Luc 18
9 Il dit encore la parabole que voici à certains qui étaient convaincus
d'être justes et qui méprisaient tous les autres:
10 «Deux hommes montèrent au temple pour prier; l'un était Pharisien et
l'autre collecteur d'impôts.
11 Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: ‹O Dieu, je te rends grâce
de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants,
adultères, ou encore comme ce collecteur d'impôts.
12 Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme de tout ce que je me
procure.›
13 Le collecteur d'impôts, se tenant à distance, ne voulait même pas lever
les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant: ‹O Dieu, prends
pitié du pécheur que je suis.›
14 Je vous le déclare: celui-ci redescendit chez lui justifié, et non
l'autre, car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera
élevé.»
Prédication
Nous avons aujourd’hui un anniversaire à fêter, et je
pense que vous savez lequel. En cette fin du mois d’octobre, c’est la fête de
la Réformation. Les historiens ont retenu pour cette fête la date du 31 octobre
et comme événement l’affichage à Wittenberg de 95 thèses de Martin Luther, dans
la perspective d’une controverse théologique publique destinée « à prouver
la vertu des indulgences ». De 1517 à 2019, cela fait 502 ans, nous avons
fêté les 500 ans il y a deux ans à peine ; et 502 ne fait pas un compte
rond. Il y a un autre anniversaire à fêter, avec un compte rond de 20 ans. Cet
autre anniversaire est celui de la signature, à Augsbourg, le 31 octobre 1999,
d’un texte d’accord au plus haut niveau, entre catholiques et luthériens,
intitulé Déclaration commune sur la
doctrine de la justification. Phrase clé de cet accord : « Nous
confessons ensemble que la personne humaine est, pour son salut, entièrement
dépendante de la grâce salvatrice de Dieu. » Ce qui signifie qu’aucune
belle ou bonne action qu’un être humain pourrait mettre à son propre crédit ne
contribuera jamais à son salut. La foi seule sauve, et non pas la foi ornée de
charité comme il fut dit et rabâché en d’autres lieux, en d’autres temps. La
signature de cet accord mettait un terme à une controverse vieille de presque 5
siècles, controverse grave, avec condamnation, anathèmes, bûchers, avec ruptures
et schismes... Autrement dit, depuis 20 ans maintenant, catholiques et
luthériens, ils sont justifiés par la grâce seule, c’est par grâce seule qu’ils
sont sauvés. On retrouve ici le sola
gratia – sola fide si chers à notre cœur, et que nous partageons désormais
avec les catholiques... mais le saviez-vous seulement ? Si vous n’êtes ni
luthériens, ni catholiques, sachez que ce même accord a été signé aussi et au
plus haut niveau par les méthodistes, les réformés, et les anglicans. Le
saviez-vous seulement ?
J’aime vous poser cette question. Vous a-t-il été donné
l’occasion de lire ce genre de texte d’accord entre Églises ? Vous a-t-il
été donné l’occasion de lire les 95 thèses de Martin Luther, ou d’autres textes
de lui ? Nous pourrons, si vous le
voulez, évoquer cela dans les semaines
qui viennent.
Pour l’heure, retenons qu’à cinq siècles d’aujourd’hui,
des êtres humains dont certains étaient des montagnes d’intelligence se sont
affrontés sur la question de la justification, c'est-à-dire du salut. Et il
s’agissait, en ce temps-là, d’être sauvé d’un purgatoire infernal – avec toutes
les caractéristiques de l’enfer, purgatoire qui attendait à peu près toutes les
âmes dès après leur mort et pour une durée totalement indéterminée – qu’on
pressentait forcément très longue.
A cinq siècles de distance, qui a aujourd’hui peur du
purgatoire, de l’enfer… et qui peut-on réduire à merci en lui prédisant dans
l’éternité d’après sa mort un océan de souffrances ?
Quoi qu’il en soit, la controverse du 16ème
siècle portait sur la justification, le texte de 1999 portait sur la
justification, et les quelques versets d’évangile que nous avons lus tantôt
portent sur la justification. Concentrons-nous maintenant sur ces versets.
Il y a quinze jours, nous avons lu le récit de la
guérison par Jésus de 10 lépreux ; un seul de ces dix lépreux se mit à la
recherche de son guérisseur. L’ayant retrouvé – ayant retrouvé Jésus – il en
entendit cette déclaration : ta foi t’a sauvé (Luc 17,19).
Il y a une question que nous n’avons pas posée ce
jour-là. La foi de cet homme l’a sauvé ; mais elle l’a sauvé de
quoi ?
Il y a huit jours, nous avons commenté la parabole qui
met aux prises un juge inique et une veuve. Cette parabole, prononcée par
Jésus, s’achevait sur « …mais le Fils de l’homme, quand il viendra,
trouvera-t-il la foi sur la terre ? »
Nous avions conclu positivement : oui, il trouvera
la foi sur la terre. Et nous avions aussi pu donner une définition de la
foi : la foi est une joie en quête de l’agent de sa cause. Ce qui fait
que, maintenant, nous pouvons répondre à la question : de quoi la foi
sauve-t-elle ? La réponse vient, assez simplement : la foi sauve d’un
repli sur soi oublieux et ingrat. Et nous savons maintenant quelque chose sur
le salut, quelque chose bien terre à
terre, un salut pour l’être humain vivant : mémoire et reconnaissance.
C’est avec ce bagage que nous abordons le texte de ce jour.
Il est des gens qui sont certains de leur propre salut, et d’autant plus
certains qu’ils en sont eux-mêmes les agents. Leur joie n’est donc plus en
quête de rien. Leur foi a disparu dans l’accomplissement supposé parfait de
leurs engagements. Pourquoi pas… rien ne peut nous empêcher de considérer
valablement ce genre de certitude et d’accomplissement. Cependant, quelque chose
cloche. Si ce Pharisien est si certain du bien fondé et de la valeur de ses
engagements et de ses actes, pourquoi éprouve-t-il le besoin de se distinguer lui-même
d’un autre homme ? Que lui apporte ce collecteur d’impôts en prière ?
Que lui apportent aussi ces autres hommes dont il affirme qu’ils sont voleurs,
malfaisants et adultères ? Certes, il n’est pas comme eux… mais qu’en
est-il au fond de lui-même ? Y a-t-il de la joie en lui ? Et sa joie,
si toutefois il y en a en lui, est-elle en quête de quelque chose ? Il
semble que ce Pharisien soit seulement en quête de pécheurs suffisamment
abominables pour conforter la haute idée qu’il a de lui-même. Mais qu’en est-il
de lui-même dans cette quête, et qu’en est-il de lui-même devant Dieu ?
Pour un peu, ce Pharisien donnerait des leçons de sainteté à Dieu, pour un peu,
il s’élèverait lui-même au-dessus de Dieu.
Autre, bien entendu, est le collecteur d’impôt. Et il n’est absolument pas
écrit que le péché de cet homme soit de collecter l’impôt pour l’occupant romain ;
cet homme qui s’abîme dans sa prière est sur le chemin d’une recollection de
lui-même qui, peut-être, sera un jour paisible. Et dans l’attente de ce jour,
dans la quête de cette paix, il se confronte à un Dieu dont il espère la
miséricorde. Sa joie, si elle vient un jour, aura toujours été en quête de
l’agent de sa cause. De l’attitude de cet homme nous pouvons dire qu’elle n’est
pas encore la foi, mais qu’elle s’oriente vers la foi. Et Jésus, déclare que
c’est là où en est cet homme qu’il est justifié déjà, bien avant même qu’il
puisse être dit de lui qu’il a la foi. Ce qui justifie au fond cet homme, c’est
une foi qui n’est pas encore sienne… au crédit de laquelle on ne peut mettre
aucun acte.
Le Pharisien de la parabole s’en retourna donc chez lui
sans être justifié et sans même le savoir – sans être sauvé – bien qu’il fût
clairement certain du contraire. Quant au collecteur d’impôts, il rentra chez
lui justifié – parole de Jésus – et il n’en savait rien.
Le lecteur, lui, sait tout. Il en sait même trop. Il sait
même que s’il en vient à se féliciter de ne pas être comme le Pharisien, la
justification ne sera pas sienne. Mais qui peut dire qu’il ne s’est jamais
félicité de n’être pas comme… et chacun peut ici finir la phrase : je me
réjouis de n’être pas comme… L’éventail est large, aussi large que les dérives
religieuses, combinées ou pas avec des dérives sexuelles, ou financières…
Et bien, pas d’autre voie de salut que la foi, c'est-à-dire de repérer en
soi cet esprit pharisien, et de lui donner la place dans cette récollection
de
soi dont on espère qu’elle sera un jour apaisée, qu’elle se fera joie, qu’elle
se fera quête de l’agent de sa cause… Dans cette perspective, dans cette quête,
pas d’autre prière possible que « prends pitié du pécheur que je
suis », une prière qui, son adresse étant à Dieu, assume clairement
l’ignorance de son propre exaucement.
Sœurs et frères, nous en resterons là, ne rajoutant que ceci : le
Seigneur connaît nos cœurs et nos chemins. Puisse-t-il prendre pitié des pécheurs
que nous sommes. Et puisse la foi prendre racine et toujours grandir en nous.
Amen