Marc 10
1 Partant de là, Jésus va dans le territoire de la Judée, au-delà du Jourdain. De nouveau, les foules se rassemblent autour de lui et il les enseignait une fois de plus, selon son habitude. 2 Des Pharisiens s'avancèrent et, pour lui tendre un piège, ils lui demandaient s'il est permis à un homme de répudier sa femme. 3 Il leur répondit: «Qu'est-ce que Moïse vous a prescrit?» 4 Ils dirent: «Moïse a permis d'écrire un certificat de répudiation et de renvoyer sa femme.» 5 Jésus leur dit: «C'est à cause de la dureté de votre cœur qu'il a écrit pour vous ce commandement. 6 Mais au commencement du monde, Dieu les fit mâle et femelle; 7 c'est pourquoi l'homme quittera son père et sa mère et s'attachera à sa femme, 8 et les deux ne feront qu'une seule chair. Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. 9 Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni.» 10 Plus tard, en privé, les disciples l'interrogeaient de nouveau sur ce sujet. 11 Il leur dit: «Si quelqu'un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère à l'égard de la première; 12 et si la femme répudie son mari et en épouse un autre, elle est adultère.»
13 Des gens lui amenaient des enfants pour qu'il les touche, mais les disciples les rabrouèrent. 14 En voyant cela, Jésus s'indigna et leur dit: «Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui sont comme eux. 15 En vérité, je vous le déclare, qui n'accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera pas.» 16 Et il les embrassait et les bénissait en posant les mains sur eux.
Prédication : Vincennes, 3 octobre 2021
Si nous ne prenions en considération que les 16 versets de marc que nous
venons de lire, nous aurions entre les mains deux enseignements de Jésus, l’un
sur le couple et l’autre sur l’accueil des enfants.
Il est toujours possible de procéder ainsi, c'est-à-dire
de considérer la page qu’on est en train de lire comme l’exposé d’un
commandement absolu et intemporel. Et ce qu’on fait avec une page, on peut le
faire avec la Bible entière : collection de commandements, donnant à
chaque moment de la vie son commandement divin.
C’est écrit, et il faut obéir. Ainsi, « ce que Dieu
a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » (Marc 10,9 ; Matthieu et
Luc ont aussi retenu cet enseignement.)
Ceci étant dit, nous devons toujours nous poser une
certaine question : est-ce pour énoncer quelque chose d’absolument absolu
que Jésus parle ? Ou bien faut-il prendre en considération l’époque qui
était la sienne, et l’époque aussi qui était celle de Marc ?
En Israël, la Loi de Moïse permettait à un homme de
renvoyer sa femme. A Rome aussi. A Rome en plus, la Romaine avait le droit de
renvoyer son Romain et d’exiger de lui pension et dédommagement. Un droit que
la femme Israélienne n’avait absolument pas. Tel était le droit, renvoyer. Mais
renvoyer pour quel motif ? Renvoyer pour aller où ? Dans quelles
conditions ?
Ici il faut que je vous dise que les
traducteurs manquent souvent de simplicité. Ils habillent de beaux mots d’aujourd’hui
des réalités sordides. Ils parlent de répudiation ou de divorce, alors qu’ils devraient
parler de flanquer dehors et de laisser crever (le tout en partant du même
verbe grec)… telle était probablement la terrible réalité de la mise en œuvre
par ces messieurs d’une ordonnance précise, et pour eux avantageuse
(Deutéronome 24,1-4) de la Loi de Moïse.
Alors nous comprenons pourquoi en face d’autant de morgue
Jésus répond à la fin par un absolu. Nous comprenons aussi pourquoi il insiste
sur le 4ème commandement du Décalogue, commandement majeur, sur l’adultère.
Ce n’est pas pour leur parler de répudiation et d’épousailles, mais il s’agit bien
plutôt d’en lourder une pour s’en prendre une autre.
Entre Jésus et ces Pharisiens, c’est commandement contre
commandement. Les Pharisiens lui ont tendu un piège, un piège biblique. La
réponse que Jésus propose doit être biblique pour qu’il ne tombe pas dans le
piège qui lui est tendu.
Pourvu que les lecteurs de ces versets ne reconstituent
pas à leur tour le piège qui était tendu à Jésus. Pourvu qu’ils n’y précipitent
pas leurs contemporains…
Nous allons revenir bientôt à ces premiers versets.
Il y a, dans l’évangile de Marc, une séquence qui rassemble
3 chapitres : 8, 9 et 10. Nous avons lu ces dernières semaines une partie
de cette séquence et des éléments nous en seront proposés pendant quelques
dimanches encore.
Dans cette séquence, Jésus annonce par trois fois sa
Passion et sa Résurrection. A la fin de cette séquence, la Passion commencera
effectivement (Rameaux) mais ce qui peut être repéré, c’est que chaque fois que
Jésus annonce ce qui doit en être de la fin de son ministère, chaque fois, cela
déclenche des réactions de force. On se souvient bien sûr de Pierre rabrouant
Jésus, on se souvient aussi de Jean essayant de faire de l’annonce de l’Évangile
la propriété de quelques-uns, ajoutons cette dispute entre disciples pour
savoir lequel est le plus grand, et les disciples chassant ceux qui amènent des
enfants à Jésus… Nous ne rappelons que ça. A quoi s’ajoutent les Pharisiens
dont nous venons de parler.
Pourquoi tellement de violence ? Parce que c’est un
monde violent ? C’est un monde violent, oui. Bien plus violent que notre
monde – plus violent que Vincennes et ses environs en 2021. Mais il y a surtout
que la parole et les actes de Jésus Christ Fils de Dieu agissent comme des
révélateurs de violence.
Jésus parle et agit. Bien sûr sa parole est puissante et
ses actes merveilleux. Mais une parole puissante et des actes merveilleux
devraient plutôt susciter un silence d’admiration et une attitude de
soumission. Or, il n’en est rien. Pourquoi ? Parce que Jésus ne parle pas
et n’agit pas pour occuper la place, ce que font ses détracteurs ainsi que ses
disciples. Jésus parle et agit pour libérer de la place. Jésus libère les
humains, il libère la place. En annonçant sa Passion et sa Résurrection (dans
le sens très stupéfiant qu’elle a jusqu’en Marc 16,8), Jésus annonce qu’il ne
veut ni gloire, ni pouvoir, ni honneur, il annonce qu’il va se laisser saisir
et anéantir.
Nous pouvons imaginer quelle sorte de vertige cela a pu
engendrer non seulement chez ses disciples, mais aussi chez ses détracteurs.
Ils se sont trouvés comme face au vide, pris d’un vertige. Mais autant les
actes et paroles de puissance de Jésus sont de nature à combler ce vide, autant
l’incompréhensible enseignement de la Passion et surtout de la Résurrection est
de nature à creuser ce vide, en effaçant les actes de puissance. Et face au
vide, confronté au vide, l’être humain remplit.
L’être humain remplit, et il remplit, réaffirme sa
puissance, en allant au plus facile. En s’en prenant donc à celles et ceux qui
sont le moins susceptibles de répondre ou de se défendre, les femmes, les
enfants, les faibles, les malades. Et c’est là que l’être humain, même s’il est
en son temps disciple de Jésus Christ Fils de Dieu… c’est là que l’être humain
renvoie ceux qui apportent des enfants pour que le Maître les bénisse, c’est là
que les plus forts mettent en œuvre des lois qui permettent de lourder leurs
faibles femmes, que d’autres réclament à Jésus pour eux-mêmes les plus hautes
récompenses célestes, et d’autres encore des signes venus du ciel.
Tout cela pour contrer le vertige qui les saisit devant les actes et les paroles de Jésus, tout cela pour remplir ce qu’ils perçoivent comme un abîme.
Encore quelques versets et la séquence dont nous parlons
aujourd’hui sera finie. La Passion commencera. Les disciples de Jésus n’auront
vraisemblablement pas saisi ce que leur Maître voulait leur faire comprendre.
Les adversaires de Jésus n’auront en aucun cas modifié leurs usages et leurs
projets. Les disciples veulent conserver Jésus, les ennemis de Jésus veulent se
débarrasser de lui. Ni les uns, ni les
autres, ne parviendront à leurs fins.
Le vide demeure, et avec lui sans doute une certaine
inquiétude. Cette inquiétude, il est possible de tout faire pour l’effacer,
tout faire, même tuer. Mais cette même inquiétude peut être regardée comme une
inquiétude positive, une inquiétude d’ouverture. C'est-à-dire une ouverture à
la vie, c'est-à-dire accueillir, et donner.
Ici, et pour finir, nous pouvons en revenir à cet
enseignement par lequel nous avons commencé. Ce que Dieu a uni est uni devant
le vide, vide qui peut être inquiétant, mais d’où le meilleur peut toujours
sortir. Uni donc pour recevoir. Uni aussi pour donner. Amen