Matthieu 1
18 Voici quelle fut l'origine de Jésus Christ. Marie, sa mère, était accordée
en mariage à Joseph; or, avant qu'ils aient habité ensemble, fut trouvée
enceinte du Saint Esprit.
19 Joseph, son époux, qui était un homme juste et ne voulait pas la diffamer
publiquement, résolut de la répudier secrètement.
20 Il avait formé ce projet, et voici que l'ange du Seigneur lui apparut en
songe et lui dit: «Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi
Marie, ton épouse: ce qui a été engendré en elle vient du Saint Esprit,
21 et elle enfantera un fils auquel tu donneras le nom de Jésus, car c'est
lui qui sauvera son peuple de ses péchés.»
22 Tout cela arriva pour que s'accomplisse ce que le Seigneur avait dit par
le prophète:
23 Voici que la jeune femme concevra et enfantera un fils auquel on donnera
le nom d'Emmanuel, ce qui se traduit: «Dieu avec nous».
24 À son réveil, Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit: il
prit chez lui sa femme,
25 mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il
donna le nom de Jésus.
Matthieu 28
19 Allez donc: de toutes
les nations faites des disciples, les baptisant au nom du Père et du Fils et du
Saint Esprit,
20 leur apprenant à garder
tout ce que je vous ai prescrit. Et moi, je suis avec vous tous les jours
jusqu'à la fin des temps.»
Et vous pourrez aussi lire les 17 premiers versets de Matthieu 1. Alors vous aurez lu deux récits de l'origine de Jésus Christ, la généalogie paternelle, et la généalogie maternelle.
Prédication
Et voilà, nous avons encadré l’évangile de
Matthieu : le premier chapitre, tout entier, et les deux derniers versets.
Pourquoi ces deux derniers versets ? A cause du Saint Esprit. Parce que
c’est l’avant-dernier verset de l’évangile de Matthieu et que qu’une certaine formule
apparaît là sans que rien ne semble l’avoir annoncée. Parce que nous répétons « au
nom du Père, du Fils et du Saint Esprit » chaque fois que nous baptisons,
en étant plus ou moins conscient que c’est une citation de l’évangile de
Matthieu, en étant plus ou moins au courant de ce que cela peut signifier.
Parce que d’autres plus encore que nous utilisent cette formule plusieurs fois
dans chacun de leur office. Parce que c’est pour certains l’inévitable point de
départ de toute théologie possible, et que c’en est aussi le point de
vérification.
Nous avons choisi ces textes parce que, pour ce 4ème
dimanche de l’Avent, il nous est proposé de lire ce fragment du 1er
chapitre de l’évangile de Matthieu où le Saint Esprit occupe une place pour le
moins importante : Marie fut trouvée enceinte du Saint Esprit.
Que signifie être enceinte du Saint Esprit ? Nous pensons d’abord à
un autre récit, celui de l’évangile de Luc, qui fait se rencontrer Marie et l’ange
Gabriel lequel est chargé de lui annoncer une prochaine grossesse. L’ange,
devant la déclaration étonnée de Marie – je n’ai couché avec aucun homme – lui
annonce « la puissance du Très-Haut te couvrira d’ombre… ». C’est un
peu poétique, peu explicite, et ça n’est pas une explication. C’est en fait une
sorte de superlatif de la conception aussi inattendue qu’impossible ; plus
impossible encore que les grossesses de femmes trop âgées ou réputées stériles,
comme Sarah, ou comme Élisabeth. Car rien n’est impossible à Dieu. Mais, sur le
fond, citer Luc pour expliquer Matthieu, cela revient à remplacer une formule
théologique par une autre formule théologique, ce qui n’est pas du tout
satisfaisant.
Voici donc une autre piste. En
ce temps-là, il arrivait certainement que des femmes soient trouvées enceintes
et refusent de répondre à la question : « De qui est cet
enfant ? » Ces enfants venaient donc au monde ; comment
désignait-on ces enfants ? Est-ce que, parmi les quolibets, ou autres
insultes, on les affublait de noms fantastiques (enfants d’Hermès, auraient dit
les Grecs) ? J’entends bien que cette piste est un rien scandaleuse :
la grossesse de Marie ne devrait rien à priori au surnaturel, mais serait le
résultat d’un événement qu’on pourrait éventuellement imaginer violent. Et
ainsi Jésus serait l’enfant d’un homme et d’une femme, mais de cette sorte
d’enfants qu’à l’époque on qualifiait d’enfant
du Saint Esprit, par dérision, ou par mépris. Cet enfant aurait été un pas
grand-chose, un moins que rien. Il serait l’un de ces petits dont il plaît à Dieu de se servir pour accomplir ses plus
hauts desseins, comme Gédéon le Juge qui ne voulut pas être roi, comme David,
le petit berger qui devint roi, comme Amos, comme Elisée, etc. Quant à Joseph,
il serait l’homme sage, pieux, un homme prévenant qui sait à quel sort funeste
est exposée la jeune fille s’il la diffame publiquement. Et il serait aussi
l’homme hésitant auquel l’ange du Seigneur – c'est-à-dire Dieu lui-même –
viendrait dire « Ne crains point… car ce qui a été engendré en elle vient du
Saint Esprit. » Alors Joseph, fils d’Abraham et fils de David, obéirait.
Et ce qui était quolibet ou insulte deviendrait, Dieu voulant, Dieu prenant les
humains au mot, salut pour tout un peuple.
Est-ce que tout cela tient ? Oui, si nous considérons
que les premiers destinataires de l’évangile de Matthieu sont des gens pétris
de culture hébraïque, connaisseurs de l’Ancien Testament. Tout ce récit est
composé dans un style et avec des éléments qui leur sont familiers. Ils peuvent
entrer dans ce récit, ils peuvent le comprendre. Et comme nous avons, nous
aussi, lu l’Ancien Testament, nous poursuivons notre lecture.
Dans l’Ancien Testament,
il y a des textes qui racontent une petite aventure d’un personnage important –
par exemple l’un des patriarches – petite aventure qui se finit par l’invention
d’un nom, nom d’un lieu, ou nom d’une personne, ou par l’invention d’un rite
particulier. Un lieu ainsi s’appellera BethEL (maison de Dieu), un autre lieu
s’appellera PenouEL (face de Dieu).
En pensant à ce genre de
récit, et en pensant en même temps à l’évangile de Matthieu dans son ensemble,
nous pouvons nous dire que tout cet évangile, toute cette histoire de 28
chapitres, est composée dans le but d’introduire et d’expliquer le commandement
de baptiser au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit.
De cette formule, nous
avons déjà une explication, dans le rituel de baptême que notre Église a
approuvé en 1997 : « Votre
enfant va être baptisé au nom du Père, qui lui a donné le souffle de la
vie ; au nom du Fils, Jésus Christ, mort et ressuscité pour lui, (qui)
l’appelle à son service ; au nom du Saint Esprit, qui fera naître en lui
la foi, l’espérance et l’amour. » C’est beau, c’est concis, et facile à
mémoriser. C’est aussi un résumé consistant de ce que nos traditions portent de
meilleur (Genèse, évangiles, Paul…) ; cela peut aussi donner lieu à
quantité de redéploiements. Mais dans cette explication de la formule, nous ne
retrouvons pas Matthieu.
Voici donc une autre interprétation de la formule – une esquisse – qui
parle de l’être humain, en tâchant d’être fidèle à Matthieu. Baptiser un enfant
au nom du Père, c’est signifier qu’il est – provisoirement – le dernier maillon
d’une généalogie ; il est fils de… et cela le détermine de bien des
manières, et bien au-delà des deux ou trois générations ordinairement connues.
Baptiser un enfant au nom du Fils, c’est signifier qu’il est situé, avec ses
contemporains, sœurs et frères humains, à l’intersection singulière de toutes
sortes d’éléments culturels, qu’il respire avec eux un air du temps qui le
détermine aussi en bien des manières. Baptiser un enfant au nom du Saint
Esprit, c’est affirmer qu’en plus de ces déterminations, l’être humain reçoit
dès sa naissance et jusqu’à sa mort des capacités d’invention qui font qu’en
dépit de tout il peut renouveler ce qui lui est donné comme acquis, et qu’il
peut aussi inventer, découvrir, créer. Lignée, fratrie, liberté, ce serait une
première interprétation de Père, Fils et Saint Esprit.
Et voici une seconde esquisse, qui parle plutôt de Dieu.
Baptiser au nom du Père, c’est affirmer que Dieu est recherché et se révèle
dans les traditions que nos anciens ont recueillies et construites. Au nom du
Fils, c’est affirmer que Dieu est recherché et se révèle dans les usages qui
ont cours au sein d’une même génération. Au nom du Saint Esprit, qu’en dépit de
toutes les traditions qui se perdent et des usages qui se figent, Dieu est
absolument libre, à n’importe quel instant, de se laisser chercher, trouver, et
réinventer.
Il nous reste encore un peu à penser, deux choses. D’abord,
c’est que chaque fois qu’une nouvelle interprétation sérieuse de cette formule
trinitaire va apparaître, il n’est pas loisible à celui qui s’en empare de ne
s’emparer que d’un point qui l’arrangerait plus particulièrement, sauf si c’est
après avoir bien réfléchi et dans des circonstances bien particulières.
Ensuite, notre réflexion et nos esquisses ne portent que sur quelques versets
de Matthieu. Il nous reste tout l’évangile de Matthieu, moins le premier
chapitre – soit 27 chapitre moins deux versets – pour mettre à l’épreuve nos
intuitions de ce matin.
Est-ce que l’année 2020 est une année où nous lisons Matthieu ? Si
oui, nous en reparlerons le dimanche. Si non, nous en reparlerons en d’autres
occasions.
Sœurs et frères, en ce 4ème dimanche de l’Avent
2019 – et je vais joindre le geste à la parole – que le Dieu Tout Puissant vous
bénisse, (+) au nom du Père, du Fils,
et du Saint Esprit. Amen