dimanche 7 avril 2019

Seule la miséricorde ... (Jean 8,1-11, et quelques versets du Lévitique)



Lévitique 18
4 mettez en pratique mes coutumes et veillez à garder mes lois. C'est moi, le SEIGNEUR, votre Dieu.
5 Gardez mes lois et mes coutumes : c'est en les mettant en pratique que l'homme a la vie. C'est moi, le SEIGNEUR.

Lévitique 20
7 Sanctifiez-vous donc pour être saints, car c'est moi, le SEIGNEUR, votre Dieu.
8 Gardez mes lois et mettez-les en pratique. C'est moi, le Seigneur, qui vous sanctifie.
9 Ainsi: Quand un homme insulte son père ou sa mère, il sera mis à mort; il a insulté père et mère, son sang retombe sur lui.
10 Quand un homme commet l'adultère avec la femme de son prochain, ils seront mis à mort, l'homme adultère aussi bien que la femme adultère.
... mais où donc est l'homme ?
Jean 8
1 Et Jésus gagna le mont des Oliviers.
2 Dès le point du jour, il revint au temple et, comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner.
3 Les scribes et les Pharisiens amenèrent alors une femme qu'on avait surprise en adultère et ils la placèrent au milieu du groupe.

4 «Maître, lui dirent-ils, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère.
5 Dans la Loi, Moïse nous a prescrit de lapider ces femmes-là. Et toi, qu'en dis-tu?»
6 Ils parlaient ainsi dans l'intention de lui tendre un piège, pour avoir de quoi l'accuser. Mais Jésus, se baissant, se mit à tracer du doigt des traits sur le sol.
7 Comme ils continuaient à lui poser des questions, Jésus se redressa et leur dit: «Que celui d'entre vous qui n'a jamais péché lui jette la première pierre.»
8 Et s'inclinant à nouveau, il se remit à tracer des traits sur le sol.
9 Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l'un après l'autre, à commencer par les plus âgés, et Jésus resta seul. Comme la femme était toujours là, au milieu du cercle,
10 Jésus se redressa et lui dit: «Femme, où sont-ils donc? Personne ne t'a condamnée?»
11 Elle répondit: «Personne, Seigneur», et Jésus lui dit: «Moi non plus, je ne te condamne pas: va, et désormais ne pèche plus.»
Prédication :
         Et ainsi, cette femme, dont la culpabilité ne faisait aucun doute puisqu’elle avait été surprise en flagrant délit… cette femme déjà condamnée ne fut pas exécutée. On attribue le mérite de ce sauvetage à l’admirable phrase de Jésus, qui vaut à elle seule tout un évangile : « Celui qui d’entre vous est sans péché, qu’il lui jette le premier la pierre. » Nous connaissons la suite et nous ne nous lassons pas de ce spectacle : ils s’en vont tous, l’un après l’autre, en commençant par les plus âgés. Le dernier mot vient de Jésus, qui ne condamne pas et qui rappelle la Loi.
           La petite paraphrase que je viens de vous proposer laisse pourtant quelque chose dans l’ombre, une question. L’idée que scribes et Pharisiens se font de la Loi de Moïse dans le cas de cette femme est qu’elle doit être lapidée. De fait, très facilement, nous trouvons dans la Loi – Lévitique 20,10 – le fondement de la sanction. Et nul ne semble douter que si la femme était mise à mort, la Loi serait effectivement appliquée. C’est même tellement évident que les accusateurs font de ce cas un piège pour Jésus : toute autre réponse que ‘la mort !’ reviendrait à mépriser la Loi, toute autre réponse que ‘la mort !’ serait un blasphème.
Or, une autre réponse est possible, nous l’avons lu et répété. Et voici que cette réponse accomplit la Loi. Mettre à mort la femme, cela accomplissait la Loi, apparemment. L’interpellation que Jésus adresse aux accusateurs, et la grâce qu’il accorde à la femme, cela accomplit la Loi aussi. Et nous voici avec deux jugements possibles et inverses l’un de l’autre pour accomplir la même Loi… là est la question que nous nous posons : en quoi les paroles de Jésus accomplissent-elles la Loi et l’accomplissent-elle d’une manière qui s’impose tant aux accusateurs qu’à l’accusée ? Nous méditons sur cette question.

Pour commencer, serrons le texte de près. Et remarquons que ceux qui s’adressent à Jésus viennent avec un cas particulier, un commandement correspondant à ce cas, et une condamnation correspondant à ce cas. Nous reconnaissons que le commandement et la condamnation sont bien dans la Loi, mais que procéder ainsi – faute-commandement-condamnation- sanction – avec une sorte de règle d’équivalence automatique, cela n’accomplit pas la Loi. Certes cela accomplit littéralement un commandement, mais cela laisse de côté tous les autres. Un commandement isolé de tous les autres commandements, ça n’est pas la Loi.
Car la Loi, qu’est-ce que c’est ? La Loi est souvent représentée par deux tables sur lesquelles les dix commandements figurent en abrégé. Mais est-ce cela, la Loi ? Les tables sont-elle un catalogue à l’intérieur duquel on prélève à un moment donné cela qui peut servir (on n’y trouvera pas dans ce cas de quoi condamner une femme adultère) ? Ou bien est-ce que tel commandement doit être compris – et mis en œuvre – en tâchant de respecter aussi tous ceux qui le précèdent ? voire tous les autres qui y sont inscrits ? Il y a quelques années, dans le temple de Saint-Agrève (Ardèche), était affichée une très intéressante représentation des dix commandements : chaque commandement était la branche d’un même arbre, et les branches se croisaient, s’emmêlaient d’une manière indéfaisable…
Les dix commandements en tant que tels ne prévoient aucune sanction ; ils nomment des faits et interdisent certains actes. Ils interdisent en particulier l’idolâtrie, c'est-à-dire d’avoir quelqu’autre dieu de Dieu. Ce qui a pour conséquence que toute personne qui, obéissant à tel ou tel commandement, se réjouit en soi-même et devant Dieu de l’avoir fait, prend ce commandement pour dieu et place sa propre observance au-dessus de Dieu lui-même. Ce qui est un blasphème… Jésus pourrait donc tout à fait traiter de blasphémateurs les accusateurs de la femme.
Les choses se sont déjà un peu complexifiées. Ne le regrettons pas : il y a une personne qui est à genoux, au milieu d’un cercle menaçant ; et s’ils n’étaient pas dans le temple, ils auraient déjà ramassé des pierres… Pour l’instant, nous n’avons parlé que des dix commandements, mais la Loi, ça n’est pas seulement les dix commandements. Ils en font partie, mais les cinq premiers livres de la Bible constituent la Loi. Il y a donc dans la Loi les deux fragments du Lévitique que nous avons lus, et ça n’est pas tout. Car les Prophètes n’ont jamais fait grand-chose d’autre que rappeler la Loi, et en particulier, s’agissant du prophète Ezéchiel, dans un raccourci fulgurant, de rappeler une certaine parole de Dieu : « Je ne prends pas plaisir à la mort de celui qui meurt… » (Ezéchiel 18,32). Cela fait partie de la Loi, au même titre que Lévitique, et cela vient aussi se croiser avec tous les autres commandements bibliques, dont ceux qui prévoient la mise à mort des contrevenants. D’autant plus que, par la bouche du prophète Ezéchiel, Dieu dit encore : « Revenez (convertissez-vous) et vivez ! »
Et il y a plus encore. En plus d’une Loi écrite (on parle de la Torah), il y a aussi, au temps de Jésus, une Loi orale, qui collectionne les commentaires de la Torah écrite, les décisions juridiques, les commentaires des commentaires... qui furent mis par écrit lorsque les Juifs subirent la grande dispersion du second siècle de notre ère (Talmud). Ainsi, on ne doit jamais juger quelqu’un sur l’unique base d’un verset biblique, car c’est faire insulte à tous ceux, nos anciens, nos maîtres, qui ont réfléchi, commenté, et jugé avant ‘nous’…
La Loi, est-ce enfin tout cela ? Les 613 commandements de la Torah ? Non, me dit un jour un ami Rabbin, 613, ce sont les commandements principaux, il y en a encore beaucoup d’autres… 

Tout cela, Jésus le rappelle aux scribes et Pharisiens. Il le leur rappelle par son silence, en se baissant pour tracer des traits sur le sol et en leur disant que seul quelqu’un qui serait sans péché – non qu’il n’aurait jamais péché, mais qu’il aurait été sanctifié de tous ses péchés – pourrait jeter le premier la première pierre. Qui donc est sans péché ? C’est peut-être le plus important, un des moments les plus profonds, les plus puissants et les plus géniaux de toute la Bible, Lévitique 20,7-8. Répétons-les encore : « Sanctifiez-vous et soyez saints, oui, c’est moi le Seigneur votre Dieu. Gardez mes lois et mettez-les en pratique (faites-les) c’est moi le Seigneur qui vous sanctifie. »
Quiconque s’affirmerait sans péché pourrait certes le premier jeter la pierre mais se désignerait aussi lui-même comme blasphémateur… quand bien même il aurait été strictement observant tout le reste de sa vie. Cela, ils le savent, tous. Même s’il faut un peu d’âge, et une certaine sagesse, pour reconnaître cette certitude de la foi, selon laquelle Dieu seul connaît ceux à qui il a fait ou fera miséricorde, cette vérité que Dieu seul connaît ceux qu’il a sanctifiés.
Et c’est pour cette raison que, même si les faits sont aussi bien établis que dans le cas de cette femme, une seule possibilité demeure finalement qui accomplisse la Loi et qui ne soit pas blasphématoire : la miséricorde.

Que ce Dieu qui nous a fait miséricorde fasse de nous des femmes et des hommes de miséricorde. Amen