mardi 2 novembre 2021

Dans le Royaume de Dieu (Marc 12,28-34)

Marc 12

28 Un scribe s'avança. Il les avait entendus discuter et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda: «Quel est le premier de tous les commandements?»  

29 Jésus répondit: «Le premier, c'est: Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur;  30 tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force.  31 Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là.»  

32 Le scribe lui dit: «Très bien, Maître, tu as dit vrai: Il est unique et il n'y en a pas d'autre que lui, 33 et l'aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices.»

 34 Jésus, voyant qu'il avait répondu avec sagesse, lui dit: «Tu n'es pas loin du Royaume de Dieu.» Et personne n'osait plus l'interroger. 

Prédication

            Tu n’es pas loin du royaume de Dieu, déclaration de Jésus à un scribe – un spécialiste des Saintes Écritures.

            Mais où est donc le Royaume de Dieu ? Au ciel (pour ceux qui prient le Notre Père) ? Et qu’est-ce que le Royaume de Dieu ? Là où Dieu règne, soit. Mais encore ? Peut-on en savoir d’avantage ? Et enfin, quand donc arrivera-t-il, ce Royaume, de notre vivant, ou au-delà de notre mort ?

            La liste de questions que nous venons de poser peut s’allonger encore et, ça serait peut-être pire, peut se transformer à n’importe quel moment en une liste de réponses autorisées, et données pour certaines...

            Il est dans le Royaume de Dieu celui qui … Cette phrase  va trouver autant de fins possibles que de questions préalablement posées. Surtout si questions et réponses sont élaborées par des spécialistes des Saintes Écritures – un scribe – clairement amical – mais aussi par d’autres spécialistes – Hérodiens, Pharisiens – dont les intentions vis-à-vis de Jésus sont, elles, clairement hostiles.

            Il est dans le Royaume de Dieu celui qui … Parmi ces réponses possibles, il y en a qui mettent en jeu la spéculation sur après la mort, et la soumission à l’occupant romain. Cette dernière peut avoir des conséquences mortelles. De plus, qui donc si ce n’est Dieu peut décider qu’untel ou tel autre est, ou sera, dans le Royaume de Dieu ? Affirmer qu’untel ou tel autre y sera, c’est se mettre à la place de Dieu, c’est  blasphémer, et donc mériter la mort. Jésus sera un jour ainsi interrogé. Mais en suivant le récit de l’évangile de Marc, au chapitre 12, il est trop tôt pour l’ultime interrogatoire de Jésus, qui aura lieu pendant la Passion.

            Avec ces premiers faisceaux de questions, et de réponses, nous allons retenir que, même si Jésus fait attention à la manière de le dire, il signifie ceci au Scribe venu l’interroger : tu es dans le Royaume de Dieu.

            Et c’est avec ce résultat que nous allons nous demander, en lisant le dialogue qui nous est proposé, ce que peut bien signifier que le Scribe est dans le Royaume de Dieu. Nous allons faire cela en quatre points.

 

            Premier point (Marc 12,28 et 32), le scribe voit que Jésus a bien répondu. Qu’est-ce que bien répondre ? Jésus avait fait à ses autres interlocuteurs le procès d’être égarés, d’être des faussaires, voire des fossoyeurs… Ils se trompent, et ils trompent…Voici la fin de l’entretien précédant, parole de Jésus « Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Vous êtes absolument dans l’erreur. »

            Le Scribe – nous dit le narrateur – considéra que Jésus avait bien répondu. Or, bien répondre, qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce faire une réponse conforme au catéchisme, ou au dogme du mouvement auquel on appartient ? Peut-être. Mais cela peut être aussi faire une réponse à la hauteur d’une forme concrète de l’espérance, une réponse dont l’audition vous donne – ou vous rend – un certain regard sur le réel, un regard renouvelé, voire éclairci. Et donc une réponse qui a à voir avec la consolation, avec la joie retrouvée, joie de croire, en somme, en Dieu qui est le Dieu des vivants.

            Nous allons donc affirmer, en revenant vers le Scribe, que celui qui est capable de reconnaître, de saluer et d’accueillir une bonne réponse venant d’un autre, réponse portant la distinction entre Dieu des morts et Dieu des vivants, est dans le Royaume de Dieu.

 

            Deuxième point (Marc 12,30 et 33), le commandement d’aimer Dieu de toutes les manières possibles peut recevoir plusieurs formulations – la langue grecque est assez riche en vocabulaire abstrait, notamment pour parler d’intelligence.

            « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur… de toute ta pensée… » C’est le premier commandement, énoncé par Jésus en réponse à la question du Scribe. Et c’est le mot pensée qui doit retenir notre attention (du grec dianoïa - διανοία), qui nous suggère une activité intellectuelle plutôt continue, une activité intellectuelle qui traverse et perfore le réel.

            Mais, bien qu’en accord parfait avec Jésus, le Scribe va ajouter ceci « … (aimer Dieu) de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force… » Et le mot que le scribe emploie pour parler d’intelligence (cette fois sunésis - σύνεσις) évoque l’association en une sorte d’assemblage d’élément différents les uns des autres. Comme un bouquet de fleurs des champs au printemps est composé d’une grande variété d’essences.

            La pensée de Dieu selon le Scribe, et la pensé de Dieu selon Jésus, reposent sur des propositions différentes, mais elles ne sont pas concurrentes. Elles ne sont pas l’enjeu d’un enseignement magistral, mais bien plutôt l’occasion d’un véritable partage.

            Ces deux pensées mises côte à côte nous permettent de suggérer que ceux dont la pensée de Dieu est consistante, bibliquement fondée, et ne fait pas obstacle à un dialogue fraternel, sont ensemble dans le Royaume de Dieu.

 

            Troisième point (Marc 12,33), dans la seconde réplique du Scribe, nous recueillons ceci : « … (aimer Dieu) de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices.» Que signifie donc ce « cela vaut mieux » ?

            A Jérusalem, la dispute entre le Temple et les prophètes est tellement ancienne qu’on peut dire qu’elle a commencé avant même l’existence du Temple. A l’époque de Jésus, elle prend la forme que nous voyons ici, celle d’un antagonisme. Le Temple et ses sacrifices d’un côté, et, en face, l’amour de Dieu et du prochain. Le rituel réputé ancien et inamovible, contre l’actualité toujours nouvelle de l’amour de Dieu et du prochain. Mais à le considérer trop schématiquement, on ferait comme si aucune sincérité n’était possible au Temple, et comme si aucune hypocrisie n’était possible dans l‘amour. Or, nous savons bien qu’il peut y avoir partout des gens sincères, partout des hypocrites, mais nous ne savons pas forcément a priori qui est qui et à qui nous avons affaire... Alors nous devons tenir compte de cette observation lorsque nous lisons « cela vaut mieux que tous les holocaustes et les sacrifices. »

            Aimer Dieu et le prochain, c’est le superlatif du culte sacrificiel. Entendons l’immense différence, entendons aussi la continuité.

            Et concluons, sur ce point, en disant qu’il est dans le Royaume de Dieu, celui qui, dans tout ce qu’il entreprend en matière de religion, reste aussi profondément modéré qu’il est profondément engagé.

 

            Quatrième point (Marc 12,34) Par deux fois, nous avons lu que, selon le Scribe, Jésus avait bien parlé, non pas convenablement, mais bien, au sens du bon, au service de la vie. Au tour de Jésus, maintenant, de se prononcer : « Jésus voyant que le scribe avait répondu avec sagesse… » Ou avec intelligence, (encore un autre terme, nounékos - νουνεχῶς) ou plein de sens, ou prudemment, ou judicieusement, selon les traducteurs. La diversité des traductions signale souvent un certain enjeu, et cet enjeu, nous l’avons discerné dès le début de notre méditation, c’est la déclaration : Tu es dans le Royaume de Dieu. Cet enjeu nous contraint à éliminer sans hésitation tout propos qui ferait de ce Scribe un homme sûr de son fait et de ses droits en matière de religion. C’est pourquoi, parmi les traductions possibles du mot qui caractérise cet homme, le mot de sagesse est peut-être le plus indiqué. Mais la sagesse est bien trop souvent portée aux nues par des gens qui négligent que l’une de ses caractéristiques essentielles est précisément de ne pas se connaître comme sage.

            Alors, ce scribe anonyme, unique interlocuteur de choix pour Jésus Christ Fils de Dieu, nous allons le dire lucide. Il est lucide sur ce qu’il entend dire par les ennemis de Jésus, lucide sur ce qu’il dit lui-même, et lucide enfin sur ce que Jésus dit. « Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Tu n’en es pas loin, et, en fait, tu y es. Tu y es dans tes méditations personnelles, tu y es dans notre dialogue, même si tu n’y es pas selon les canons et selon les personnes autorisées. Telle est la lucidité : les affirmations les plus belles qui puissent être formulées, parce qu’elles appartiennent au langage humain, ont toutes sortes d’ébréchures, toutes sortes de significations possibles, pour maudire, et aussi pour bénir.

 

            Mais qu’en est-il, à la fin, nous demandons-nous ? Même si nous sommes très certains de ce que nous avançons, très certains de la pertinence de nos propos et de la puissance de nos rituels, il nous faut, croyants que nous sommes, rendre gloire à celui en qui nous croyons et nous en tenir à la foi.

            Comment allons-nous le faire ? Aujourd’hui, fête de la Réformation, nous allons le faire en nous souvenant d’un verset biblique que Jean Calvin (1509-1564) a jugé essentiel alors qu’il méditait sur les marques de l’Église visible : Dieu seul connaît ceux qui sont les siens (d’après 2 Timothée 2,19 et Institution de la Religion Chrétienne IV-I-8).

            Puissions-nous nous en souvenir, dans toutes nos situations de face à face avec nos frères.  Et que Dieu nous soit en aide. Amen

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