dimanche 13 octobre 2019

Est-ce pour rien? (Luc 17,11-19)

Est-ce pour rien.... ?

Luc 17
11 Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée.
12 À son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance
13 et élevèrent la voix pour lui dire: «Jésus, maître, aie pitié de nous.»
14 Les voyant, Jésus leur dit: «Allez vous montrer aux prêtres.» Or, pendant qu'ils y allaient, ils furent purifiés.
15 L'un d'entre eux, voyant qu'il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix.
16 Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce; or c'était un Samaritain.
17 Alors Jésus dit: «Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés? Et les neuf autres, où sont-ils?
18 Il ne s'est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu: il n'y a que cet étranger!»
19 Et il lui dit: «Relève-toi, va. Ta foi t'a sauvé.»

2 Rois 5
14 Alors Naamân descendit au Jourdain et s'y plongea sept fois selon la parole de l'homme de Dieu. Sa chair devint comme la chair d'un petit garçon, il fut purifié.
15 Il retourna avec toute sa suite vers l'homme de Dieu. Il entra, se tint devant lui et dit: «Maintenant, je sais qu'il n'y a pas de Dieu sur toute la terre si ce n'est en Israël. Accepte, je t'en prie un présent de la part de ton serviteur.»
16 Elisée répondit: «Par la vie du SEIGNEUR que je sers, je n'accepterai rien!» Naamân le pressa d'accepter mais il refusa.
17 Naamân dit: «Puisque tu refuses, permets que l'on donne à ton serviteur la charge de terre de deux mulets, car ton serviteur n'offrira plus d'holocauste ni de sacrifice à d'autres dieux qu'au SEIGNEUR.
18 Mais que le SEIGNEUR pardonne ce geste à ton serviteur: lorsque mon maître entre dans la maison de Rimmôn pour s'y prosterner et qu'il s'appuie sur mon bras, je me prosterne aussi dans la maison de Rimmôn. Quand donc je me prosternerai dans la maison de Rimmôn, que le SEIGNEUR daigne pardonner ce geste à ton serviteur.»
19 Elisée lui répondit: «Va en paix!»
2 Timothée 2
8 Souviens-toi de Jésus Christ ressuscité d'entre les morts, issu de la race de David, selon l'Évangile que j'annonce
9 et pour lequel je souffre jusqu'à être enchaîné comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n'est pas enchaînée!
10 C'est pourquoi je supporte tout à cause des élus, afin qu'eux aussi obtiennent le salut, qui est dans le Christ Jésus, avec la gloire éternelle.
11 Elle est digne de confiance, cette parole: Si nous mourons avec lui, avec lui nous vivrons.
12 Si nous souffrons avec lui, avec lui nous régnerons. Si nous le renions, lui aussi nous reniera.
13 Si nous lui sommes infidèles, lui demeure fidèle, car il ne peut se renier lui-même.

Prédication :
            Voici le dernier verset que nous avons médité la semaine dernière : 10 vous aussi, lorsque vous aurez fait ce qui vous était ordonné, dites  “Nous sommes des serviteurs, nulle gratification ne nous est due. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.”
            Un peu par pudeur, c’est le mot serviteur qui avait été utilisé ; il s’agit en fait du mot esclave. Un esclave est une personne qui n’est pas de condition libre, qui est sous la puissance absolue d’un maître. Et telle serait la condition du disciple de Jésus Christ… Obéir, toujours ; servir, toujours ; pour rien, toujours…
            Est-ce vraiment pour rien ? La question est posée, exactement en ces termes, frontalement, une fois au moins dans toute la Bible : « Est-ce pour rien que Job craint Dieu ? » La réponse que propose le livre de Job est d’abord NON, puis elle devient OUI. Il faut la moitié d’un verset pour formuler la réponse négative : ce n’est pas pour rien que Job craint Dieu et le sert. Il faut ensuite 42 chapitres pour élaborer la réponse positive : OUI, c’est pour rien que Job sert Dieu… 42 chapitres ! En retranchant le chapitre d’ouverture et le chapitre de clôture, cela fait 40, un 40 symbolique, bien fréquent dans la Bible. 
Un très très long chemin vers la paix
            Et nous voici, avec nos petits fragments du dimanche matin, devant un océan… Est-ce pour rien que Jésus guérit ces lépreux ? Est-ce pour rien que ces lépreux guéris vont se montrer aux prêtres ? Est-ce pour rien qu’Elisée le prophète guérit Naamân, le général syrien lépreux ? Et la question ne cesse de rebondir, d’un personnage à l’autre, d’un verset à l’autre – au point qu’elle pourrait devenir obsédante. Est-ce pour rien que nous servons Dieu ?
            De la part de Naamân, Elisée ne veut rien recevoir. Alors même que l’offre de Naamân est une offre absolue : ce n’est pas accepte, que dit Naamân, mais prends, et ça n’est pas le mot serviteur que Naamân utilise, mais bien le mot esclave. Avec une obstination absolue, Elisée refuse. Et lorsque c’est sa conversion à Dieu que Naamân met en avant, Elisée lui répond : Va en paix. Cette phrase d’envoi signifie que dorénavant, c’est entre Naamân et Dieu lui-même que la suite se joue.
            Est-ce pour rien qu’Elisée sert Dieu ? Oui, semble-t-il. S’agissant de cet épisode de son ministère, Elisée semble bien servir Dieu pour rien.

            Est-ce pour rien que Jésus sert Dieu ? Posons cette question le plus simplement du monde, en face du récit de la guérison de ces dix lépreux. Jésus ordonne aux dix d’aller se montrer aux prêtres – c’est la règle – et ne leur demande rien d’autre. Il n’a d’ailleurs aucun moyen de vérifier qu’ils y sont bien allés. C’est lorsqu’un seul revient que son comportement est un peu étrange. Comment comprendre la question que pose Jésus au sujet des neuf autres ? Jésus s’attendait-il à ce que tous reviennent, rendant gloire à Dieu, et se prosternent à ses pieds ? La manifestation de joie, et de gratitude de cet homme guéri ne dit rien ni de la joie ni de l’ingratitude des neuf autres, et peut-être ces neuf autres sont-ils quelque part à louer Dieu et à crier partout que Jésus a eu pitié d’eux et les a guéris. En fait, nous n’en savons rien. Face aux questions posées par Jésus, nous pouvons penser qu’il a pu espérer un retour plus abondant. Et cette pensée en précède une autre : Jésus, Juif de son temps, n’attendait rien de la part d’un Samaritain qu’il désigne comme cet étranger, d’une autre engeance, et attendait quelque chose d’autre, de plus… de la part de ses compatriotes. S’il attendait quelque chose, quoi que ce fût, ça n’était donc pas vraiment pour rien qu’il avait servi Dieu en les guérissant tous.
            Cet épisode peut nous en rappeler au moins un autre, celui où les disciples de Jésus n’ont pas été capables de guérir un enfant gravement malade. Et que leur dit Jésus ? « Génération incrédule et pervertie ! Jusqu’à quand serai-je tout proche de vous, et aurai-je à supporter de vous ? » (Luc 9,41) Manifestation de colère ? Manifestation d’impatience ? Le motif de cette colère et de cette impatience signale que Jésus aurait aimé que ses disciples, devant lesquels il servait Dieu, soient autres qu’ils n’étaient, deviennent plus rapidement qu’ils ne le pouvaient les témoins pertinent et efficaces de la grâce.
            Nous pouvons aussi penser à la dernière Pâque que Jésus célèbre avec ses disciples. Il sait que tous vont l’abandonner, et il l’accepte. Mais au moment où cela va effectivement se produire, il prie Dieu son Père : « si tu veux écarter de moi cette coupe... » (Luc 22,42). Cette demande même, qui marque un instant de refus, laisse à penser, au moment où tout va s’accomplir, que Jésus, Fils de Dieu, et vrai homme, a éprouvé cette faiblesse bien humaine qui montre que ça n’est pas toujours pour rien qu’on sert Dieu, ni lui, ni personne d’ailleurs. 

            Personne, et même pas Paul – ou l’auteur des épîtres à Timothée. Vous l’avez entendu tout à l’heure. « … je supporte tout, à cause des élus – des membres de l’Eglise – afin qu’eux aussi obtiennent la vie éternelle (…) » et bien, celui qui s’exprime ainsi avoue dans sa propre déclaration que ça n’est pas pour rien qu’il sert Dieu.
           
            Voyez-vous, à part Elisée le prophète, dans un tout petit fragment de sa vie, personne ne passe la barre. Personne ne semble être en mesure de toujours montrer que c’est pour rien qu’il sert Dieu. Mais ne nous attristons pas. D’abord parce que ce que nous avons eu sous les yeux aujourd’hui, ce sont des tranches de vie. Une autre fois, Elisée chancellera. Une autre fois – bien d’autres fois – Jésus tiendra bien haut l’étendard de la foi en Dieu.
            Et puis quand bien même, les fruits de nos engagements nous auraient par trop déçus, et que nous en venions à renier le Christ notre seigneur et maître, lui ne nous renierait pas. Avez-vous remarqué, tout à l’heure, dans la lecture de Timothée, qu’il est écrit : « Si nous le renions, lui aussi nous reniera » ? C’est au verset 12, c’est comme une tache, ou une épreuve. Un copiste, un jour, aura ajouté cela… Alors, c’est dans la Bible, et nous ne le croyons pas. Peut-être que ça n’est pas toujours pour rien que nous servons Dieu, mais c’est toujours pour rien qu’il nous sert, lui. Lui demeure fidèle, Lui ne peut se renier lui-même.


            Que ses serviteurs lui rendent grâce !
            Vous direz après moi : « Nous rendons grâce à Dieu ! »
            Nous rendons grâce à Dieu !
            Amen