dimanche 23 septembre 2018

La Passion du Fils de l'homme (Marc 9,30-37)


Marc 9
30 Partis de là, ils traversaient la Galilée et Jésus ne voulait pas qu'on le sache.
31 Car il enseignait ses disciples et leur disait: «Le Fils de l'homme va être livré aux mains des humains; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois jours après il ressuscitera.»
32 Mais ils ne comprenaient pas cette parole et craignaient de l'interroger.
33 Ils allèrent à Capharnaüm. Une fois à la maison, Jésus leur demandait: «De quoi discutiez-vous en chemin?»
34 Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils s'étaient querellés pour savoir qui était le plus grand.
35 Jésus s'assit et il appela les Douze; il leur dit: «Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le serviteur de tous.»
36 Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d'eux et, après l'avoir embrassé, il leur dit:
37 «Qui accueille en mon nom un enfant comme celui-là, m'accueille moi-même; et qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il accueille, mais Celui qui m'a envoyé.»

Prédication
            Dans l’évangile de Marc, par trois fois, Jésus annonce sa Passion à ses disciples. L’annonce que nous avons ici est la seconde des trois. «Le Fils de l'homme va être livré aux mains des hommes ; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois jours après il ressuscitera.»

            Tout de suite, faisons une pause ; et demandons-nous pourquoi nous considérons que ces quelques mots de Jésus sont une annonce de sa Passion ? La question vous semble absurde ? Mais elle ne l’est pas. Enfin… que cette question soit ou ne soit pas absurde, essayons de répondre.
            1. Les éditeurs de Bibles proposent, presque unanimement, une certaine interprétation de cette phrase. Nous considérons ainsi que c’est une annonce de la Passion parce que nos Bibles nous le suggèrent. Au dessus de Marc 8.31, de Marc 9.31 et de Marc 10.32, il est écrit, par les éditeurs de la Bible, que Jésus annonce sa Passion et sa Résurrection. Or ni le mot Passion ni le mot Résurrection ne figurent dans la phrase que prononce Jésus.
            Il faut se méfier un peu des éditeurs de Bibles et des intertitres par lesquels ils rompent la continuité du texte. Ces intertitres, souvent, dispensent le lecteur de réfléchir. Et c’est bien dommage.
            2. Mais alors, vous considérez que Jésus annonce sa Passion et sa Résurrection parce que, tout de même, lorsque dans la bouche de Jésus apparaît  que le Fils de l’homme va être livré, mis à mort et qu’il ressuscitera trois jours plus tard, c’est indéniablement le vocabulaire de la Passion et de la Résurrection.
            Certes, mais est-ce bien certain ? Est-ce qu’en interprétant ainsi la phrase que Jésus prononce on n’est pas en train de mettre un peu la fin avant le commencement, de faire valoir une fine connaissance de l’Evangile, et de l’opposer à l’ignorance, ou l’incompréhension des disciples de Jésus… comme si nous étions mieux informé, ou plus malins qu’eux ? Comme si, nous, nous comprenions ce que Jésus leur dit – ou cherche à leur dire.

            Avez-vous considéré un jour que, lorsque Jésus parle ainsi du  Fils de l’homme, il annonce que sa passion a déjà commencé et qu’elle est en quelque manière sans fin ?

            Revenons à cette phrase, traduction œcuménique de la Bible : « Le Fils de l'homme va être livré aux mains des humains; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois jours après il ressuscitera. » Et puisque nous en sommes à nous méfier de tout, méfions-nous aussi du traducteur. Voici un mot à mot : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des humains, et ils le tueront, et, ayant été tué, trois jours après, il se relèvera. »
            Bien entendu, maintenant, vous pouvez aussi vous méfier du traducteur. Mais avant que vous vous méfiiez trop, demandons-nous ce que ce mot à mot peut apporter à notre réflexion.
1. Le Fils de l’homme est livré aux mains des humains (verbe à l’indicatif présent passif). Ce n’est pas dans le futur seulement qu’il le sera. Lorsque Jésus parle à ses disciples, il est déjà livré aux mains des humains, et donc livré aussi, voire même premièrement, à ses disciples, mais il est aussi livré aux foules, et livré aussi à ses détracteurs ; le Fils de l’homme – Jésus lui-même, Fils de Dieu – est encore livré aux lecteurs de l’Evangile. Il est livré à l’humanité. Il est livré à tous, c'est-à-dire que tous font et vont faire de lui exactement ce qu’ils veulent.
2. Et ce qu’ils font et vont faire, c’est le tuer. Et ils le tueront. Ceux qui le tueront ne sont pas seulement ces méchantes personnes qui ourdiront un procès inique contre Jésus et le feront exécuter sur l’autel de la paix romaine et sur l’autel de l’institution du Temple de Jérusalem. Non, ils le tueront, tous. Même les disciples de Jésus, même les lecteurs de l’évangile de Marc, ils tuent et vont tuer le Fils de l’homme. C’est une annonce prophétique.
3. Et, trois jours après il se relèvera. Vous savez bien qu’en langue grecque il n’y a pas de verbe qui signifie ressusciter ; le verbe ressusciter est une invention des traducteurs latins. Marc utilise le verbe ‘se relever’. En utilisant ce verbe, il nous rend le service de ne pas nous imposer l’idée qu’après ces premières relevailles, le Fils de l’homme ne peut plus jamais être tué. Ce qu’il nous suggère, c’est qu’autant de fois que le Fils de l’homme est tué par les humains, autant de fois, trois jours après, il se relève.

Qu’est-ce à dire que tout cela ? Le Fils de l’homme vit, parle, enseigne, guérit, nourrit…. Et en cela le Fils de l’homme est toujours livré aux mains des humains. Son enseignement les ravit, mais son enseignement aussi les trouble, les interpelle, les met en cause ; et tellement radicalement que, toujours, ils finissent par le tuer. Mais toujours aussi, trois jours plus tard – un certain temps – le Fils de l’homme se relève. Et avec lui se relèvent et ressurgissent l’interpellation des humains, la mise en question des humains, et l’espérance des humains, tous les humains, ceux d’hier, ceux d’aujourd’hui, et tous ceux qui viendront. Tous, invités à prendre un même chemin, celui de l’apprentissage de la foi (Luther), ou celui de la sainteté (Calvin), qui sont un seul et même chemin.

Est-ce que les humains veulent de tout cela ?
1. Oui… Quelques-uns en tout cas ont répondu à l’appel et ils ont suivi celui qui les a appelés. Que dire de plus sur ce oui initial ? Le cœur humain n’est pas forcément mauvais, il peut ressentir l’appel du Fils de l’homme, et concevoir l’idée de le suivre, d’apprendre de lui…
2. Mais, lorsque les humains doivent comprendre que leur maître n’est pas un maître ordinaire, que le Fils de l’homme est – parce qu’il est Fils de l’homme – livré aux mains des humains, lorsqu’ils doivent comprendre quelle consécration va être la leur et quel abîme les sépare de cette consécration, alors, le oui se fait fragile, et, parfois, le oui se transforme en non. Et la preuve évidente de ce non, c’est que chaque fois que Jésus annonce sa passion, non pas celle de la semaine sainte, mais sa « passion de chaque jour » (Marc 8, 9 et 10) les disciples réagissent à cette annonce par de violentes réactions de déni : Pierre le réprimande, les disciples se querellent sur qui est le plus grand, Jacques et Jean demandent une faveur spéciale… Ce sont des réactions de déni devant une vérité qui déchire : le oui de leur réponse à l’appel de Jésus ne résiste pas à la tension des plus grands engagements. Tout comme ce oui ne résistera pas lorsque Judas ira trahir Jésus, tout comme le oui ne tiendra pas à Gethsémanée, ne résistera pas lorsque Pierre sera interpellé, et ne résistera pas lorsque les femmes, au matin de Pâques, ayant vu et entendu l’ange, prennent la fuite et ne disent jamais rien à personne. Le oui alors devient non. Marc est-il pessimiste ? Son évangile est-il l’évangile de la fin de l’Evangile ?
3. La vérité que Jésus Christ Fils de Dieu énonce est une vérité qui déchire : le oui devient non. Mais cette vérité n’est pas toute entière dite en disant que le oui devient non. Le non, que devient-il ? Il n’y a pas que le Fils de l’homme qui se relève après avoir été mis à mort. Se relèvent aussi les disciples de Jésus. La fin la plus ancienne de l’évangile de Marc ne nous dit pas lesquels, mais il est certain qu’il y en a. L’existence même du texte de l’évangile de Marc est le signe que, pour certains disciples, qui sont des humains, pour certains humains, le non devient oui. Cette vérité qui déchire est soudainement reçue. Le rejet devient accueil. Et alors on reprend la lecture, et on s’engage de nouveau. C’est une suite, un nouveau commencement de l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu. Amen