Marc 12
28 Un scribe s'avança. Il les avait entendus discuter et voyait que Jésus leur avait bien répondu. Il lui demanda: «Quel est le premier de tous les commandements?»
29 Jésus répondit: «Le premier, c'est: Écoute, Israël, le Seigneur notre Dieu est l'unique Seigneur; 30 tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta pensée et de toute ta force. 31 Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n'y a pas d'autre commandement plus grand que ceux-là.»
32 Le scribe lui dit: «Très bien, Maître, tu as dit vrai: Il est unique et il n'y en a pas d'autre que lui, 33 et l'aimer de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous les holocaustes et sacrifices.»
34 Jésus, voyant qu'il avait répondu avec sagesse, lui dit: «Tu n'es pas loin du Royaume de Dieu.» Et personne n'osait plus l'interroger.
Prédication
Tu n’es pas loin du royaume de Dieu, déclaration de Jésus à un scribe – un spécialiste des Saintes Écritures.
Mais où est donc le
Royaume de Dieu ? Au ciel (pour ceux qui prient le Notre Père) ? Et qu’est-ce
que le Royaume de Dieu ? Là où Dieu règne, soit. Mais encore ? Peut-on
en savoir d’avantage ? Et enfin, quand donc arrivera-t-il, ce Royaume, de
notre vivant, ou au-delà de notre mort ?
La liste de questions que nous venons de poser peut s’allonger encore et, ça serait peut-être pire, peut se transformer à n’importe quel moment en une liste de réponses autorisées, et données pour certaines...
Il est dans le Royaume de
Dieu celui qui … Cette phrase va trouver
autant de fins possibles que de questions préalablement posées. Surtout si
questions et réponses sont élaborées par des spécialistes des Saintes Écritures
– un scribe – clairement amical – mais aussi par d’autres spécialistes –
Hérodiens, Pharisiens – dont les intentions vis-à-vis de Jésus sont, elles,
clairement hostiles.
Il est dans le Royaume de
Dieu celui qui … Parmi ces réponses possibles, il y en a qui mettent en jeu la
spéculation sur après la mort, et la soumission à l’occupant romain. Cette
dernière peut avoir des conséquences mortelles. De plus, qui donc si ce n’est
Dieu peut décider qu’untel ou tel autre est, ou sera, dans le Royaume de
Dieu ? Affirmer qu’untel ou tel autre y sera, c’est se mettre à la place
de Dieu, c’est blasphémer, et donc
mériter la mort. Jésus sera un jour ainsi interrogé. Mais en suivant le récit
de l’évangile de Marc, au chapitre 12, il est trop tôt pour l’ultime
interrogatoire de Jésus, qui aura lieu pendant la Passion.
Avec ces premiers faisceaux
de questions, et de réponses, nous allons retenir que, même si Jésus fait
attention à la manière de le dire, il signifie ceci au Scribe venu l’interroger :
tu es dans le Royaume de Dieu.
Et c’est avec ce résultat
que nous allons nous demander, en lisant le dialogue qui nous est proposé, ce
que peut bien signifier que le Scribe est dans le Royaume de Dieu. Nous allons
faire cela en quatre points.
Premier point (Marc
12,28 et 32), le scribe voit que Jésus a bien répondu. Qu’est-ce que bien
répondre ? Jésus avait fait à ses autres interlocuteurs le procès d’être
égarés, d’être des faussaires, voire des fossoyeurs… Ils se trompent, et ils
trompent…Voici la fin de l’entretien précédant, parole de Jésus « Dieu
n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Vous êtes absolument dans
l’erreur. »
Le Scribe – nous dit le
narrateur – considéra que Jésus avait bien répondu. Or, bien répondre,
qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce faire une réponse conforme au
catéchisme, ou au dogme du mouvement auquel on appartient ? Peut-être.
Mais cela peut être aussi faire une réponse à la hauteur d’une forme concrète
de l’espérance, une réponse dont l’audition vous donne – ou vous rend – un
certain regard sur le réel, un regard renouvelé, voire éclairci. Et donc une
réponse qui a à voir avec la consolation, avec la joie retrouvée, joie de
croire, en somme, en Dieu qui est le Dieu des vivants.
Nous allons donc affirmer,
en revenant vers le Scribe, que celui qui est capable de reconnaître, de saluer
et d’accueillir une bonne réponse venant d’un autre, réponse portant la
distinction entre Dieu des morts et Dieu des vivants, est dans le Royaume de
Dieu.
Deuxième point (Marc
12,30 et 33), le commandement d’aimer Dieu de toutes les manières possibles
peut recevoir plusieurs formulations – la langue grecque est assez riche en
vocabulaire abstrait, notamment pour parler d’intelligence.
« Tu aimeras le
Seigneur ton Dieu de tout ton cœur… de toute ta pensée… » C’est le premier
commandement, énoncé par Jésus en réponse à la question du Scribe. Et c’est le
mot pensée qui doit retenir notre attention (du grec dianoïa - διανοία), qui nous suggère une
activité intellectuelle plutôt continue, une activité intellectuelle qui
traverse et perfore le réel.
Mais, bien qu’en accord
parfait avec Jésus, le Scribe va ajouter ceci « … (aimer Dieu) de tout son
cœur, de toute son intelligence, de toute sa force… » Et le mot que
le scribe emploie pour parler d’intelligence (cette fois sunésis - σύνεσις) évoque l’association
en une sorte d’assemblage d’élément différents les uns des autres. Comme un
bouquet de fleurs des champs au printemps est composé d’une grande variété d’essences.
La pensée de Dieu selon le
Scribe, et la pensé de Dieu selon Jésus, reposent sur des propositions
différentes, mais elles ne sont pas concurrentes. Elles ne sont pas l’enjeu
d’un enseignement magistral, mais bien plutôt l’occasion d’un véritable
partage.
Ces deux pensées mises
côte à côte nous permettent de suggérer que ceux dont la pensée de Dieu est
consistante, bibliquement fondée, et ne fait pas obstacle à un dialogue
fraternel, sont ensemble dans le Royaume de Dieu.
Troisième point (Marc
12,33), dans la seconde réplique du Scribe, nous recueillons ceci :
« … (aimer Dieu) de tout son cœur, de toute son intelligence, de toute sa
force, et aimer son prochain comme soi-même, cela vaut mieux que tous
les holocaustes et sacrifices.» Que signifie donc ce « cela vaut mieux » ?
A Jérusalem, la dispute
entre le Temple et les prophètes est tellement ancienne qu’on peut dire qu’elle
a commencé avant même l’existence du Temple. A l’époque de Jésus, elle prend la
forme que nous voyons ici, celle d’un antagonisme. Le Temple et ses sacrifices
d’un côté, et, en face, l’amour de Dieu et du prochain. Le rituel réputé ancien
et inamovible, contre l’actualité toujours nouvelle de l’amour de Dieu et du
prochain. Mais à le considérer trop schématiquement, on ferait comme si aucune
sincérité n’était possible au Temple, et comme si aucune hypocrisie n’était
possible dans l‘amour. Or, nous savons bien qu’il peut y avoir partout des gens
sincères, partout des hypocrites, mais nous ne savons pas forcément a priori
qui est qui et à qui nous avons affaire... Alors
nous devons tenir compte de cette observation lorsque nous lisons « cela
vaut mieux que tous les holocaustes et les sacrifices. »
Aimer Dieu et le prochain,
c’est le superlatif du culte sacrificiel. Entendons l’immense différence,
entendons aussi la continuité.
Et concluons, sur ce
point, en disant qu’il est dans le Royaume de Dieu, celui qui, dans tout ce
qu’il entreprend en matière de religion, reste aussi profondément modéré qu’il
est profondément engagé.
Quatrième point (Marc
12,34) Par deux fois, nous avons lu que, selon le Scribe, Jésus avait bien
parlé, non pas convenablement, mais bien, au sens du bon, au service de la vie.
Au tour de Jésus, maintenant, de se prononcer : « Jésus voyant que le
scribe avait répondu avec sagesse… » Ou avec intelligence, (encore un
autre terme, nounékos - νουνεχῶς) ou plein de sens, ou prudemment, ou judicieusement,
selon les traducteurs. La diversité des traductions signale souvent un certain
enjeu, et cet enjeu, nous l’avons discerné dès le début de notre méditation,
c’est la déclaration : Tu es dans le Royaume de Dieu. Cet enjeu nous
contraint à éliminer sans hésitation tout propos qui ferait de ce Scribe un
homme sûr de son fait et de ses droits en matière de religion. C’est pourquoi,
parmi les traductions possibles du mot qui caractérise cet homme, le mot de
sagesse est peut-être le plus indiqué. Mais la sagesse est bien trop souvent
portée aux nues par des gens qui négligent que l’une de ses caractéristiques
essentielles est précisément de ne pas se connaître comme sage.
Alors, ce scribe anonyme,
unique interlocuteur de choix pour Jésus Christ Fils de Dieu, nous allons le
dire lucide. Il est lucide sur ce qu’il entend dire par les ennemis de Jésus,
lucide sur ce qu’il dit lui-même, et lucide enfin sur ce que Jésus dit.
« Tu n’es pas loin du royaume de Dieu. » Tu n’en es pas loin, et, en
fait, tu y es. Tu y es dans tes méditations personnelles, tu y es dans notre
dialogue, même si tu n’y es pas selon les canons et selon les personnes
autorisées. Telle est la lucidité : les affirmations les plus belles qui
puissent être formulées, parce qu’elles appartiennent au langage humain, ont
toutes sortes d’ébréchures, toutes sortes de significations possibles, pour
maudire, et aussi pour bénir.
Mais qu’en est-il, à la
fin, nous demandons-nous ? Même si nous sommes très certains de ce que
nous avançons, très certains de la pertinence de nos propos et de la puissance
de nos rituels, il nous faut, croyants que nous sommes, rendre gloire à celui
en qui nous croyons et nous en tenir à la foi.
Comment allons-nous le
faire ? Aujourd’hui, fête de la Réformation, nous allons le faire en nous
souvenant d’un verset biblique que Jean Calvin (1509-1564) a jugé essentiel
alors qu’il méditait sur les marques de l’Église visible : Dieu seul
connaît ceux qui sont les siens (d’après 2 Timothée 2,19 et Institution de la Religion
Chrétienne IV-I-8).
Puissions-nous nous en
souvenir, dans toutes nos situations de face à face avec nos frères. Et que Dieu nous soit en aide. Amen
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