dimanche 2 septembre 2018

Changer le cœur de l'homme - première partie (Marc 7,1-23)


Marc 7
1 Les Pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se rassemblent auprès de Jésus.
2 Ils voient que certains de ses disciples prennent leurs repas avec des mains impures, c'est-à-dire sans les avoir lavées.
3 En effet, les Pharisiens, comme tous les Juifs, ne mangent pas sans s'être lavé soigneusement les mains, par attachement à la tradition des anciens; 4 en revenant du marché, ils ne mangent pas sans avoir fait des ablutions; et il y a beaucoup d'autres pratiques traditionnelles auxquelles ils sont attachés: lavages rituels des coupes, des cruches et des plats.
5 Les Pharisiens et les scribes demandent donc à Jésus: «Pourquoi tes disciples ne se conduisent-ils pas conformément à la tradition des anciens, mais prennent-ils leur repas avec des mains impures?»
6 Il leur dit: «Esaïe a bien prophétisé à votre sujet, hypocrites, car il est écrit: Ce peuple m'honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi; 7 c'est en vain qu'ils me rendent un culte car les doctrines qu'ils enseignent ne sont que préceptes d'hommes. 8 Vous laissez de côté le commandement de Dieu et vous vous attachez à la tradition des hommes.»
9 Il leur dit: «Vous repoussez bel et bien le commandement de Dieu pour garder votre tradition. 10 Car Moïse a dit: ‹Honore ton père et ta mère›, et encore: ‹Celui qui insulte père ou mère, qu'il soit puni de mort.› 11 Mais vous, vous dites: ‹Si quelqu'un dit à son père ou à sa mère: le secours que tu devais recevoir de moi est qorbân, c'est-à-dire offrande sacrée...›, 12 vous lui permettez de ne plus rien faire pour son père ou pour sa mère: 13 vous annulez ainsi la parole de Dieu par la tradition que vous transmettez. Et vous faites beaucoup de choses du même genre.»
14 Puis, appelant de nouveau la foule, il leur disait: «Écoutez-moi tous et comprenez. 15 Il n'y a rien d'extérieur à l'homme qui puisse le rendre impur en pénétrant en lui, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui rend l'homme impur.»

17 Lorsqu'il fut entré dans la maison, loin de la foule, ses disciples l'interrogeaient sur cette parole énigmatique.
18 Il leur dit: «Vous aussi, êtes-vous donc sans intelligence? Ne savez-vous pas que rien de ce qui pénètre de l'extérieur dans l'homme ne peut le rendre impur, 19 puisque cela ne pénètre pas dans son cœur, mais dans son ventre, puis s'en va dans la fosse?» Il déclarait ainsi que tous les aliments sont purs.
20 Il dit: «Ce qui sort de l'homme, c'est cela qui rend l'homme impur. 21 En effet, c'est de l'intérieur, c'est du cœur des hommes que sortent les intentions mauvaises, inconduite, vols, meurtres, 22 adultères, cupidité, perversités, ruse, débauche, envie, injures, vanité, déraison. 23 Tout ce mal sort de l'intérieur et rend l'homme impur.»


Prédication :
            Pur, ou impur ? Supposons que nous devions aujourd’hui célébrer la Sainte Cène, ou que nous devions partager un repas communautaire, est-ce que la question du pur ou de l’impur se poserait à nous, au point que certains participants s’excluraient du repas, ou excluraient d’autres participants, pour des raisons de pureté, pureté des personnes, pureté de la nourriture, pureté de la vaisselle ? Vous n’imaginez pas que cela se produise entre nous. Nos communautés – protestantes, luthéro-réformées, en France, ont réglé depuis longtemps cette question. Le rituel d’avant manger est réduit : une prière ou un chant, ou rien du tout. Et l’on ne se fait pas de guerre avec ça. La question de la pureté rituelle d’avant manger n’est pas chez nous une question vraiment importante.
            Elle avait, cette question du pur et de l’impur, du temps de Jésus, et du temps de Marc l’évangéliste, une tout autre importance. Un exemple : on ne se lavait pas les mains, et l’on ne purifiait pas les plats de la même manière à Qumran et à Jérusalem. A Qumran, où l’on a retrouvé les manuscrits dits de la Mer Morte, mais aussi un ensemble architectural, il semble même que les rituels de purification aient atteint des sommets de sophistication ; on pense que les immenses bassins de rétention d’eau qu’on y a retrouvés ne servaient qu’à ça. Quant aux usages en Galilée, nous lisons que certains des disciples de Jésus ne se lavaient pas rituellement les mains, ce qui donne à penser que d’autres se les lavaient, et que les uns et les autres, disciples de Jésus, vivaient paisiblement cette diversité de pratique. Mais pour des gens plus observants, scribes Judéens, voir purs Jérusalémites, si un seul ne se lavait pas les mains, tout le groupe  était impur, tous contaminés par un seul.
            Alors, purs, ou impurs ? La question de la pureté a conduit à plusieurs schismes dans le Proche Orient ancien, schisme entre Jérusalem et Qumran, schisme entre Judée et Samarie (affaire de mariages avec des ‘étrangères’) ; très suspecte était aussi, vue de Jérusalem, cette Galilée des nations, où Jésus prêchait, dont le peuplement avait été tout chamboulé par les Assyriens six ou sept siècles plus tôt et qui, zone de passage, avait subi et subissait encore l’occupation et l’influence étrangères.
            Purs, ou impurs ? Ne laissons pas trop vite cette question. De la réponse qu’on lui apporte dépendent les alliances possibles, les soutiens possibles, les mariages possibles, la reconnaissance ou le mépris. Il s’est trouvé des radicaux pour affirmer qu’il y a autant de différence entre le Juif et l’humain qu’entre l’humain et l’animal…
            Le pur ou l’impur, dans notre texte et dans la bouche des Judéens venus se renseigner sur Jésus, n’a pas seulement une portée religieuse ou mystique. Ramené exclusivement à une question d’observance rituelle, il détermine objectivement les limites de la reconnaissance fraternelle. Ainsi, une seule question est posée à Jésus : « Pourquoi tes disciples ne marchent-ils pas selon la tradition des anciens et prennent-ils leur repas avec des mains impures ? » Et alors, Jésus ne répond pas à cette question. Le ton monte immédiatement. Jésus insulte. C’est la guerre.

            Nous aurions bien aimé que Jésus réponde courtoisement à une question que nous aurions bien aimé être une question fraternelle, une demande d’éclaircissements, ou de précisions. Nous aimerions bien avoir, de la bouche même de Jésus, des éléments de réponse. Car la question du « Pourquoi faites vous ceci de telle manière ? » ne nous est pas étrangère, et qu’elle peut bien nous être posée à nous aussi. Or, autour de cette question, il y a une guerre à mener. Depuis que l’homme est homme et depuis qu’il invoque Dieu, il y a une question qui se pose : ce qui est sur les lèvres (la manière de confesser le Nom de Dieu et de célébrer Dieu), et ce qu’il y a dans le cœur de l’homme, sont-ils en correspondance ? Bien entendu, s’il y a un Dieu violent inventé et adoré par des hommes violents, le rituel, la pensée et les actes convergent très aisément. Les récits des guerres de Iahvé, dans notre Bible, relèvent bien de cela. Mais lorsqu’il s’agit d’un Dieu qui cherche son peuple, qui le chérit, qui le secourt, qui lui fait grâce, quelle forme doit prendre l’adoration de ce Dieu, et quelle forme doit prendre la vie de ses adorateurs ?

            On ne devrait pas pouvoir se réclamer de Iahvé et de Moïse son Serviteur et laisser un grand écart entre ce qu’on célèbre et ce qu’on fait. Malheureusement, on le peut… les plus violents des adorateurs de Dieu que nous ayons connus ces dernières décennies se réclamaient bien du Très Miséricordieux, et de grands prédateurs sexuels aussi ont prospéré jusqu’à aujourd’hui dans des institutions se réclamant de Jésus Christ. Les prophètes qualifient d’égarement, de sottise, voire de monstruosité toute adoration menée sous ces auspices.
            La question soulevée n’est pas simplement se laver rituellement les mains ou ne pas se les laver. Ce n’est pas non plus peut-on manger de tout, ou pas. La question est : « Quel profit attend-on de sa propre pratique et de la pratique dont on fait promotion ? » Un profit de pureté, le texte tourne tout autour de cette notion, dont nous avons sous les yeux une version très dégradée : être pur, pour les détracteurs de Jésus, c’est être différent et séparé du reste du monde, en étant en plus bien entre soi entre gens biens semblables, vivant d’une unique manière le même rituel, en profitant largement des bénéfices pas seulement financiers du culte… Et il y a là-dessous une définition objective et exclusive de la pureté ; elle ne concerne que les apparences, et laisse totalement de côté les autres et le cœur.
            Ce qui est très étonnant ici, c’est que lorsque Jésus commence à avancer sa propre définition de la pureté, même ses propres disciples ne la saisissent pas. Or, il n’y a aucune différence profonde entre ceux qui se reconnaissent entre eux parce qu’ils se lavent les mains, ceux qui se reconnaissent entre eux parce qu’ils ne se lavent pas les mains, et ceux qui se reconnaissent entre eux à ce qu’ils se lavent ou ne se lavent pas les mains. Bien plus, tout signe religieux par lequel on se donne raison, par lequel on se distingue, par lequel on se sépare de ses semblables et avec lequel on les regarde de haut mérite l’invective prophétique de Jésus : « Hypocrites ! » Rien de ce qui entre dans l’homme, rien de ce que fait l’homme en matière de rituel, ne peut le rendre impur, nous l’avons lu, et seulement ce qui sort du cœur de l’homme peut le rendre impur, délibération mauvaises présidant à des actes mauvais. La liste de ces actes est longue, et tous ont en commun que celui qui les pense et les commet fait plus cas de lui-même que de son prochain, prochain pour lequel il n’a aucune considération, prochain qui n’est pas son prochain, mais juste un esclave, voire une proie. Des horreurs sortent alors du cœur de l’homme et sont mises en pratique.

            Ce qui nous mène à une ultime question : l’homme peut-il purifier l’intérieur de son propre cœur ? La question est ancienne, et elle est toujours d’actualité. Nous verrons la semaine prochaine qu’elle concerne Jésus lui-même. Autant qu’elle nous concerne nous.
L’homme peut-il purifier l’intérieur de son propre cœur ? Avec l’aide de Dieu, je pense que oui, je crois que oui. Persister dans la prière, dans la liturgie, dans l’étude et la méditation de la Bible… peut y contribuer. Je crois que c’est le chemin d’une vie et que, sur ce chemin, Dieu nous demeure toujours en aide. Amen