Il est de nombreuses histoires de
Noël qui ne sont pas dans la Bible. Il en est une pourtant que l’on m’a
racontée qui sans être dans la Bible raconte la Bible toute entière…
C’est l’une de ces histoires que
racontent ceux qui croient que lorsqu’un personnage accomplit quelque chose de
capital pour l’humanité, il devient comme immortel. Il continue de vivre parmi
les humains, mais avec une immense discrétion, comme Moïse, comme Jérémie… Et
ils peuvent parfois apparaître, mais seulement dans des situations capitales.
Voici cette histoire. Quelqu’un
me l’a racontée. J’ai oublié qui me l’a racontée.
C’est
à Bethléem, en Judée… une auberge bondée. Tous ces gens sont en voyage. Et dans
l’étable qui jouxte l’auberge, un couple… elle vient de mettre au monde leur
premier enfant.
Le
calme est enfin revenu dans l’étable.
Les
bergers, les mages sont repartis après avoir admiré l’enfant, après l’avoir
adoré même et l’avoir couvert de présents.
Joseph
dort, il ronfle même, ne nous moquons pas. Il est épuisé. Pour certains pères,
la naissance de leur enfant provoque une fatigue extrême.
Joseph
marmonne dans son sommeil, peut-être qu’un ange lui parle dans ses rêves…
Couché dans sa mangeoire,
l’enfant appelé Jésus dort à poing fermé.
Il a accueilli les bergers avec
son regard étonné de nouveau né. Il a accueilli ensuite les mages avec l’air
très sérieux qu’ont certains bébés.
Il a reçu la modeste offrande des
bergers et les somptueux présents des mages.
A présent, il dort, épuisé par sa
venue au monde.
Marie, elle, ne dort pas. Pas
encore… Elle se rappelle tous les évènements des derniers mois, l’annonce de
l’ange, sa visite à sa cousine Elizabeth, ce long voyage jusqu’à Bethléem pour
finalement ne trouver de place nulle part sauf dans cette misérable étable
(drôle d’endroit pour la naissance du Fils de Dieu, du Prince de la Paix).
Et tout en revoyant ces
évènements, tout en y repensant dans son cœur, elle glisse doucement dans le
sommeil.
Mais un bruit la réveille d’un
seul coup. La porte de l’étable vient de s’ouvrir, laissant entrer un vent
glacé. Marie essaie de se lever pour aller refermer la porte, mais elle n’y
parvient pas. Son corps pèse autant que la pierre, elle est livrée au courant
d’air… mais pourtant, elle se sent infiniment paisible. Elle n’a ni froid ni
peur.
Le vent se charge de refermer la
porte. La poussière soulevée par le vent se dépose.
Et Marie distingue une
silhouette. Quelqu’un est entré dans l’étable. Une silhouette toute voutée.
C’est une femme. Une très très vieille femme. Plus vieille que la cousine
Elizabeth, plus vieille que le plus vieux des bergers, plus vieille que tous les
vieux que Marie a rencontré jusqu’ici. Cette vieille femme, semble vieille
comme l’humanité.
Péniblement, courbée comme si
elle ployait sous un poids trop lourd pour elle, la vieille femme s’approche de
l’enfant. Marie a un moment d’effroi. Et si c’était quelque méchant esprit
venue jeter un sort à l’enfant ?
Marie aimerait l’empêcher
d’approcher, mais une voix en elle lui dit de laisser faire la vieille femme. Et
puis, Jésus dort, il ne sera pas effrayé par cette étrange apparition…
Jésus bébé, très reconnaissable déjà à la position des bras |
Mais Jésus ne dort plus du tout,
il a les yeux grands ouverts. Il regarde la vieille femme et la vieille femme
le regarde. Et Marie est alors frappée par la ressemblance de ces yeux et de
ces regards.
Ils ont tous deux les yeux
bleus-pâle, et dans leurs regards, brille comme une flamme. Dans les yeux du
nouveau né, dans les yeux de cette femme, vieille comme le monde, brille la
même espérance.
Jésus tend les mains et la
vieille femme y dépose quelque chose. Marie ne parvient pas à voir ce que
c’est.
La vieille femme reste là,
prosternée devant l’enfant et cela dure longtemps.
Puis la vieille femme se relève,
elle se relève, elle se redresse vraiment, comme si l’on venait d’ôter de ses
épaules le fardeau qui la pliait en deux et elle quitte l’étable, redressée,
rajeunie…
Marie se penche sur l’enfant qui
rit maintenant aux éclats. Dans les petites mains potelées, il y a un fruit.
Et Marie comprend. Elle se
souvient de sa mère, et de la mère de sa mère, et plus loin encore, de toutes
ces femmes qui ont donné la vie à d’autres femmes. Et jusqu’à la première
femme, la mère de toutes les femmes.
Marie comprend qui est cette
silhouette qu’elle a entraperçue.
Ève, car c’était elle, venait de
remettre à Jésus ce fruit par lequel l’humanité s’était séparée de Dieu. Et en
prenant le fruit, l’enfant Jésus avait libéré Ève, non pas Ève seulement, mais
aussi toute l’humanité du plus lourd des fardeaux.
Un monde nouveau pouvait naître.
Un monde nouveau venait de
naître.
Marie se réveille tout à fait.
Elle regarde l’enfant : il
dort à poings fermés.
Elle écoute Joseph. Son sommeil
n’est plus agité. Il ronfle.
Marie sourit… tout est bien.
Elle veille sur eux jusqu’au
matin.
Le conte qui est à la base de celui que vous veniez de lire a été écrit par Jérôme et Jean Tharaud ; Les contes de la vierge est le titre du recueil duquel il est extrait. |