Marc 13
24 «Mais en ces jours-là, après cette détresse, le soleil s'obscurcira, la lune ne brillera plus, 25 les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées. 26 Alors on verra le Fils de l'homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire. 27 Alors il enverra les anges et, des quatre vents, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel, il rassemblera ses élus. 28 «Comprenez cette comparaison empruntée au figuier: dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l'été est proche. 29 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos portes. 30 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive. 31 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas. 32 Mais ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père.
Prédication :
C’était la semaine
dernière, et, souvenez-vous, dans l’évangile proposé à notre méditation, il
était question du tronc destiné à recueillir les offrandes des fidèles au
Temple de Jérusalem. « Beaucoup de riches mettaient beaucoup. Vint une
veuve pauvre qui mit deux pièces minuscules… » Et Jésus y alla de son
commentaire, expliquant que la veuve avait mis, en fait, plus que tous les
autres (Marc 12,41-ss).
Puis Jésus quitta le
Temple. L’un de ses disciples lui dit : « Maître regarde :
quelles pierres, quelles constructions ! » La réponse de Jésus fut
cinglante.
Cette réponse dure un chapitre entier (Marc 13), qui est un chapitre ultime.
Et donc, dit Jésus,
« Il ne restera pas pierre sur pierre, tout sera détruit. » Que
viennent faire les textes de révélation – les textes d’apocalypse dans
l’évangile, c'est-à-dire dans la bouche de Jésus ?
Nous avons l’habitude de
voir apparaître dans l’évangile toutes sortes de discours bien typés. Discours
des Baptistes, celui des Pharisiens, celui des Scribes, celui des
Grands-Prêtres et des Anciens, celui des Foules, celui des Riches… Et nous
avons l’habitude de voir Jésus répondre aux interpellations spécifiques de
chacun de ces groupes. Que fait Jésus, dans toutes ces circonstances ? Il
annonce l’Évangile. Bien sûr, il annonce l’Évangile. Mais l’Évangile n’est pas
un discours abstrait qui volerait au-dessus du monde et se poserait ici ou là
sans considérations aucune d’événements et de circonstances. L’Évangile, qui
est Évangile de Jésus Christ Fils de Dieu, a vocation à être une bonne nouvelle
– la proposition d’une bonne nouvelle – pour chacune et chacun. Seulement
chacune et chacun est toujours d’abord – il en va ainsi de l’humanité – habité
et déterminé par les discours bien ficelés des groupes dans lesquels il est né
et qu’il n’a pas choisis ; chacun est toujours aussi habité par les
discours aussi bien ficelés qu’il s’est choisis en grandissant.
Comment Jésus pourrait-il s’adresser à chacun de ses contemporains, ami ou ennemi, disciples où détracteurs, s’il ne s’exprimait pas d’une manière qu’ils puissent comprendre ?
Le langage que Jésus
emploie dans les quelques versets du 13ème chapitre de Marc est
celui de la fin des temps, on l’appelle apocalyptique, ce qui signifie
dévoilement. Quelque chose est voilé qui va être dévoilé, ou, plus précisément,
quelque chose est dévoilé, là, maintenant, pendant que je parle – propos
caractéristique des prédicateurs de la fin des temps.
Et tout au long du 13ème
chapitre de Marc, Jésus, répondant à l’exclamation d’un disciple – Maître,
regarde : quelles pierres, quelles constructions ! – va se
transformer en prédicateur d’apocalypse et donner sa version de la fin des
temps. Disons-le, dans cet exercice, Jésus n’est guère original. Il n’est guère
original parce que le genre littéraire ne se prête guère à l’originalité. Lorsqu’il
s’agit de mettre tout sens dessus dessous, les éléments de la narration ne vont
qu’en petit nombre, et toujours les mêmes. Ce qui est en haut tombe en bas, et
ce qui est en bas est pulvérisé. Et puisque les lois du genre imposent que les
gens meurent en grand nombre, il en va de conquêtes brutales, d’épidémies
cruelles et de catastrophes naturelles voraces… Les signes de l’imminence de la
fin des temps sont les mêmes depuis toujours. Depuis seulement presque
toujours, car un ou deux siècles avant Jésus Christ, des pensées religieuses
orientales – disons Perses – capables d’accueillir dans leurs discours toutes
sortes de personnages divins, insuffleront dans le monothéisme des Israélites
quantité d’anges dont un ange Michel, capable de terrasser le dragon
(Apocalypse 12,7) et d’un ange Gabriel... pour ne parler que des deux plus
connus.
L’apocalypse selon Jésus
Christ, telle que la présente l’évangile de Marc, est extrêmement sobre. Elle
obéit bien entendu aux lois du genre. Mais elle ne pèse pas lourd, 1 seul
chapitre de 37 versets, en face de l’apocalypse selon Jean, 22 chapitres, en
face aussi d’œuvres comme celle de Daniel.
Dans Marc, donc, ce qui
peut être détruit est détruit, tout ce qui peut guerroyer guerroie, le tout
avec des propos trompeurs et quelques oracles sibyllins, le tout sans aucune
originalité. Et Jésus – Marc – a dû avoir une conscience claire de ce qu’il
entendait faire, puisqu’il affirme ceci : « Prenez garde ; je
vous ai prévenus de tout. » (Marc 13,23). Cette mise en garde typiquement
apocalyptique est pour ainsi dire démolie par l’affirmation « Je vous ai
prévenus de tout. » Prendre garde suppose un regard soutenu, suppose aussi
une attention permanente ; qui peut aller jusqu’à l’obsession. Alors qu’il
n’y a nulle inquiétude qui tienne, ni aucun besoin de conversion, pour ceux
qui, marchant à la suite de Jésus Christ, voient bien que les signes des temps
sont depuis toujours accomplis, en train de s’accomplir et entendent dire
« je vous ai prévenus de tout. »
Et ainsi donc encore, ayant été prévenus de tout, les auditeurs – lecteurs – de l’apocalypse selon Jésus ne ressentiront ni trouble grave de l’humeur ni jubilation excessive lorsqu’arriveront de grandes catastrophes cosmiques censées inaugurer la fin de la fin des temps.
Mais tout ceci étant dit,
nous pouvons encore imaginer que la prédication apocalyptique de Jésus,
nettoyée pourtant de quantité de propos merveilleux, et modérée dans son fond
par des phrases comme « je vous ai prévenus de tout »… même ainsi
modérée, cette prédication peut être reçue et proposée comme une révélation,
comme un texte ésotérique, comme le propos que ceux qui savent adressent, du
haut de leur chaire, à ceux qui ignorent et craignent. Toute prédication, même
celle de Jésus Christ, peut être détournée de ses fins.
Raison pour laquelle la
prédication de Jésus rebondit encore. Après qu’il ait été abondamment question
de ce qui va se passer, il reste une question évidente : « Quand cela
va-t-il se passer ? » Nous avons déjà eu un élément de réponse tout à
l’heure : cela s’est toujours passé et cela se passe maintenant. Oui,
disons-nous, mais, quand donc cela va-t-il finir ? Des signes, encore des
signes de la fin, toujours les mêmes dans les mêmes énumérations. Sauf que,
ceci :
(1) signe des temps :
et puis des figuiers qui bourgeonnent. Signes de la fin ? Les figuiers
bourgeonnent chaque année. Certains figuiers sont très fantaisiste. Et si l’on
veut bien voir dans ce bourgeonnement un signe de la fin des temps, c’est une
fin des temps heureuse qu’il nous faut imaginer, les figues sont délicieuses et
la boukha enivrante. Cette année ? L’année prochaine ? Tant que
dureront les saisons ?
(2) promesse : et
quand bien même les saisons cesseraient de passer, « mes paroles ne
passeront pas. » Et donc, s’agissant d’une méditation évangélique de la fin des temps, elle pourra toujours être
recommencée : la perpétuité de la parole de Jésus Christ, la perpétuité de
l’Évangile, est une promesse pour toutes les générations.
(3) promesse pour
qui ? Nous avons lu : « cette génération ne passera pas que tout
cela n’arrive ». Las, nous savons que cela n’est pas arrivé pour cette
génération, ni pour les 80 générations environ qui se sont suivies jusqu’à
nous. Jésus parlait sans doute en araméen, mais l’auteur de l’évangile, lui,
parlait en grec. Alors voici une autre promesse, avec les mêmes mots :
« cette engeance ne passera pas que tout cela n’arrive. » Engeance
est souvent utilisé en mal… Ce genre, le genre humain, ne passera pas. La
promesse est perpétuelle. Et elle est pour chacune et chacun.
(4) Et quant aux prédicateurs de l’imminence de la fin des temps, ceux qui savent quoi, comment et quand, il leur est proposé ceci – grande, si ce n’est définitive – modération de leurs ardeurs : « Mais ce jour et cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne, si ce n’est le Père. »
Dieu sait. Et nous
ignorons. C’est sur cette ignorance que nous allons clore ce sermon. Au titre
de cette ignorance, nous remettons toutes choses à Dieu. En le priant de nous
mener où il veut nous mener, et que sa volonté s’accomplisse. Amen
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