samedi 27 avril 2019

Dans toutes les Ecritures (Luc 24,27)


          Quelques fragments du dernier chapitre de l'évangile selon Luc. La totalité du chapitre a été mise en ligne la semaine dernière avec le sermon de Pâques. Il est question des Ecritures, comme l'annonce le titre de ce post. Mais on peut aussi repérer combien de fois Luc emploie les mots tout, tous, toutes... comme il le fait déjà lors du récit des tentations (Ayant épuisé toutes les tentations possibles....)

Luc 24
«Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts?
6 Il n'est pas ici, mais il est ressuscité. Rappelez-vous comment il vous a parlé quand il était encore en Galilée;
7 il disait: ‹Il faut que le Fils de l'homme soit livré aux mains des hommes pécheurs, qu'il soit crucifié et que le troisième jour il ressuscite.› »
8 Alors, elles se rappelèrent ses paroles;
9 elles revinrent du tombeau et rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres.
(...)
25 Et lui leur dit: «Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu'ont déclaré les prophètes!
26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu'il entrât dans sa gloire?»
27 Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait.
(...)

32 Et ils se dirent l'un à l'autre: «Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu'il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures?»
(...)
44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.»
45 Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures,
46 et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour,
47 et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
Un prédicateur célèbre !
Prédication
            La semaine dernière, pour le dimanche de Pâques, nous avons déjà lu ce chapitre (le dernier de l’évangile de Luc – et nous avons insisté sur un verset : aux yeux des disciples, les paroles des femmes semblèrent un délire, et ils les récusaient – ils leur opposaient l’usage et la raison (v.11). Nous avons valorisé ce délire – parce que la résurrection est toujours un sidérant en-deçà des mots et un bouleversant au-delà des idées, et nous avons expliqué aussi que l’usage et la raison devaient trouver place aussi dans le récit, parce qu’ils constituent la trame d’un langage d’une communauté…

            Mais en finissant de préparer le sermon du matin de Pâques, je me suis dit que cette idée était intéressante mais qu’elle laissait de côté bien d’autres choses. Elle laisse de côté par exemple le verbe ressusciter – qui donne résurrection ; or cet unique verbe est utilisé par la TOB pour traduire deux verbes grecs : l’un de ces verbes est « être réveillé », et l’autre « se relever » ; la traduction latine utilise aussi deux verbes très proches l’un de l’autre, mais tout de même différents. Certaines traductions françaises utilisent aussi deux verbes… Cela, je le signale et je le garde en réserve.
            Nous allons nous intéresser à autre chose, que le sermon de Pâques avait laissé de côté. Voici quelques versets (Jésus ressuscité s’adresse aux disciples d’Emmaüs) : 25 Et (Jésus) leur dit: «Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu'ont déclaré les prophètes! 26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu'il entrât dans sa gloire?» 27 Et, commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le concernait. Nous notons que, par trois fois, Luc exprime la totalité…  Voici quelques autres versets (Jésus ressuscité s’adresse à un groupe de disciples) : 44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.» 45 Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures, 46 et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le troisième jour, 47 et on prêchera en son nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer par Jérusalem.
            Il faut que je vous explique maintenant comment sont faites les éditions savantes de la Bible (Nouveau Testament grec par exemple) : dans le centre de la page, le texte, avec plein de petits signes qui renvoient à des notes, en bas de page, ces notes signalent les variantes qu’on trouve selon les manuscrits ; à gauche du texte, dans la marge, il y a des renvois à d’autres versets bibliques, ceux que le texte cite précisément et ceux auxquels il fait allusion.
Un petit morceau de Luc 24 dans une édition critique

            Revenons aux versets que nous avons lus. Lorsque Luc insiste sur tout ce qu’on déclaré les prophètes, tous les prophètes, et toutes les Ecritures, nous nous attendons forcément à trouver, dans la marge, un grand nombre de références. Or, vous ne trouvez que Dt. 18,15 plus Ps. 22 et Esaïe 53… C’est vraiment très très peu par rapport à notre attente. Et lorsque Luc reprend en disant qu’il faut que s’accomplisse tout ce qui a été écrit, il n’y a qu’une référence, Osée 6,2. Pourquoi Luc insiste-t-il autant sur des totalités alors qu’il y a manifestement si peu ? Nous suivons trois pistes
  1. Il y a effectivement très peu de correspondances et de citations si l’on recherche une correspondance mot à mot. C’est toujours un peu naïf de chercher des correspondances mot à mot, mais bon… nous ne pouvons pas nier qu’il nous arrive de le faire, comme, par exemple, lorsque nous devons parler de bénédiction… mais s’il s’agit de trouver Christ, souffrira, ressuscitera, c’est mince, très très mince. Et pour l’allusion au troisième jour, il y a Osée 6,2, oui, mais c’est juste un bout de verset. Bref, cela fait très peu d’eau dans l’océan de l’ancien testament, alors que Luc – redisons-le – parle de tous les prophètes, toutes les Ecritures, etc.
  2.  Il pourrait y avoir des correspondances de versets entiers (comme, au moment de la crucifixion, dans l’évangile de Marc, avec le début du psaume 22, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?). Mais c’est encore moins de correspondances… Or Luc parle de totalité. Parle-t-on de totalité lorsqu’il y a aussi peu ?
  1. Nous pouvons penser, à l’inverse de ce que nous avons fait jusqu’à présent, à une correspondance plus large, plus profonde, un peu comme s’il y avait pour Luc une grande unité – un seul message – entre Moïse (Pentateuque), les Prophètes, et les Psaumes (la Grande Histoire de l’humanité et de la Fidélité de Dieu) ; et que cet unique message converge, culmine, dans la Passion et la Résurrection (son entrée dans la gloire pour toute l’humanité).  Luc aurait ainsi pensé que l’advenue en tant que Fils de Dieu de Jésus de Nazareth serait ce vers quoi tendent – germent, poussent, fleurissent et disperse leur semence – les trois grandes traditions de l’ancien Israël dans son aventure avec Dieu (Moïse et la Torah, les gestes et les paroles des prophètes, et les Psaumes). A l’appui de cette idée, c’est bien Luc qui en matière de résurrection – parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare – fait énoncer à Abraham lui-même que s’ils n’écoutent ni Moïse ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts, ils ne seraient pas convaincus. Luc chercherait ainsi à montrer à des Juifs que l’aventure du Judaïsme converge naturellement vers Christ, et il utilise des mots, des énoncés, des textes de cette tradition ; et il cherche aussi à montrer aux païens, surtout grecs, que l’actualité de la mission et de la résurrection de Jésus les concerne aussi, et pour cela, il emploie d’autres mots. C’est pour cette raison nous semble-t-il qu’il parle de ressusciter-se-relever (plutôt pour les grecs) et de ressusciter-être-réveillé (plutôt pour les Juifs), qu’il parle aussi du vivant parmi les morts (expression très grecque) en faisant le pari qu’en toutes ces matières et dans toutes ces expressions il s’agit du même Christ, du même Dieu, de la même fraternelle humanité, et de la même espérance.

Nous avons, après des siècles de lecture, appris à considérer comme allant de soi cette unité à l’intérieur de Luc et des Actes ; or, plus nous lisons, plus nous nous rendons compte que rien en fait d’unité ne peut aller de soi. Nous avons aussi appris à considérer comme allant de soi la multiplicité  des Eglises. Mais que pensons-nous, vu depuis notre Eglise, des autres Eglises et de leurs spécificités ? Il y a là dans cette multitude des gens que nous pouvons fréquenter, et d’autres… Et là-dessus notre Eglise affirme, après Calvin, que Dieu seul connaît ceux qui lui appartiennent. Nous ne devons pas lire Luc d’une manière trop inclusive, et nous ne pouvons pas le lire non plus d’une manière exclusive. Dieu seul connaît ceux qui sont siens (nous le redisons) (Calvin, Institution, IV-I-8 ; Nombres 16,5). Nous devons – et surtout en commençant par nous-mêmes – examiner, réfléchir, décider. Et rendre finalement gloire à Dieu, en paroles et en actes. 

Puisse alors l’unique espérance dont nous avons parlé être la nôtre, et être nôtre aussi la joie qui va avec cette espérance. Amen