Jean le baptiste en prison. Mais est-ce en prison seulement qu'il est enfermé ? |
Matthieu 11
2 Or Jean, dans sa prison, avait entendu parler des
œuvres du Christ. Il lui envoya demander par ses disciples:
3 «Es-tu ‹Celui qui vient ?› ou attendons-nous
quelqu’un d’autre?»
4 Jésus leur répondit: «Allez rapporter à Jean ce
que vous entendez et voyez:
5 les aveugles retrouvent la vue et les boiteux
marchent droit, les lépreux sont purifiés et les sourds entendent, les morts
ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres;
6 et heureux celui qui ne tombera pas à cause de
moi!»
7 Comme ils s'en allaient, Jésus se mit à parler de
Jean aux foules: «Qu'êtes-vous allés regarder au désert? Un roseau secoué par
le vent?
8 Alors, qu'êtes-vous allés voir? Un homme vêtu
d'habits élégants? Mais ceux qui portent des habits élégants sont dans les
demeures des rois.
9 Alors, qu'êtes-vous allés voir? Un prophète? Oui,
je vous le déclare, et plus qu'un prophète.
10 C'est celui dont il est écrit: Voici, j'envoie
mon messager en avant de toi; il préparera ton chemin devant toi.
11 En vérité, je vous le déclare, parmi ceux qui
sont nés d'une femme, il ne s'en est pas levé de plus grand que Jean le
Baptiste; mais cependant le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand
que lui.
Prédication :
Nous ferons ce matin trois remarques sur ces quelques
versets dont le message central s’exprime ainsi par la bouche de Jésus Christ :
« Heureux celui qui ne tombera pas à cause de moi ! »
(1) Il y a, dans nos liturgies, des moments où nous
déclarons, au sujet de notre Seigneur, que nous attendons sa venue, ou son
retour, dans la gloire. Et bien, supposons que cela arrive et demandons-nous
sincèrement à quoi, à quels signes, nous reconnaîtrions que le moment de son retour
est arrivé et que c’est bien Lui qui vient. Reviendrait-il précédé de toutes
ces sortes de signes que les auteurs bibliques ont prédis ? Ou prendrait-il
– car il est libre – la liberté de revenir tout autrement ? Le
reconnaîtrions-nous ? Aurions-nous alors des doutes ? Le discernement
de chacun d’entre nous suffirait-il ? Ou convoquerions-nous un synode national
extraordinaire pour nous prononcer collectivement ?
C’est une question assez sérieuse, et certains ont eu à
se prononcer – ils ont risqué leur vie en se prononçant… Un esprit de
l’envergure de Rabbi Akiva Ben Yossef a, en son temps, reconnu Simon Bar Korba
comme le Messie. Après une guerre de trois années contre Rome, la Judée a été
totalement ravagée, et les chefs des révoltés mis à mort, dont Rabbi Akiva.
Et Jean le baptiste, emprisonné, informé seulement par
ses disciples ou par ses geôliers, sur quelles bases pouvait-il se
prononcer ? Ne pensons pas trop rapidement que la question est sans enjeu.
Au temps de Jésus, les groupes baptistes avaient une certaine importance, et ils
ont certainement coexisté avec les premiers groupes chrétiens. Il s’est
forcément posé entre ces groupes, entre ces deux mouvements, des questions de
reconnaissance mutuelle, de précédence, de préséance. AU fond, l’espérance
proclamée par Jean le baptiste s’est-elle accomplie en cet homme que certains
ont tôt appelé Christ – c'est-à-dire Messie ? Les membres des groupes
baptistes pouvaient-ils, devaient-ils tout simplement s’agréger aux groupes
chrétiens ?
Nous ne sommes personne pour nous prononcer doctement
après 20 siècles d’histoire. Et nous ne sommes personne aussi pour nous
prononcer au sujet de certains groupes Juifs qui, au XVIè siècle, ont reconnu
leur messie en un certain Martin Luther.
Chacun ne peut se prononcer que dans sa propre époque. La
nôtre, celle de chrétiens protestants en France, est particulièrement clémente.
Elle n’exige pas de nous une prise de position aussi urgente que risquée.
Grâces en soient rendues à Dieu.
(2) Tout ce que nous venons de dire ne nous dispense pas
de méditer un moment sur la réponse que Jésus propose aux envoyés de Jean le
baptiste. Il y a des guérisons, le Christ agit avec puissance, il y a aussi de
l’espérance pour les braves gens, le Christ parle avec puissance, et nous
ajoutons sans commentaire « heureux celui qui ne tombera pas à cause de
moi » (Matthieu 11,6). Qu’est-ce que cela signifie ?
Ce dernier verset est, à lui tout seul, presque un
condensé du 5ème chapitre de Matthieu. Dans ce 5ème
chapitre il y a d’abord les Béatitudes (Heureux…, ou Bienheureux…) et il y a
ensuite les amputations (Si ta main
est pour toi occasion de chute, coupe-la, etc.).
Heureux celui qui ne chutera pas à cause de moi, dit maintenant Jésus. Que
signifie Heureux ? Et que
signifie chuter ? Chuter est difficile
à traduire, mais renvoie à ces dispositifs que les humains ont tôt inventés, comme
le filet, comme le collet, avec ou sans appât, dispositifs qui servent à
capturer des animaux sauvages. Chuter renvoie aussi à l’idée d’entraver
quelqu’un, à réduire, voire supprimer totalement sa capacité à aller et venir. Heureux, dit Jésus, celui pour qui je ne
serai un piège, une entrave. Et ce la nous permet d’envisager que heureux, ou bienheureux n’est pas un état de béatitude, mais bien plutôt un en-avant, un chemin que l’on choisit et
qu’on parcourt libre de toutes sorte de liens.
Libres donc, émerveillés de l’être et désireux d’en répondre, celles et ceux
pour qui, loin d’être une entrave, les paroles et les actes du Christ seront et
demeureront libérateurs !
(3) Est-ce que les disciples de Jean
le baptiste ont rapporté tout cela à leur maître emprisonné ? Nous ne le
savons pas. Comment aura-t-il réagi ? Nous ne le savons pas.
Mais ce que nous apprenons, c’est que reconnaître en Jésus celui qui vient n’est pas une question
qui porte sur une généalogie, ni sur l’appartenance à une école ou à une groupe
religieux constitué. Elle porte sur le fruit, uniquement sur le fruit que
produit le Christ.
Dans cette perspective, et Jean le baptiste arrivant le premier, sa venue
avait une fonction préparatoire. Il s’agissait d’apprendre à regarder aux fruits
plutôt qu’à l’arbre. Qui donc voudrait devenir un ascète au désert comme Jean
le fut ? Les foules l’ont-elles adulé comme on adule un champion ? Et
se seraient-elles trouvé en Jésus un nouveau champion à aduler ?
A tous ces gens, Jésus demande en substance : Qu’espériez-vous
voir ? Et qu’avez-vous vu ? Et qu’avez-vous reconnu ? L’avez-vous
reconnu, ce Jean le baptiste qui disait « ça n’est pas moi » ?
Et si vous n’avez pas reconnu pour ce qu’il est celui qui disait « ça
n’est pas moi ; un autre va venir ! », comment reconnaîtrez-vous
celui qui vient ?
Et nous revenons avec cela au commencement du texte : même Jean le
baptiste a hésité. Jean le baptiste lui-même n’a pas pris la véritable mesure
de cette foi qu’il proclamait pourtant – le règne des cieux est vraiment tout à
fait proche, si proche qu’il est déjà là. Et Jean le baptiste n’a pas non plus
pris, pour lui-même, la mesure de la conversion que cela appelait. Jean le
baptiste, le plus grand de ceux qui sont nés d’une femme, s’est arrêté –
entravé comme nous l’avons dit – sur le chemin du Royaume des cieux. Il n’a pas
pu croire entièrement à la foi que, pourtant, il proclamait à tous.
Faiblesse humaine ? Sommes-nous, au fond, tous, d’incurables
mécréants ? Faut-il aux croyants plus encore d’instruction et plus encore
d’inspiration pour qu’ils reconnaissent enfin et une bonne fois, en Jésus,
celui qui est venu, qui aussi est là et qui aussi va venir ? Comment cette
reconnaissance peut-elle venir ? A cet instant, je pense à Fernandel dans
le rôle de don Camillo et à son inimitable manière de bafouiller un peu et de
dire « Oui, Seigneur ! » lorsqu’il entend la voix de son
crucifix. Comment ce oui, Seigneur,
pourra-t-il nous advenir ?
Dangereuse liberté |
Et bien, là où nous en sommes, tout à la fois dans nos liens mais aussi
déjà libérés, ouvrons les yeux, et regardons à ce que les humains sont capables
de faire de bon, regardons aux fruits. Regardons aussi, simplement, à ce que
nous avons pu faire de bon, gratuitement, pour rien, œuvre humaine accomplie
gratuitement dans la foi. Là est l’espérance, là est le Royaume des cieux. Et
disons, du fond de notre cœur : « Oui, Seigneur. »
Amen