Quelques fragments du dernier chapitre de l'évangile selon Luc. La totalité du chapitre a été mise en ligne la semaine dernière avec le sermon de Pâques. Il est question des Ecritures, comme l'annonce le titre de ce post. Mais on peut aussi repérer combien de fois Luc emploie les mots tout, tous, toutes... comme il le fait déjà lors du récit des tentations (Ayant épuisé toutes les tentations possibles....)
Luc 24
«Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts?
6 Il n'est pas
ici, mais il est ressuscité. Rappelez-vous comment il vous a parlé quand il
était encore en Galilée;
7 il disait:
‹Il faut que le Fils de l'homme soit livré aux mains des hommes pécheurs, qu'il
soit crucifié et que le troisième jour il ressuscite.› »
8 Alors, elles
se rappelèrent ses paroles;
9 elles
revinrent du tombeau et rapportèrent tout cela aux Onze et à tous les autres.
(...)
25 Et lui leur
dit: «Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu'ont déclaré
les prophètes!
26 Ne fallait-il
pas que le Christ souffrît cela et qu'il entrât dans sa gloire?»
27 Et,
commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliqua dans toutes
les Écritures ce qui le concernait.
(...)
32 Et ils se
dirent l'un à l'autre: «Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu'il nous
parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures?»
(...)
44 Puis il leur dit: «Voici
les paroles que je vous ai adressées quand j'étais encore avec vous: il faut
que s'accomplisse tout ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse,
les Prophètes et les Psaumes.»
45 Alors il leur ouvrit
l'intelligence pour comprendre les Écritures,
46 et il leur dit: «C'est
comme il a été écrit: le Christ souffrira et ressuscitera des morts le
troisième jour,
47 et on prêchera en son nom
la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à commencer
par Jérusalem.
Un prédicateur célèbre ! |
Prédication
La semaine
dernière, pour le dimanche de Pâques, nous avons déjà lu ce chapitre (le
dernier de l’évangile de Luc – et nous avons insisté sur un verset : aux
yeux des disciples, les paroles des femmes semblèrent un délire, et ils les
récusaient – ils leur opposaient l’usage et la raison (v.11). Nous avons
valorisé ce délire – parce que la résurrection est toujours un sidérant en-deçà
des mots et un bouleversant au-delà des idées, et nous avons expliqué aussi que
l’usage et la raison devaient trouver place aussi dans le récit, parce qu’ils
constituent la trame d’un langage d’une communauté…
Mais en
finissant de préparer le sermon du matin de Pâques, je me suis dit que cette
idée était intéressante mais qu’elle laissait de côté bien d’autres choses.
Elle laisse de côté par exemple le verbe ressusciter – qui donne résurrection ;
or cet unique verbe est utilisé par la TOB pour traduire deux verbes
grecs : l’un de ces verbes est « être réveillé », et l’autre
« se relever » ; la traduction latine utilise aussi deux verbes
très proches l’un de l’autre, mais tout de même différents. Certaines
traductions françaises utilisent aussi deux verbes… Cela, je le signale et je
le garde en réserve.
Nous allons nous intéresser à autre chose, que le sermon
de Pâques avait laissé de côté. Voici quelques versets (Jésus ressuscité
s’adresse aux disciples d’Emmaüs) : 25 Et (Jésus) leur dit: «Esprits sans
intelligence, cœurs lents à croire tout ce qu'ont déclaré les prophètes!
26 Ne fallait-il pas que le Christ souffrît cela et qu'il entrât
dans sa gloire?» 27 Et, commençant par Moïse et par tous les
prophètes, il leur expliqua dans toutes les Écritures ce qui le
concernait. Nous notons que, par trois fois, Luc exprime la totalité… Voici quelques autres versets
(Jésus ressuscité s’adresse à un groupe de disciples) : 44 Puis il leur dit: «Voici les paroles que je vous ai
adressées quand j'étais encore avec vous: il faut que s'accomplisse tout
ce qui a été écrit de moi dans la Loi de Moïse, les Prophètes et les Psaumes.» 45
Alors il leur ouvrit l'intelligence pour comprendre les Écritures, 46
et il leur dit: «C'est comme il a été écrit: le Christ souffrira et
ressuscitera des morts le troisième jour, 47 et on prêchera en son
nom la conversion et le pardon des péchés à toutes les nations, à
commencer par Jérusalem.
Il faut que je vous explique maintenant comment sont
faites les éditions savantes de la Bible (Nouveau Testament grec par
exemple) : dans le centre de la page, le texte, avec plein de petits
signes qui renvoient à des notes, en bas de page, ces notes signalent les
variantes qu’on trouve selon les manuscrits ; à gauche du texte, dans la
marge, il y a des renvois à d’autres versets bibliques, ceux que le texte cite
précisément et ceux auxquels il fait allusion.
Un petit morceau de Luc 24 dans une édition critique
Revenons aux versets que nous avons lus. Lorsque Luc
insiste sur tout ce qu’on déclaré les prophètes, tous les
prophètes, et toutes les Ecritures, nous nous attendons forcément à
trouver, dans la marge, un grand nombre de références. Or, vous ne trouvez que
Dt. 18,15 plus Ps. 22 et Esaïe 53… C’est vraiment très très peu par rapport à notre
attente. Et lorsque Luc reprend en disant qu’il faut que s’accomplisse tout
ce qui a été écrit, il n’y a qu’une référence, Osée 6,2. Pourquoi Luc
insiste-t-il autant sur des totalités alors qu’il y a manifestement si
peu ? Nous suivons trois pistes
- Il y a effectivement très peu de correspondances et de citations si
l’on recherche une correspondance mot à mot. C’est toujours un peu naïf de
chercher des correspondances mot à mot, mais bon… nous ne pouvons pas nier
qu’il nous arrive de le faire, comme, par exemple, lorsque nous devons
parler de bénédiction… mais s’il s’agit de trouver Christ, souffrira,
ressuscitera, c’est mince, très très mince. Et pour l’allusion au
troisième jour, il y a Osée 6,2, oui, mais c’est juste un bout de verset.
Bref, cela fait très peu d’eau dans l’océan de l’ancien testament, alors
que Luc – redisons-le – parle de tous les prophètes, toutes les Ecritures,
etc.
- Il pourrait y avoir des correspondances de versets entiers (comme, au moment de la crucifixion, dans l’évangile de Marc, avec le début du psaume 22, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?). Mais c’est encore moins de correspondances… Or Luc parle de totalité. Parle-t-on de totalité lorsqu’il y a aussi peu ?
- Nous pouvons penser, à l’inverse de ce que nous avons fait jusqu’à présent, à une correspondance plus large, plus profonde, un peu comme s’il y avait pour Luc une grande unité – un seul message – entre Moïse (Pentateuque), les Prophètes, et les Psaumes (la Grande Histoire de l’humanité et de la Fidélité de Dieu) ; et que cet unique message converge, culmine, dans la Passion et la Résurrection (son entrée dans la gloire pour toute l’humanité). Luc aurait ainsi pensé que l’advenue en tant que Fils de Dieu de Jésus de Nazareth serait ce vers quoi tendent – germent, poussent, fleurissent et disperse leur semence – les trois grandes traditions de l’ancien Israël dans son aventure avec Dieu (Moïse et la Torah, les gestes et les paroles des prophètes, et les Psaumes). A l’appui de cette idée, c’est bien Luc qui en matière de résurrection – parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare – fait énoncer à Abraham lui-même que s’ils n’écoutent ni Moïse ni les prophètes, même si quelqu’un ressuscitait d’entre les morts, ils ne seraient pas convaincus. Luc chercherait ainsi à montrer à des Juifs que l’aventure du Judaïsme converge naturellement vers Christ, et il utilise des mots, des énoncés, des textes de cette tradition ; et il cherche aussi à montrer aux païens, surtout grecs, que l’actualité de la mission et de la résurrection de Jésus les concerne aussi, et pour cela, il emploie d’autres mots. C’est pour cette raison nous semble-t-il qu’il parle de ressusciter-se-relever (plutôt pour les grecs) et de ressusciter-être-réveillé (plutôt pour les Juifs), qu’il parle aussi du vivant parmi les morts (expression très grecque) en faisant le pari qu’en toutes ces matières et dans toutes ces expressions il s’agit du même Christ, du même Dieu, de la même fraternelle humanité, et de la même espérance.
Nous avons, après des siècles de lecture, appris à considérer comme allant
de soi cette unité à l’intérieur de Luc et des Actes ; or, plus nous
lisons, plus nous nous rendons compte que rien en fait d’unité ne peut aller de
soi. Nous avons aussi appris à considérer comme allant de soi la
multiplicité des Eglises. Mais que
pensons-nous, vu depuis notre Eglise, des autres Eglises et de leurs
spécificités ? Il y a là dans cette multitude des gens que nous pouvons
fréquenter, et d’autres… Et là-dessus notre Eglise affirme, après Calvin, que
Dieu seul connaît ceux qui lui appartiennent. Nous ne devons pas lire Luc d’une
manière trop inclusive, et nous ne pouvons pas le lire non plus d’une manière
exclusive. Dieu seul connaît ceux qui sont siens (nous le redisons) (Calvin, Institution, IV-I-8 ; Nombres 16,5).
Nous devons – et surtout en commençant par nous-mêmes – examiner, réfléchir,
décider. Et rendre finalement gloire à Dieu, en paroles et en actes.
Puisse alors l’unique espérance dont nous avons parlé être la nôtre, et
être nôtre aussi la joie qui va avec cette espérance. Amen