
L’enfant de Zacharie et d’Élisabeth arrivera en son temps. L’espérance
s’accomplit donc dans une perspective laborieuse, temporelle, et personnelle. Peut-être
est-il possible d’appeler ces espérances-là du nom d’espérance laborieuse…
En face de cette forme d’espérance
que représente Élisabeth, il y a une autre forme, que représente Marie. Marie
est aussi une femme enceinte. Mais l’origine de la grossesse de Marie, nous
l’avons tous souvent lu et souvent confessé, est d’une toute autre nature que
l’origine de la grossesse d’Élisabeth. Marie n’a en rien œuvré pour cette
grossesse. Aussi peut-on dire que le visage de l’accomplissement de l’espérance
de Marie se situe hors de la chaîne des causes et des effets. « Il la
connut, elle conçut et elle enfanta », trois verbes inséparables, et qui
sont les causes et les effets, Adam et Ève sont les premiers dans la Bible au
sujet desquels cela est dit… mais s’agissant de Marie ? « L’Esprit
Saint viendra sur toi et la puissance du Très-Haut te couvrira de son
ombre. » L’accomplissement de l’espérance relève alors uniquement de la
grâce divine : Marie n’a aucun projet et n’accomplit aucune œuvre. Et
celui qui apparaît fait brèche dans le cours trop continu de l’histoire. Ce
n’est pas un enfant qui naît mais « le Fils du Très-Haut » qui
recevra « le trône de David son père » et dont le « règne n’aura
pas de fin ». Et cet enfant, le fruit de cette divine espérance, ne sera
en aucun cas enfant de Marie, puisqu’elle se déclare sans détour « esclave
du Seigneur » (les enfants des esclaves n’appartenaient pas à leur parents
mais à leur maître). Le fruit de l’accomplissement d’une espérance comme celle
de Marie advient donc par pure grâce, et est offert à celui à qui il advient
comme à tous ceux qui l’attendent. Ainsi pouvons-nous conclure qu’une espérance
comme celle de Marie s’accomplit d’une manière gratuite, intemporelle et
collective.
En face de l’espérance laborieuse d’Élisabeth, il y a la divine espérance de Marie.
Pour essayer mieux distinguer encore
ces deux visages de l’espérance, nous pouvons nous souvenir un instant de la
chanson des Restos du cœur : « Je te promets pas le grand soir, mais
juste à manger et à boire, un peu de pain et de chaleur… » Il appartient
aux êtres humains de donner un peu de pain et de chaleur, et ils peuvent le
faire. Ils le voient s’accomplir, parce qu’ils le font s’accomplir… et c’est le
visage de l’espérance selon Élisabeth. Quant au grand soir, à ce grand soir qui
verra s’accomplir toute justice et toute paix, cela n’appartient pas aux
humains... A Dieu seul, pour qui croit en Dieu, en revient l’initiative et la
gloire.
Et maintenant, interrogeons-nous.
Lorsque quelque chose que nous avons espéré s’accomplit pour nous, est-ce le
visage de la divine espérance que représente Marie, ou est-ce celui de
l’espérance laborieuse que représente Élisabeth ? Est-ce la grâce, est-ce
le labeur ?
Dans le récit de la Visitation,
Marie se met en route vers Élisabeth – et pas le contraire. Cela nous suggère
que la grâce vient à la rencontre du labeur. Pour revenir à une métaphore
agricole, labourer et semer n’aboutit à une récolte que si grâce est faite
d’une saison favorable… Si l’on veut même donner du poids au récit de la Visitation,
on dira que l’espérance de toute œuvre humaine ne peut se réaliser sans une
participation de la divine grâce. Ce qui aura pour conséquence que le fruit
d’une œuvre, le profit, le produit d’une œuvre, n’appartiendra jamais
totalement à celui qui l’aura entreprise. Il devrait être partagé, tout comme
le « Fils du Très-Haut », pur fruit de la grâce, est partagé entre
toute l’humanité. La grâce donc vient à la rencontre du labeur, et de cette
rencontre l’exigence du partage jaillit comme une évidence.
Mais Élisabeth n’a pas attendu la
visite de Marie pour entreprendre ce que son espérance appelait. Lorsque Marie
lui rend visite, Élisabeth en est à son sixième mois. Ce qui nous suggère que
l’espérance appelle l’engagement, et que la grâce vient par surcroît. Ce que
nous espérons, il nous faut le mettre en œuvre, nous y consacrer, résolument.
Le labeur précède donc la grâce, dans notre récit. Celui qui se consacre à la
mise en œuvre de son espérance peut bien s’il le veut demander l’assistance de
la grâce, mais celle-ci pourra aussi se manifester, comme Marie, sans y avoir été invitée.
Ne pensons surtout pas que sans
l’engagement et sans l’invocation, rien n’adviendrait et que tout serait voué à
l’échec. Il y a, dans chaque vie humaine, un événement essentiel qui advient
par pure grâce et sans engagement aucun de celui qui en bénéficie :
naître ! Et certaines rencontres, certains beaux moments de la vie,
adviennent aussi de la même manière, sans qu’on s’y soit engagé, sans même
qu’on les ait espérés. Puissions-nous les reconnaître, les accueillir et, comme
Marie, en partager infiniment le fruit.
Au bilan, nul n’est jamais
entièrement propriétaire des fruits de ses œuvres, car nulle œuvre ne porte du
fruit qu’elle n’ait été visitée par la grâce. Mais la grâce peut aussi parfois
se passer de nos œuvres et choisir de nous visiter.
Ceci étant dit, il reste que
certains prient, espèrent, s’engagent au nom de leur espérance, et rien
n’advient, que l’échec, que le malheur, sans accomplissement aucun, ni
visitation. Dieu parfois ignore les engagements et les espérances des humains,
se tait sur leurs malheurs, et ne soutient même en rien ceux qui espèreraient
soulager ces malheurs. Que dire ? Murmurons qu’il relève du mystère de
Dieu que grâce nous soit faite et que nos espérances s’accomplissent ;
murmurons qu’il relève aussi du mystère de Dieu que tout se dérobe parfois, que
tout nous échappe et que nous soyons éprouvés. Murmurons cela, puis,
taisons-nous sur le mystère de Dieu.
Il ne reste alors qu’une seule chose à faire : partager les mots
de l’espérance, relire les prophètes. Pensons aux générations qui ont lu le
prophète Michée, comme nous l’avons fait aujourd’hui, sans que jamais elles ne
voient enfanter celle qui doit enfanter. Faisons aussi mémoire de ces anciennes
visitations, de ces anciennes manifestations de la grâce, qui ont été
infiniment partagées et qui sont ainsi toujours actuelles. Il reste possible de
lire, méditer, prier, chanter le Magnificat, comme nous l’avons fait, célébrer
le repas du Seigneur… La liturgie est parfois l’ultime reste de l’espérance. Et
là, dans l’impuissance la plus avérée, l’on peut s’en remettre totalement à
Dieu.
Je crois qu’à cette ultime prière Dieu n’est jamais indifférent. Amen
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