Luc 21
25 «Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles, et sur la terre les nations seront dans l'angoisse, épouvantées par le fracas de la mer et son agitation, 26 tandis que les hommes défailliront de frayeur dans la crainte des malheurs arrivant sur le monde; car les puissances des cieux seront ébranlées. 27 Alors, ils verront le Fils de l'homme venir entouré d'une nuée dans la plénitude de la puissance et de la gloire. 28 «Quand ces événements commenceront à se produire, redressez-vous et relevez la tête, car votre délivrance est proche.» 29 Et il leur dit une comparaison: «Voyez le figuier et tous les arbres: 30 dès qu'ils bourgeonnent vous savez de vous-mêmes, à les voir, que déjà l'été est proche. 31 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Règne de Dieu est proche. 32 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout n'arrive. 33 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. 34 «Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que vos cœurs ne s'alourdissent dans l'ivresse, les beuveries et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l'improviste, 35 comme un filet; car il s'abattra sur tous ceux qui se trouvent sur la face de la terre entière. 36 Mais restez éveillés dans une prière de tous les instants pour être jugés dignes d'échapper à tous ces événements à venir et de vous tenir debout devant le Fils de l'homme.»
Prédication
Il y a peu de temps, les textes qui étaient proposés à
notre méditation du dimanche étaient déjà des textes de fin des temps. Et c’est
sous l’apparence d’une fin des temps qu’était évoquée la fin de l’année
liturgique. La fête du Christ Roi approchait. Ainsi évoquée, elle ne serait pas
la fin d’un cycle avant un recommencement, mais la fin. Ce serait fini. Car
lorsque le Christ se manifeste dans la plénitude de sa royauté, c’est, pour
toujours, la fin de la liturgie, car la liturgie est devenue inutile.
Mais ce moment n’est pas encore venu. Et nous revoilà
donc, un dimanche plus tard, avec des textes assez semblables à ceux que nous
avons déjà lus, essayant de nous préparer à une autre manifestation de la
royauté du Christ : Noël. C’est bien vers Noël que nos regards se portent.
Mais le temps présent reste chargé du temps d’avant. Le
temps d’avant ne passe pas, il colle, il ne nous lâche pas : et revoici alors
encore la soi-disant connaissance des signes de la fin des temps, revoici les
catastrophes, revoici aussi les arbres qui bourgeonnent, et voici pour nous les
ordres auxquels obéir : tenez-vous
sur vos gardes de peur que… et surtout restez éveillés dans une prière de tous les instants pour être jugés
dignes d'échapper à tous ces événements à venir et de vous tenir debout devant
le Fils de l'homme. Nous avons déjà vu presque tout cela.
Nous disons presque tout. Car ici toute une vigilance est proposée au titre de laquelle, si vous la mettez en œuvre, vous serez jugés dignes d’échapper aux horreurs à venir, et dignes aussi de regarder Dieu face à face et droit dans les yeux… ce qui semble être une sacrée récompense. Sacrée récompense, liée à une tâche considérable, une tâche de tous les instants, et à durée illimitée. Et à la fin, si l’on a tenu, on est trouvé dignes, d’une dignité qu’on ne doit qu’à ses propres efforts.
Ce genre de mérite n’est pas vraiment ce que nous
prêchons dans nos sermons ni que nous proclamons dans nos liturgies… Pourtant l’évangile
de ce jour vient là nous parler d’efforts méritoires…
Il pourrait – vous me connaissez un peu maintenant – y
avoir là un problème de texte et une difficulté de traduction. Et oui, il y a…
la Traduction Œcuménique de la Bible, que nous avons lue, donne là (v.36) une traduction
qu’elle est bien la seule à donner dans le concert des traductions françaises. Cette
traduction, nous pourrions juste la mettre de côté. Plutôt que de le faire,
nous allons méditer sur la préparation, sur notre préparation. Suis-je prêt,
suis-je prête ? Prêt, prête, à quoi ?
Et bien, ces dernières semaines, nous avons eu à évoquer
la fin des temps, présente ici et là dans la Bible. Et devant les collections
d’événements prédits nous pouvions – nous pouvons encore – nous demander :
sommes-nous prêts ? Et nous pouvions – nous pouvons encore – faire remarquer
aux auteurs bibliques que les signes de la fin dont ils nous font part ne sont
pas des signes de la fin de quoi que ce soit, mais plutôt des signes d’un
présent momentanément devenu fou. Ces listes de signes stimulent notre
imagination. Si bien que nous pouvons considérer que, oui, cela prépare. Par ce
travail de l’imagination les esprits se
préparent. Mais ils ne se préparent qu’à ce qui peut être imaginé. Mais peut-on
être prêt à ce qui ne peut pas être imaginé ? Prêt à l’inimaginable, qu’est-ce
que cela signifie ?
Être prêt à l’inimaginable. Nous pouvons nous souvenir
des attentats qui eurent lieu aux USA le 11 septembre 2001. Le premier impact
avait eu lieu le matin, à 8h46. Mais tard dans la soirée, devant le petit
écran, sidérés, nous voyions et revoyions toujours les mêmes images qui
tournaient en boucle. Sans le savoir, nous prenions la mesure de ce que nous n’étions
pas prêts à ce qui arrivait. Un de mes fils, quatre ans à l’époque, nous le fit
savoir en nous disant, avec une certaine véhémence : « Les images, on
les a vues. Maintenant on va manger. » Et on est allés manger.
La mesure de notre impréparation était prise : nous avions négligé des tâches vitales. Quant à être prêt, cela apparaissait ainsi : être prêt, c’est être trouvé capable de persister dans ce qui est vital, quoi qu’il arrive. L’enfant nous l’avait plutôt bien dit. Il était mieux que nous campé dans la parole, première perspective vitale, et il était mieux que nous resté campé dans l’idée de manger, deuxième perspective vitale. Parler, et manger : être prêt, n’est-ce pas aussi simple que cela ? Seras-tu prêt ? Serons-nous prêts ? Nous n’étions pas prêts. Quelque chose aurait-il pu contribuer à notre préparation ?
Vient le temps de l’Avent. Nous lisons dans la Bible des
extraits bien choisis, et revoilà sous nos yeux des listes d’événements et
autres cataclysmes que la lecture et la méditation nous ont rendus presque familiers.
Peut-être bien que nous serions prêts si cela venait à s’abattre sur nous. Peut-être
même que la lecture et la méditation approfondies de ces textes auraient pu
nous rendre prêts à l’avènement du Fils de l’homme. De sorte que s’il arrivait
maintenant, nous pourrions nous tenir debout, face à Lui, les yeux dans les
yeux. Alors s’accompliraient ces versets que nous méditons, qui n’apparaissent
que dans Luc : « être jugés dignes d’échapper à tous ces
événements à venir… »
Qu’on veuille ou pas parler de dignité, et que cette
dignité nous soit donnée d’en-haut, ou résulte de notre persistance dans la
prière et dans l’écoute de la prédication, c’est tout un. Cette dignité est là.
Et là aussi est l’avènement du Fils de l’homme : on est prêt.
A la fin du temps de l’Avent, c’est l’avènement du Fils
de l’homme. A quoi va-t-on reconnaître cet avènement ? A de grands
prodiges dans le ciel et sur la terre ? Nous pouvons faire les savants et
réciter l’évangile de Luc. Mais une récitation passe à côté de ce qui est
annoncé, à savoir que c’est dans la prière et dans la méditation que l’on se
prépare. On attend, et il s’agit bien de continuer toujours à nourrir cette
attente. En plus, une récitation passerait à côté de ce que l’évangile de Luc
veut proposer : il veut que ce qu’il annonce reste pour toujours sans préparation possible. Aussi, lorsque le Fils de
l’homme advient (Luc 2), même lorsque nous célébrons Bethléem, il nous faut
nous en tenir aux questions de notre préparation et de notre impréparation. Être
prêts à reconnaître en l’enfant Jésus de la crèche celui qui est le Fils de l’homme
ne nous est pas bien difficile : nous y sommes préparés, nous y sommes
entraînés…
Mais pour l’impréparation, c’est autre chose. Considérons
la rupture qu’il y a entre le Prince du Ciel et l’enfant de Bethléem, et
imaginons une même rupture entre l’enfant de Bethléem et… et quoi ?
Ceci : l’avènement du Fils de l’homme se produit aujourd’hui
dans la mise au monde d’un petit mâle de l’espèce humaine. En plus si notre
monde est moins un monde masculin, qu’il ne le fut jadis, le Fils de l’homme
pourrait bien être une fille.
Et ainsi, l’avènement du Fils de l’Homme ne signe pas la
fin de l’espèce humaine mais son infini recommencement, une génération après
l’autre. Revient la question que nous posons depuis tout à l’heure :
« A cela seras tu prêt ? ». « Seras-tu prêt à ce à quoi tu
n’es pas prêt ? »
Je crois qu’à cette question nous pouvons répondre :
« Je serai prêt, je serai prête », tout en persistant dans nos
engagements. Amen