Luc 18
1 Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour
eux de prier constamment et de ne pas se décourager.
2 Il leur dit: «Il y avait dans une ville un juge
qui n'avait ni crainte de Dieu ni respect des hommes.
3 Et il y avait dans cette ville une veuve qui
venait lui dire: ‹Rends-moi justice contre mon adversaire.›
4 Il s'y refusa longtemps. Et puis il se dit: ‹Même
si je ne crains pas Dieu ni ne respecte les hommes,
5 eh bien! Parce que cette veuve m'ennuie, je vais
lui rendre justice, pour qu'elle ne vienne pas sans fin me casser la tête.› »
6 Le Seigneur ajouta: «Écoutez bien ce que dit ce
juge sans justice.
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui
crient vers lui jour et nuit? Et il les fait attendre!
8 Je vous le déclare: il leur fera justice bien
vite. Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la
terre?»
Prédication :
Voici semble-t-il un enseignement
sur la prière : prier constamment et sans jamais se décourager conduit
immanquablement à l’exaucement. Pour une fois, le texte biblique semble avoir
été clair et nous pouvons penser que nous avons quelque chose de précis à proposer.
C’est un bel enseignement. Un
enseignement tentant (tentant dans le sens de la troisième tentation selon Luc,
celle de faire de Dieu l’obligé des croyants). Pourtant, c’est avec une
certaine réserve que nous l’accueillons. (1) Cet enseignement ne propose aucune
réflexion sur les sujets de prière, comme si tous les sujets étaient possibles
et légitimes, comme si nous pouvions absolument tout demander à Dieu. Pourquoi pas, mais pas sans une réflexion
préalable. Pouvons-nous réellement tout demander à Dieu ? (2) Cet
enseignement aussi fait de Dieu une sorte de juge partial, dont les jugements
favorables sont en faveur des plus casse-pieds de ses fidèles. Drôle de Dieu
pour de drôles de paroissiens ! (3) Cet enseignement se clôt sur « le
Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » ; la foi, et non pas la
prière... Tiens donc !
Ces trois réserves à elles seules ne
suffisent pas à invalider un enseignement sur la prière, mais elles nous
suggèrent au moins de tenter un approfondissement de la lecture.
1. Une parabole
Au tout début de ce fragment, apparaît le mot parabole. Il s’agit bien d’une parabole, l’une de ces petites
histoires faussement simples – Jésus semble bien avoir été un maître de cet
exercice – auxquelles assigner un titre ou un but pédagogique est toujours
erroné. Prudence donc car, en matière de paraboles, la conclusion n’est jamais
certaine et ne peut jamais précéder une sérieuse lecture, et encore... Aller
trop vite en besogne s’agissant des paraboles vous fait toujours arriver à des
conclusions inacceptables, comme celle d’un Dieu mettant en quelque sorte aux
enchères l’exaucement des prières qui lui sont adressées, comme celles de
croyants qui seraient absolument certains d’être exaucés pourvu qu’ils ne
cessent jamais d’insister. Conclusions inacceptables, théologiquement – ce qui
en soi n’est pas bien grave – mais aussi anthropologiquement – ce qui est
beaucoup plus grave. Cela revient à faire du croyant un sujet perpétuellement
priant pour perpétuellement ne pas être exaucé. Ce qui est une prédication
culpabilisante (si ça ne marche pas, c’est seulement de votre faute), une
orientation stérilisante…
2. Le contraire de prier constamment
Voici donc une invitation à prier constamment, et à ne pas se
décourager, comme si le contraire de
prier constamment était se décourager.
Ici, le traducteur s’étonne : s’il consulte le dictionnaire de référence
Bailly, il trouvera que le verbe grec utilisé par Luc n’est jamais traduit par se décourager, sauf en Luc 18:1 ; c’est
un sens particulier qui a été inventé et recensé pour cette seule apparition
dans la langue grecque, pour ce seul verset. Les lecteurs d’autres traductions que la TOB vont
découvrir qu’il peut s’agir plutôt de ne
pas faiblir ou encore de ne pas se
relâcher. Qui dit se relâcher indique bien qu’il y ait du relâchement ;
comme on dit, « il y a du relâchement ». Qui dit aussi faiblir indique
aussi qu’il y aura de la faiblesse ; comme on dit, « c’est par
faiblesse que… » Ces deux expressions n’augurent rien de bon. Le verbe
grec, encore lui, a aussi une étymologie qui suggère mal agir.
Voyez-vous, le contraire de prier constamment, c’est faiblir, se
relâcher, et mal agir. Pour illustrer ce mal agir, voici une petite excursion
dans le 16ème siècle.
Lorsqu’en 1520 Martin Luther produit ce qu’on appellera plus tard ses
grands écrits réformateurs, il en écrit un qui s’appelle : Appel à la noblesse chrétienne de la nation
allemande pour la réforme de l’état chrétien. Il y a dans ce texte un
véritable programme de réforme de cette société médiévale tripartite qu’était
le Saint Empire Romain Germanique, avec en particulier, concernant les
seigneurs et leurs serfs, l’apparition d’instances paritaires pour négocier
l’impôt et la corvée.... Nul doute qu’on ait prié sincèrement pour que cela
advienne. Mais lorsqu’il est apparu, en 1524, que l’exaucement des prières
tardait un peu (on devine bien que les seigneurs étaient plutôt tièdes sur ce
sujet), était-il légitime qu’on cesse de prier pour cette réforme et qu’on –
les paysans et certains “prophètes” à leur tête – en précipite l’advenue les
armes à la main et dans un bain de sang ? Cet épisode est connu sous le
nom de guerre des paysans. Une fois cette guerre déclenchée, nul doute qu’on
ait prié pour la paix. Mais lorsque la paix a trop tardé à s’établir, fallait-il
cesser de prier et fallait-il légitimer une répression dont l’ampleur et la
férocité ont douloureusement – et pour des siècles – torturé l’âme
allemande ? Cet épisode est bien documenté : nous avons des textes de
circonstances qui émanent de tous les camps. Mais nous, qu’aurions-nous
fait ? Aurions-nous été « meilleurs ou pires que ces gens » ?
Notre propos, pour l’instant, c’est
de bien repérer que, dans notre parabole, le contraire de prier constamment,
c’est faiblir, c’est se relâcher, et finalement mal agir.
Signature du traité de Versailles, avec en tête l'alternative justice ou vengeance. Avec en tête aussi une chanson, Leidenstadt, de Jean-Jacques Goldman. |
3. La justice, ou la vengeance ?
A quatre reprises, le verbe rendre
justice apparaît. Rends-moi justice contre mon adversaire, dit la
veuve ! Peut-il s’agir de justice, lorsque le juge tranche en faveur de la
veuve avec pour seul argument qu’elle lui casse les oreilles ? Bien sûr,
cette veuve nous est sympathique, parce que c’est une veuve, une rien du tout,
ce que les veuves étaient en son temps, et qu’elle fait face à un juge inique.
Mais est-ce vraiment justice qu’elle réclame, ou autre chose ? Le verbe
grec – une fois encore – peut nous suggérer tout autre chose que la
justice : la vengeance. Venge-moi de mon adversaire, crie sans relâche la
veuve. Et le juge de se dire en lui-même : je ne crains pas Dieu ni ne
respecte les humains… choses qu’on ne se dit évidemment pas lorsqu’on s’apprête
à rendre un jugement juste.
Alors, s’agissant de Dieu et des prières qui lui sont adressées,
sont-ce des demandes de justice, ou des demandes de vengeance ? A moi la vengeance, dit le Seigneur
(Deutéronome 32,35). Et ce même texte se poursuit par le Seigneur va faire justice à son peuple (Deutéronome 32,36). Dieu
va-t-il venger ? Dieu va-t-il faire justice ? Quoi que cela soit, ça
prend du temps, trop de temps. Dieu les fait-il attendre pour les venger, parce
que la vengeance est un plat qui se mange froid ? Ou bien est-il patient
avec eux, le temps qu’il faut pour l’âme humaine pour que l’exigence de
vengeance devienne une quête de justice ? A suivre un peu les
informations, nous savons que ce sont deux choses bien différentes l’une de l’autre,
que l’acte de justice n’assouvit jamais cet esprit de vengeance dont certaines
victimes restent à jamais hantées.
Dieu va peut-être devoir patienter longtemps, mais sa patience est
infinie. Nul doute qu’il leur fera justice. Et lorsqu’enfin ses fidèles en
seront arrivés à demander à Dieu justice, ils s’apercevront bien souvent que
justice leur aura déjà été faite.
Et voilà… nous avons relu cette parabole. Et nous allons finir
exactement là où Jésus finit. Oui, Dieu fera bien vite justice à ses fidèles,
c'est-à-dire qu’il les justifiera instantanément. Il les a d’ailleurs justifiés
avant la fondation du monde. Mais quand le Fils de l’homme viendra,
trouvera-t-il la foi sur la terre ?
La foi, non pas la prière. Mais la foi, qu’est-ce que c’est ? Un
sentiment de dépendance absolue ? Aller au culte. S’engager dans l’action
diaconale, ou dans l’action politique ? Vivre d’une manière modeste et
généreuse ? Lire la Bible et prier chaque jour ? Connaître sa Bible
par cœur ? Être membre d’une Église ? Tout cela, oui, la foi est sans
doute tout cela, et même plus. Mais rien de cela ne figure dans les chapitres
de l’évangile de Luc que nous méditons depuis le début du mois de septembre.
Par contre, il y a quelque chose, la semaine dernière, après la
guérison de 10 lépreux. L’un revient, plein de joie, retrouve Jésus, et se
prosterne devant lui. Jésus lui dit : « Relève-toi, ta foi t’a
sauvé. » Qu’est-ce que la foi propre de cet homme ? Comme les 9
autres il a crié à Jésus, comme les 9 autres, il a été guéri. Mais, à la
différence des 9 autres, il s’est mis joyeusement à la recherche de l’homme qui
l’avait guéri. Pour ce qu’il en est de s’être prosterné, Jésus l’en relève… La
foi spécifique de cet homme, c’est de s’être mis joyeusement à la recherche de
celui qui l’avait guéri. Ce qui va nous permettre de dire ceci : la foi est une joie en quête de l’agent de
sa cause.
Cette définition est un peu abstraite. Redisons-la : la foi est une joie en quête de l’agent de sa
cause. Mais elle a le mérite de guider notre réflexion vers ce que nous avons
reçu, et d’orienter nos sentiments vers la joie. Pensons-y ! Souvenons-nous !
Réjouissons-nous !
Et le Seigneur, quand il viendra, trouvera la foi sur la terre. Amen