Matthieu 24
37 Tels furent les jours de Noé, tel sera
l'avènement du Fils de l'homme;
38 car de même qu'en ces jours d'avant le déluge, on
mangeait et on buvait, l'on se mariait ou l'on donnait en mariage, jusqu'au
jour où Noé entra dans l'arche,
39 et on ne savait rien jusqu'à ce que vînt le
déluge, qui les emporta tous. Tel sera aussi l'avènement du Fils de l'homme.
40 Alors deux hommes seront aux champs: l'un est
pris, l'autre laissé;
41 deux femmes en train de moudre à la meule: l'une
est prise, l'autre laissée.
42 Veillez donc, car vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir.
43 Vous le savez : si le maître de maison savait l'heure de la nuit à laquelle le voleur va venir, il
veillerait et ne laisserait pas percer le mur de sa maison.
44 Voilà pourquoi, vous
aussi, tenez-vous prêts, car c'est à l'heure que vous ignorez que le Fils de
l'homme va venir.
Prédication :
J’ai en moi quelques souvenirs d’un conférencier
chrétien que j’ai pu entendre vers l’été 1975, ou 1976, qui nous avait prédit
pour très bientôt une apocalypse nucléaire qui aurait été le prélude au retour
de Jésus. C’était assurément pour très bientôt. Cette prédiction n’avait guère
effarouché le petit groupe auquel j’appartenais alors. Lorsque nous chantions Jésus revient, Alleluia… Seras-tu prêt quand
il viendra, Alleluia… nous étions certains que oui, nous serions prêts, en
fait, nous étions certains que nous étions prêts… Et dans le ciel, il te prendra, Et avec lui, tu règneras, Et à ses
pieds tu te tiendras… J’ai un peu oublié qui était ce conférencier – j’ai
un doute entre deux noms – mais je me souviens d’une extraordinaire
accumulation de savoir et de certitudes. Je ne me souviens pas qu’il soit
attardé sur le fait que de deux hommes travaillant aux champs, l’un serait pris
et l’autre laissé. Ça nous aurait peut-être aidés à réfléchir…
S’agissant de textes de la fin des temps, nous
sommes gâtés. La Bible n’est pas pauvre, ancien testament et nouveau testament.
Hors la Bible, des dizaines de textes apocalyptiques ont été conservés, qui
sont plus riches encore de soi-disant mystères révélés, et d’horreurs bien
détaillées. L’imagination des êtres humains est absolument sans limites, autant
pour dire que pour faire.
Et voici que nous trouvons ce style de discours
dans la bouche même de Jésus. Jésus lui-même, et les auteurs des évangiles,
auraient-ils cherché à étaler leur savoir, à impressionner leurs auditeurs,
leurs lecteurs… Tâchons de voir ça de plus près. Des huit versets de Matthieu
qui nous sont proposés ce matin, faisons trois parties.
Première partie : « tels furent les
jours de Noé… ». Nous avons tous des souvenirs précis du récit du Déluge.
Nos monitrices d’école biblique ont aimé nous conter, nous faire illustrer… ce
récit. C’est un récit à l’arithmétique cruelle : tous périrent sauf un. Nous
lisons : « Tels furent les jours de Noé, tel sera l’avènement du Fils
de l’homme ». A l’avènement du Fils de l’homme, tous vont-ils périr, sauf
un ? Et non, un homme sur deux sera pris, mais on ne sait pas lequel, une
femme sur deux sera prise, mais on ne sait pas laquelle. Le Fils de l’homme
adviendra-t-il comme vint le déluge ? Le mot avènement pourrait être
remplacé par le mot de parousie – un mot qui ne traduit rien du tout, puisqu’il
recopie le grec parousia ; mais
ce mot grec signifie parfaite présence. La parfaite présence du Fils de l’homme
ne vient pas comme vient le Déluge, comme les eaux montent pendant quarante
jour et quarante nuits, puis descendent pendant quarante jours et quarante
nuits. La parfaite présence est là, dans l’instant, inentamée, pleine, entière,
et ne cesse plus. Ainsi, les différences entre les jours de Noé et l’avènement
du Fils de l’homme s’avèrent massives. Ajoutons qu’il n’est pas écrit qu’aux
jours de Noé, « on ne se doutait de rien », nous devons lire qu’aux
jours de Noé, on ne savait rien. Et c’est bien là qu’il faut comprendre que
« tels furent les jours de Noé, tel sera l’avènement du Fils de
l’homme » : on ne sait rien, absolument rien ! Le savoir du
Déluge ne sait rien, absolument rien, de l’avènement du Fils de l’homme.
Portrait d'un innocent ignorant... |
Deuxième partie : « Veillez donc, car
vous ne savez pas quel jour votre Seigneur va venir. Vous le savez, si le
maître de maison savait l’heure de la nuit où le voleur va venir, il veillerait
et ne laisserait pas percer le mur de sa maison. » Trois fois le verbe
savoir, deux fois le verbe venir… Bien sûr, il faut veiller, car nous ne savons
pas quel jour notre Seigneur va venir. Mais peut-on veiller ainsi, jour et
nuit ? Il est extrêmement dangereux de se priver de sommeil. Notre
Seigneur, qui a eu tant soin de ses semblables, peut-il leur donner un tel
commandement ? S’il donne ce commandement, pourquoi rajoute-t-il, en
redoublant le verbe savoir, que « vous savez bien que si le maître de
maison savait à quelle heure de la nuit le voleur va venir, il
veillerait » ; or le maître de maison ne le sait pas et,
conséquemment, il ne veille pas. Alors, dans l’attente de la venue du Fils de
l’homme, faut-il veiller, ou ne pas veiller ? La réponse serait plutôt
négative, surtout s’agissant de la nuit. Précisons encore que le mot jour ne
signifie pas nécessairement la journée calendaire à laquelle nous pensons
spontanément, mais bien plutôt la journée, c'est-à-dire le temps pendant lequel
il fait jour. Vous pouvez donc vous endormir tranquilles ! Il viendra
pendant la journée, pendant qu’il fait clair, pendant que les humains sont à
leurs activités. C’est un petit savoir, mais reste à savoir dans quelles dispositions
d’esprit ceux qui attendent doivent se trouver.
Troisième partie : « C’est pourquoi,
vous aussi, tenez-vous prêts, car c’est à l’heure que vous ignorez que le Fils
de l’homme va venir. » Dans cette troisième partie, nous nous intéressons
d’abord à l’adjectif prêts.
Tenez-vous prêts, ou, mieux, soyez prêts.
Apparemment simple, l’adjectif prêt
utilisé par l’évangile de Matthieu est en réalité très riche de significations.
Il désigne à la fois l’état de préparation dans lequel on est, mais aussi
l’état d’avancement de ce à quoi l’on est prêt ; ce à quoi l’on est prêt
peut être réalisé déjà, ou être sur le point d’être réalisé, ou doit être
réalisé un jour lointain. Autrement dit, la venue du Fils de l’homme, que nous
attendons sans en avoir aucun savoir, peut être un jour lointain, ou peut être
imminente, ou peut être déjà accomplie. Resterait encore à se demander sous
quelle forme. Et bien, ce que nous pouvons comprendre, c’est que tout ce que
l’imagination individuelle peut produire et tout ce que la pensée commune peut véhiculer est sans correspondance aucune avec
la venue du Fils de l’homme.
Voici donc qu’en huit versets, tout ce que nous
savions de la venue du Fils de l’homme, de la fin des temps, tout ce qu’ont pu
nous en dire des prédicateurs spécialisés, s’effiloche, s’évanouit.
Et pourtant, cette venue, nous l’attendons, sans
aucun savoir, nous l’attendons. Notre lecture, notre compréhension de la parole
de Jésus, vient contester tous les prétendus savoirs de la fin des temps, de la
venue du Fils de l’homme. Mais en même temps, elle ouvre tout en grand une
espérance pour chacune et chacun. L’espérance est ce qui se déploie au-delà des
savoirs biffés et des illusions perdus.
Peut-être quelqu’un estimera que le Fils de
l’homme est déjà advenu ; mais nous attendrons encore le Fils de l’homme.
Si nous reconnaissons sa venue dans tel événement passé, nous l’attendrons
encore. Car ce que nous avons compris c’est que le point culminant de
l’ignorance est aussi le point culminant du concret de l’incarnation. Le point
culminant de l’incarnation est aussi le point culminant de l’espérance.
Dans cette espérance, dans cette incarnation,
s’agissant de la venue du Fils de l’homme et à la fin de notre méditation, nous
n’avons qu’une seule perspective : tenir bon à notre tâche, avec les yeux
grands ouverts sur ce monde. Contrairement à certaines apparences,
contrairement à ce qu’assènent certains, Dieu ne l’a pas abandonné. Amen