dimanche 12 mai 2019

L'unité du Père et du Fils (Jean 10,22-42)



Jean 10
22 On célébrait alors à Jérusalem la fête de la Dédicace. C'était l'hiver.
23 Au temple, Jésus allait et venait sous le portique de Salomon.

24 Les Juifs firent cercle autour de lui et lui dirent: «Jusqu'à quand vas-tu nous tenir en suspens? Si tu es le Christ, dis-le-nous ouvertement!»
25 Jésus leur répondit: «Je vous l'ai dit et vous ne croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage,
26 mais vous ne me croyez pas, parce que vous n'êtes pas de mes brebis.
27 Mes brebis écoutent ma voix, et je les connais, et elles viennent à ma suite.
28 Et moi, je leur donne la vie éternelle; elles ne périront jamais et personne ne pourra les arracher de ma main.
29 Mon Père qui me les a données est plus grand que tout, et nul n'a le pouvoir d'arracher quelque chose de la main du Père.
30 Moi et le Père nous sommes un.»
31 Les Juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider.

32 Mais Jésus reprit: «Je vous ai fait voir tant d'œuvres belles qui venaient du Père. Pour laquelle de ces œuvres voulez-vous me lapider?»
33 Les Juifs lui répondirent: «Ce n'est pas pour une belle œuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème, parce que toi qui es un homme tu te fais Dieu.»
34 Jésus leur répondit: «N'a-t-il pas été écrit dans votre Loi: J'ai dit: vous êtes des dieux?
35 Il arrive donc à la Loi d'appeler dieux ceux auxquels la parole de Dieu fut adressée. Or nul ne peut abolir l'Écriture.
36 À celui que le Père a consacré et envoyé dans le monde, vous dites: ‹Tu blasphèmes›, parce que j'ai affirmé que je suis le Fils de Dieu.
37 Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez pas!
38 Mais si je les fais, quand bien même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres, afin que vous connaissiez et que vous sachiez bien que le Père est en moi comme je suis dans le Père.»
39 Alors, une fois de plus, ils cherchèrent à l'arrêter, mais il échappa de leurs mains.

40 Jésus s'en retourna au-delà du Jourdain, à l'endroit où Jean avait commencé à baptiser, et il y demeura.
41 Beaucoup vinrent à lui et ils disaient: «Jean, certes, n'a opéré aucun signe, mais tout ce qu'il a dit de cet homme était vrai.»
42 Et là, ils furent nombreux à croire en lui.
Prédication
« Moi et le Père, nous sommes un ». C’est cette affirmation qui va servir de support à notre méditation. Disons d’abord – et cela saute aux yeux – que cette affirmation est une affirmation dangereuse : Jésus qui la prononce risque là sa vie. Il risque sa vie au titre d’une compréhension particulière de cette proclamation… Si nous parlons dès maintenant d’une compréhension particulière de cette affirmation, c’est qu’il en existe plusieurs. Oui, il en existe plusieurs et nous allons les explorer. Comment peut-on comprendre cette affirmation ? Voici 4 variations.

Moi et le Père, nous sommes un (1) Le dogme, le catéchisme, ce qui est écrit et doit toujours être cru.
Pour cette première variation, nous partons d’une note que la (catholique) Bible de Jérusalem met en bas de page : « D’après le contexte, cette affirmation vise en premier lieu la commune puissance de Jésus et du Père ; mais, indéterminée à dessein, elle laisse entrevoir un mystère d’unité plus large et plus profond. Les Juifs ne s’y trompent pas, qui y voient la prétention d’être Dieu. » Un mystère d’unité plus large et plus profond, celui de l’unité du Père et du Fils, les deux premières personnes de la Trinité. Mais ce qui saute aux yeux du lecteur protestant réformé français, c’est que, pour écrire cette note, il faut avoir en tête un certain nombre d’idées, relatives à la doctrine de la Sainte Trinité, idées qui s’imposent comme des évidences lorsque les yeux se posent sur ce petit verset. Remarquez bien que, pour avoir affirmé moi et le Père nous sommes un, Jésus risque d’être mis à mort. Et maintenant sachez bien que, pendant le 16è siècle, pour avoir affirmé que le Père et le Fils ne sont pas un – en somme pour avoir contesté tout ou partie de la doctrine de la Trinité – des hommes ont été pourchassés et certains mis à mort (notamment Michel Servet, en 1553, à Genève, à l’époque de Calvin, avec l’assentiment de celui-ci et des réformateurs des autres cités suisses…).
Pour avoir affirmé l’unité du Père et du Fils, Jésus risque la mort, et sera mis à mort ; pour avoir affirmé le contraire, on peut risquer la mort, et être mis à mort. Qu’il se passe 15 siècles entre ces deux événements ne change rien au fait que, s’agissants de certains énoncés portant sur Dieu – théologiques – certaines personnes sont si attachées à ce qu’elles affirment qu’elles sont prêtes à disqualifier, et parfois à tuer ceux qui affirment autre chose. Mais, dans de telles conditions, pour ceux qui jugent et condamnent, peut-on parler de compréhension ? Pas vraiment, ou plutôt d’une manière très dégradée. Il s’agit plutôt d’inculquer, de surveiller, et de punir.
Mais ceci est le pire. Le catéchisme peut aussi être cette meilleure base, celle contre laquelle nous pouvons exercer nos jeunes talents et nos jeunes crocs, mais aussi, parfois, cette meilleure base où nous pouvons nous reposer, reprendre des forces, avant de poursuivre notre meilleur chemin.

Moi et le père nous sommes un (2) Les brebis et les autres.
Pour cette deuxième variation, nous revenons à cette image que nous connaissons très bien et que Jésus file tout le long de ce chapitre, l’image du berger et de ses brebis. S’agissant des brebis de Jésus, ceux qui en sont croient ; ils reconnaissent la voix de leur bon berger, écoutent cette voix, comprennent ce qu’elle dit, viennent à la suite de ce bon berger. C’est aussi d’une compréhension qu’il s’agit, une compréhension peut-être intuitive, voir viscérale, mais une compréhension tout de même, dans le sens où comprendre, c’est prendre-avec-soi. Et ainsi les brebis – disciples – du berger Jésus, reçoivent-elles l’affirmation que Moi et le Père nous sommes un, et bien d’autres affirmations du même genre.
Ceci étant dit – et, je l’espère, un peu compris – il nous faut remarquer que si certains semblent évidemment être les brebis de Jésus, que son Père lui a données, certains autres n’en sont pas, comme il est écrit « …mais vous ne me croyez pas, parce que vous n’êtes pas de mes brebis ». Ce verset, si nous le prenons ainsi, semble affirmer que certains cœurs ont été faits trop durs pour jamais croire, et donc que ces cœurs sont à jamais exclus du don de la vie éternelle. Alors, nous ne sommes guère étonnés que les gens qui encerclent Jésus prennent finalement très mal cette affirmation. Jésus fait d’eux, qui sont serviteurs de Dieu dans les rituels du temple, des réprouvés de toute éternité, des exclus de la messianité, des pions sans valeur sur l’échiquier de Dieu...
Nous autres, est-ce que nous croyons cela ? Croyons-nous qu’il y a des élus de Dieu et des réprouvés de Dieu, que Dieu connaît de toute éternité ? Avons-nous reçu naïvement la double prédestination calviniste, si bien construite sur des textes bibliques ? Ou croyons-nous, contre le texte que nous méditons maintenant, que tant qu’une vie n’est pas finie, un cœur dur peut être touché et fécondé par la grâce divine ? Croyons-nous à la possibilité toujours possible d’une conversion ?
Et bien, les brebis que j’espère que nous sommes – Dieu seul le sait – peuvent recevoir comme des brebis cette vérité : même si Dieu seul sait qui sont les siens il y a toujours de l’espoir pour chacune et chacun. 
Un père et son fils spirituel, assez connus tous deux...
Moi et le Père nous sommes un (3) Une compréhension par les œuvres.
Même si la fin de la seconde variation est inquiétante, nous pouvons comprendre maintenant l’unité du Père et du Fils selon ce que Jésus dit : « Les œuvres que je fais au nom de mon Père me rendent témoignage. » En matière d’œuvres, il s’agit d’enseignements, et d’actes. L’évangile de Jean se garde bien d’utiliser le mot miracle, il parle de signes, voire de signaux, de signalisation, comme si les quelques actes de puissance qu’il commet n’étaient là que pour attirer l’œil sur des propos, voire juste sur une manière d’être dans l’ordinaire des jours, inconditionnellement humain pour les humains. Un thaumaturge hautain fait bien moins pour l’humanité que l’homme simple dont le regard et la poignée de main sont francs et purs. Les œuvres de Jésus, les œuvres aussi des témoins de Jésus, tirent l’humanité vers le haut, au point de la mener jusqu'à croire – non pas à l’adhésion aveugle à une doctrine, mais à croire, dans le sens où croire dans les œuvres de Jésus c’est les recevoir, et en accomplir de qualitativement semblables.

Moi et le Père, nous sommes un (4) De la parole du prédicateur à la parole de la prédication.
Quatrième, et dernière variation. Lorsque Jésus s’en va et retourne « au-delà du Jourdain, à l’endroit où Jean avait commencé à baptiser », il trouve là des gens qui ont entendu et reçu la prédication de Jean le Baptiste. Cette prédication a préparé ces gens. Le meilleur que la prédication chrétienne puisse accomplir – et tous les prédicateurs de l’Evangile devraient s’en souvenir avec crainte et tremblement autant qu’avec joie et recueillement – c’est préparer ses auditeurs à croire en lui – c'est-à-dire à le reconnaître, l’accueillir, recevoir ce qu’il donne – lorsque le Christ choisit de se manifester à eux. Jean le Baptiste, nous est-il dit, n’a accompli aucun signe, c'est-à-dire qu’il n’y a aucun miracle qui servirait de preuve à mettre à son actif. Mais s’agissant du Christ (du Messie), tout ce qu’il a dit de Lui était vrai et était dit en vérité. Et que disait-il, ce Jean le Baptiste ?
«Un homme ne peut rien s'attribuer au-delà de ce qui lui est donné du ciel. 28 Vous-mêmes, vous m'êtes témoins que j'ai dit: ‹Moi, je ne suis pas le Christ, mais je suis celui qui a été envoyé devant lui.› 29 Celui qui a l'épouse est l'époux; quant à l'ami de l'époux, il se tient là, il l'écoute et la voix de l'époux le comble de joie. Telle est ma joie, elle est parfaite.  30 Il faut qu'il grandisse, et que moi, je diminue. 31 «Celui qui vient d'en haut est au-dessus de tout. Celui qui est de la terre est terrestre et parle de façon terrestre. Celui qui vient du ciel 32 témoigne de ce qu'il a vu et de ce qu'il a entendu, et personne ne reçoit son témoignage. 33 Celui qui reçoit son témoignage ratifie que Dieu est vérité. 34 En effet, celui que Dieu a envoyé dit les paroles de Dieu, qui lui donne l'Esprit sans mesure. 35 Le Père aime le Fils et il a tout remis en sa main » (Jean 3). De nouveau, des énoncés, des paroles ouvertes à tous les niveaux de compréhension que nous avons déjà envisagés, et avec eux, résonnant comme le principe de toute une vie de témoin, de disciple, de prédicateur : « il faut qu’il croisse – et y compris qu’il croisse en nous – et que je diminue ». 

Et voici la fin de ces quatre variations. Que retiendrons-nous ? Comprendre par le catéchisme, comprendre avec le cœur, comprendre avec les œuvres, comprendre avec la parole de la prédication et, dans la restitution de ce qu’on a compris (par le verbe, les actes et la prédication) s’en tenir à ce dernier adage : il faut qu’Il croisse et que je diminue. Puissions-nous traverser ainsi l’existence qui nous est donnée. Amen