46 Ils arrivent à Jéricho. Comme Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une assez grande foule, l'aveugle Bartimée, fils de Timée, était assis au bord du chemin en train de mendier. 47 Apprenant que c'était Jésus de Nazareth, il se mit à crier: «Fils de David, Jésus, aie pitié de moi!» 48 Beaucoup le rabrouaient pour qu'il se taise, mais lui criait de plus belle: «Fils de David, aie pitié de moi!» 49 Jésus s'arrêta et dit: «Appelez-le.» On appelle l'aveugle, on lui dit: «Confiance, lève-toi, il t'appelle.» 50 Rejetant son manteau, il se leva d'un bond et il vint vers Jésus. 51 S'adressant à lui, Jésus dit: «Que veux-tu que je fasse pour toi?» L'aveugle lui répondit: «Rabbouni, que je retrouve la vue!» 52 Jésus dit: «Va, ta foi t'a sauvé.» Aussitôt il retrouva la vue et il suivait Jésus sur le chemin.
Prédication
Le récit de la guérison de l’aveugle Bartimée est souvent
considéré comme la fin d’une longue séquence de l’évangile de Marc, séquence
dont la lecture et la méditation nous ont été proposées pendant toutes ces
dernières semaines.
Enseigner la
résurrection, c’est un titre que nous avons pu donner à cette séquence, pendant
laquelle, et par trois fois, Jésus annonce à ses disciples sa Passion
prochaine, et sa résurrection, sans parvenir à se faire comprendre. Son
enseignement semble ne pouvoir provoquer que des réactions violentes, parmi
lesquelles des revendications personnelles, certains disciples s’estimant
mériter plus que d’autres de la part de Jésus (Christ Fils de Dieu) des
récompenses célestes fantastique… Quant aux réactions des mêmes disciples,
lorsque de pauvres et simples gens s’approchent de leur maître, elles sont
toujours les mêmes, ils rabrouent ces gens – c'est-à-dire les considérant comme
moins que rien, ils les chassent.
En disant tout cela, nous faisons un état des lieux, un
point de parcours, et ce point de parcours n’est pas bien glorieux. Est-ce que
nous pouvons espérer qu’à tel ou tel moment du récit de l’évangile les
disciples – et les lecteurs – seront dans de meilleures dispositions ?
Avant de peut-être répondre, traversons Jéricho, et
sortons de Jéricho. Un aveugle du nom de Bartimée est là qui mendie et,
apprenant que Jésus de Nazareth passe, il crie. Il fait plus que crier.
Imaginez le hurlement, ce volume particulier de la voix, tant forcée dans les
aigues que les paroles deviennent indistinctes. Ça, le texte ne vous le dit
pas, et vous devez donc imaginer le hurlement ; mais la réaction des gens
qui sont là vous est très bien décrite, vous la connaissez, car c’est une
réaction que les disciples de Jésus ont eue à leur tour. Elle tient en un
verbe, un seul : rabrouer. C’est à la fois faire taire et chasser. Et il y
en a beaucoup, dans la foule qui accompagne Jésus, disciples ou autres, qui
rabrouent ce pauvre Bartimée.
Et nous demandons : pourquoi réagissent-ils
ainsi ? Pourquoi veulent-ils faire barrage entre Bartimée et Jésus ?
De quoi veulent-ils écarter Bartimée ? De quoi veulent-ils protéger
Jésus ? Que veulent-ils se réserver pour eux-mêmes ? Autant d’hommes
dans la foule, autant de réponses possibles. Et qui convergent toutes vers la
même disposition d’esprit : ce qu’ils sont en train de vivre dans le
sillage de Jésus de Nazareth ne concerne pas cet aveugle qui braille assis au
bord du chemin. Et, de nouveau, la question : mais pourquoi donc
pensent-ils et agissent-ils ainsi ? Et, de nouveau, des réponses basiques,
triviales, qui mettent en jeu des passions vulgaires, de l’envie, de l’aigreur,
de l’égoïsme… rien au fond que d’assez commun.
Nous allons repérer que toute la foule n’est pas
concernée par ce triste diagnostic. Lorsque nous lisons que beaucoup le
rabrouaient, cela ne signifie pas que tous le rabrouaient, et il existe donc
vraisemblablement un passage étroit qui pourrait permettre à Bartimée de
s’approcher de Jésus. Mais ça n’est pas par ce passage étroit que Bartimée va
passer, car Jésus lui-même va s’arrêter et commander qu’on appelle l’aveugle.
Jésus commande, les gens obéissent.
Et nous imaginons des hommes qui, quelques instants plus
tôt, voulaient faire taire l’aveugle, lui dire l’instant d’après :
« Confiance, lève-toi, il t’appelle. » Étonnant revirement. Que
devons-nous penser d’un tel revirement ? Nous pouvons penser que ces gens,
voyant le tour que prennent les événements, se hâtent de choisir le bon côté.
Mais est-il absolument nécessaire de voir en eux de simples opportunistes, et
courage fuyons ? Nous pouvons aussi penser que la parole de Jésus, leur
commandant d’appeler l’aveugle, a sur eux l’effet d’une sorte de conversion.
Peut-être pas la grande conversion définitive d’une foule entière, mais un
instant, un éclair, juste ce qu’il faut de temps pour que la parole chemine et
soit entendue par celui à qui elle est destinée.
Il fut dit à l’aveugle : « Ta foi t’a
sauvé… », il retrouva la vue et il suivit Jésus sur le chemin. Fin de cet
épisode. Bartimée n’apparaît plus. Et commencement de la Passion.
Tout en lisant le récit de la guérison de l’aveugle
Bartimée, nous nous souvenons du récit d’une autre guérison. C’est une femme,
affligée depuis très longtemps de pertes de sang. Elle croit que si elle
parvient seulement à toucher la frange
du vêtement de Jésus, elle sera guérie. Seulement il y a tout autour de Jésus
une barrière hermétique, une foule compacte.
A la fin, cette femme sera guérie. Tout comme Bartimée. A
la fin, Jésus lui dira "Ta foi t’a sauvée…", tout comme il le dit à
Bartimée. La foi de la femme, comme la foi de Bartimée, c’est d’insister dans
leur conviction et de persister dans leur demande.
Il faut cette persistance parce qu’il semble bien que
l’accès à Jésus soit toujours plus ou moins barré, si ça n’est pas carrément
verrouillé. Un verrou passif, comme une foule compacte, un verrou actif, comme
ces gens qui cherchent à faire taire Bartimée, un autre verrou actif encore,
les disciples de Jésus, disciples qui renvoient des gens venus pésenter des
enfants à Jésus… et d’autres verrous encore. Et même si, ponctuellement, pour
tel ou tel personnage, l’accès à Jésus devient tout simple, il n’en reste pas
moins que plus on avance dans le récit de l’évangile, plus cela semble
difficile d’accéder à lui. Et même de
plus en plus difficile : comment accèdera-t-on à Jésus Christ Fils de Dieu
lorsqu’il agonisera sur la croix et lorsqu’il aura été enseveli ? Tout et
tous semblent s’entendre pour le réduire au silence.
Comment sa parole de grâce pourra-t-elle parvenir aux
humains qui la cherchent ? Nous avons plusieurs réponses.
(1) Comment la parole de grâce parvient-elle aux
humains ? Voici une réponse, très littéraliste, il s’agit d’affirmer que
quoi qu’on dise, et quoi qu’on fasse, dans la Bible, Jésus Christ fait toujours
taire ceux qui s’opposent à Lui et qu’il parle toujours à qui il choisit de
parler. On peut, partant de là, affirmer qu’aujourd’hui comme hier, Jésus
surmonte toutes les barrières, et qu’il parle à ceux à qui il choisit de
parler, de fait, à toi, mon frère, à toi ma sœur… « Aujourd’hui, si vous
entendez sa voix, n’endurcissez-pas votre cœur » (Hébreux 3). De fait,
cela revient à dire qu’il appelle chacune et chacun. C’est une belle pensée. Mais
que dira-t-on à ceux qui n’ont jamais entendu l’appel et qui n’ont jamais
entendu sa voix ? Que Jésus ne les a pas voulus et que c’est tant pis pour
eux ; leur dira-t-on aussi qu’ils sont eux-mêmes responsable du
silence ?
(2) Comment la parole de grâce parvient-elle aux humains ? Considérons encore les Saintes Écritures et leurs grands commentateurs, mais sans affirmer qu’aujourd’hui comme hier Jésus parle par eux. Regardons plutôt le simple lecteur, qui lit et qui médite ces grands textes. Parler de lui, parler du simple lecteur, c’est parler de chaque lecteur, et tous sont à égalité. La méditation régulière et obstinée des textes de la Bible et des grands commentateurs peut permettre qu’émerge une parole actuelle dans le cœur de celui qui lit. Ce sera bientôt, dans très longtemps, peut-être jamais – des années pour Martin Luther méditant l’épître de Paul aux Romains. Des années pendant lesquelles le texte demeure, l’attente demeure, et la méditation toujours recommence.
Et un jour, Jésus
passe, Fils de l’homme, fils de David, Christ Fils de Dieu, il passe, d’une
manière ou d’une autre, il passe. Et nous voici de nouveau devant l’histoire
qui nous est contée. Il y a Jésus et toutes sortes d’obstacles. Puissions-nous
ne pas être des obstacles. Et prions que s’il veut s’adresser à nous, aucun
obstacle ne soit dressé sur son chemin. Amen