Marc 9
30 Partis de là, ils traversaient la Galilée et
Jésus ne voulait pas qu'on le sache.
31 Car il enseignait ses disciples et leur disait:
«Le Fils de l'homme va être livré aux mains des humains; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois jours après
il ressuscitera.»
32 Mais ils ne comprenaient pas cette parole et
craignaient de l'interroger.
33 Ils allèrent à Capharnaüm. Une fois à la maison,
Jésus leur demandait: «De quoi discutiez-vous en chemin?»
34 Mais ils se taisaient, car, en chemin, ils
s'étaient querellés pour savoir qui était le plus grand.
35 Jésus s'assit et il appela les Douze; il leur
dit: «Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit le dernier de tous et le
serviteur de tous.»
36 Et prenant un enfant, il le plaça au milieu d'eux
et, après l'avoir embrassé, il leur dit:
37 «Qui accueille en mon nom un enfant comme
celui-là, m'accueille moi-même; et qui m'accueille, ce n'est pas moi qu'il
accueille, mais Celui qui m'a envoyé.»
Prédication :
Dans l’évangile de Marc,
par trois fois, Jésus annonce sa Passion à ses disciples. L’annonce que nous
avons ici est la seconde des trois. «Le Fils de l'homme va être livré aux mains
des hommes ; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois jours après
il ressuscitera.»
Tout de suite, faisons une
pause ; et demandons-nous pourquoi nous considérons que ces quelques mots
de Jésus sont une annonce de sa Passion ? La question vous semble
absurde ? Mais elle ne l’est pas. Enfin… que cette question soit ou ne
soit pas absurde, essayons de répondre.
1. Les éditeurs de Bibles
proposent, presque unanimement, une certaine interprétation de cette phrase. Nous
considérons ainsi que c’est une annonce de la Passion parce que nos Bibles nous
le suggèrent. Au dessus de Marc 8.31, de Marc 9.31 et de Marc 10.32, il est
écrit, par les éditeurs de la Bible, que Jésus annonce sa Passion et sa
Résurrection. Or ni le mot Passion ni le mot Résurrection ne figurent dans la
phrase que prononce Jésus.
Il faut se méfier un peu des
éditeurs de Bibles et des intertitres par lesquels ils rompent la continuité du
texte. Ces intertitres, souvent, dispensent le lecteur de réfléchir. Et c’est
bien dommage.
2. Mais alors, vous
considérez que Jésus annonce sa Passion et sa Résurrection parce que, tout de
même, lorsque dans la bouche de Jésus apparaît
que le Fils de l’homme va être livré, mis à mort et qu’il ressuscitera
trois jours plus tard, c’est indéniablement le vocabulaire de la Passion et de
la Résurrection.
Certes, mais est-ce bien
certain ? Est-ce qu’en interprétant ainsi la phrase que Jésus prononce on
n’est pas en train de mettre un peu la fin avant le commencement, de faire
valoir une fine connaissance de l’Evangile, et de l’opposer à l’ignorance, ou
l’incompréhension des disciples de Jésus… comme si nous étions mieux informé,
ou plus malins qu’eux ? Comme si, nous, nous comprenions ce que Jésus leur
dit – ou cherche à leur dire.
Avez-vous considéré un
jour que, lorsque Jésus parle ainsi du
Fils de l’homme, il annonce que sa passion a déjà commencé et qu’elle
est en quelque manière sans fin ?
Revenons à cette phrase,
traduction œcuménique de la Bible : « Le Fils de l'homme va être
livré aux mains des humains; ils le tueront et, lorsqu'il aura été tué, trois
jours après il ressuscitera. » Et puisque nous en sommes à nous méfier de
tout, méfions-nous aussi du traducteur. Voici un mot à
mot : « Le Fils de l’homme est livré aux mains des humains, et
ils le tueront, et, ayant été tué, trois jours après, il se relèvera. »
Bien entendu, maintenant,
vous pouvez aussi vous méfier du traducteur. Mais avant que vous vous méfiiez
trop, demandons-nous ce que ce mot à mot peut apporter à notre réflexion.
1. Le Fils de l’homme est livré aux mains
des humains (verbe à l’indicatif présent passif). Ce n’est pas dans le futur seulement
qu’il le sera. Lorsque Jésus parle à ses disciples, il est déjà livré aux mains
des humains, et donc livré aussi, voire même premièrement, à ses disciples,
mais il est aussi livré aux foules, et livré aussi à ses détracteurs ; le
Fils de l’homme – Jésus lui-même, Fils de Dieu – est encore livré aux lecteurs
de l’Evangile. Il est livré à l’humanité. Il est livré à tous, c'est-à-dire que
tous font et vont faire de lui exactement ce qu’ils veulent.
2. Et ce qu’ils font et vont faire, c’est le tuer.
Et ils le tueront. Ceux qui le tueront ne sont pas seulement ces méchantes
personnes qui ourdiront un procès inique contre Jésus et le feront exécuter sur
l’autel de la paix romaine et sur l’autel de l’institution du Temple de
Jérusalem. Non, ils le tueront, tous. Même les disciples de Jésus, même les
lecteurs de l’évangile de Marc, ils tuent et vont tuer le Fils de l’homme.
C’est une annonce prophétique.
3. Et, trois jours après il se relèvera. Vous
savez bien qu’en langue grecque il n’y a pas de verbe qui signifie ressusciter ;
le verbe ressusciter est une invention des traducteurs latins. Marc utilise le
verbe ‘se relever’. En utilisant ce verbe, il nous rend le service de ne pas
nous imposer l’idée qu’après ces premières relevailles, le Fils de l’homme ne
peut plus jamais être tué. Ce qu’il nous suggère, c’est qu’autant de fois
que le Fils de l’homme est tué par les humains, autant de fois, trois jours après,
il se relève.
Qu’est-ce à dire que tout cela ? Le Fils de
l’homme vit, parle, enseigne, guérit, nourrit…. Et en cela le Fils de l’homme
est toujours livré aux mains des humains. Son enseignement les ravit, mais son
enseignement aussi les trouble, les interpelle, les met en cause ; et
tellement radicalement que, toujours, ils finissent par le tuer. Mais toujours
aussi, trois jours plus tard – un certain temps – le Fils de l’homme se relève.
Et avec lui se relèvent et ressurgissent l’interpellation des humains, la mise
en question des humains, et l’espérance des humains, tous les humains, ceux
d’hier, ceux d’aujourd’hui, et tous ceux qui viendront. Tous, invités à prendre
un même chemin, celui de l’apprentissage de la foi (Luther), ou celui de la
sainteté (Calvin), qui sont un seul et même chemin.
Est-ce que les humains veulent de tout cela ?
1. Oui… Quelques-uns en tout cas ont répondu à
l’appel et ils ont suivi celui qui les a appelés. Que dire de plus sur ce oui
initial ? Le cœur humain n’est pas forcément mauvais, il peut ressentir
l’appel du Fils de l’homme, et concevoir l’idée de le suivre, d’apprendre de
lui…
2. Mais, lorsque les humains doivent comprendre
que leur maître n’est pas un maître ordinaire, que le Fils de l’homme est –
parce qu’il est Fils de l’homme – livré aux mains des humains, lorsqu’ils
doivent comprendre quelle consécration va être la leur et quel abîme les sépare
de cette consécration, alors, le oui se fait fragile, et, parfois, le oui se
transforme en non. Et la preuve évidente de ce non, c’est que chaque fois que
Jésus annonce sa passion, non pas celle de la semaine sainte, mais sa
« passion de chaque jour » (Marc 8, 9 et 10) les disciples réagissent
à cette annonce par de violentes réactions de déni : Pierre le réprimande,
les disciples se querellent sur qui est le plus grand, Jacques et Jean
demandent une faveur spéciale… Ce sont des réactions de déni devant une vérité
qui déchire : le oui de leur réponse à l’appel de Jésus ne résiste pas à
la tension des plus grands engagements. Tout comme ce oui ne résistera pas
lorsque Judas ira trahir Jésus, tout comme le oui ne tiendra pas à Gethsémanée,
ne résistera pas lorsque Pierre sera interpellé, et ne résistera pas lorsque les
femmes, au matin de Pâques, ayant vu et entendu l’ange, prennent la fuite et ne
disent jamais rien à personne. Le oui alors devient non. Marc est-il pessimiste ?
Son évangile est-il l’évangile de la fin de l’Evangile ?
3. La vérité que Jésus Christ Fils de Dieu énonce
est une vérité qui déchire : le oui devient non. Mais cette vérité n’est
pas toute entière dite en disant que le oui devient non. Le non, que devient-il ?
Il n’y a pas que le Fils de l’homme qui se relève après avoir été mis à mort.
Se relèvent aussi les disciples de Jésus. La fin la plus ancienne de l’évangile
de Marc ne nous dit pas lesquels, mais il est certain qu’il y en a. L’existence
même du texte de l’évangile de Marc est le signe que, pour certains disciples,
qui sont des humains, pour certains humains, le non devient oui. Cette vérité
qui déchire est soudainement reçue. Le rejet devient accueil. Et alors on
reprend la lecture, et on s’engage de nouveau. C’est une suite, un nouveau
commencement de l’Evangile de Jésus Christ Fils de Dieu. Amen