...ils disent qu'il n'y a pas de résurrection |
Matthieu 22
23 Ce jour-là, des Sadducéens s'approchèrent de lui.
Les Sadducéens disent qu'il n'y a pas de résurrection. Ils lui posèrent cette
question:
24 «Maître, Moïse a dit: Si quelqu'un meurt sans
avoir d'enfants, son frère épousera la veuve, pour donner une descendance à son
frère.
25 Or il y avait chez nous sept frères. Le premier,
qui était marié, mourut; et comme il n'avait pas de descendance, il laissa sa
femme à son frère;
26 de même le deuxième, le troisième, et ainsi
jusqu'au septième.
27 Finalement, après eux tous, la femme mourut.
28 Eh bien! À la résurrection, duquel des sept
sera-t-elle la femme, puisque tous l'ont eue pour femme?»
29 Jésus leur répondit: «Vous êtes dans l'erreur,
parce que vous ne connaissez ni les Écritures ni la puissance de Dieu.
30 À la résurrection, en effet, on ne prend ni femme
ni mari; mais on est comme des anges dans le ciel.
31 Et pour ce qui est de la résurrection des morts,
n'avez-vous pas lu la parole que Dieu vous a dite:
32 Je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le
Dieu de Jacob? Il n'est pas le Dieu des morts, mais des vivants.»
Prédication :
Cela fait
plusieurs semaines, en fait, plus d’un mois, que nous méditons, l’un après
l’autre, ces textes d’une violente polémique qui, dans l’évangile de Matthieu,
oppose Jésus et les hauts dignitaires du Temple de Jérusalem. Maison de prière
pour toutes les nations, telle était l’espérance des anciens prophètes, caverne
de voleurs, accuse Jésus. De fait, le Temple est un lieu où l’on trafique la
monnaie et qui est contrôlé par des castes privilégiées, héréditaires, et
riches, compromises avec l’occupant romain. Ces maîtres du Temple sont prêts à insinuer,
à comploter, et même à tuer… Le Temple, idéalement lieu de culte et de paix,
est un enjeu de pouvoir, un instrument de domination et d’oppression.
Le petit fragment que nous avons
lu n’a pas pour seul enjeu la question de la résurrection. Pour fixer cet enjeu, je vous
propose de lire quelques autres versets qui encadrent très précisément notre
texte. « Rendez donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à
Dieu » (Matthieu 22,21) – juste avant – et – juste après – « Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu de tout con cœur, de toute ton âme et de toute ta
pensée. C’est la le premier commandement. Un second lui est semblable : tu
aimeras ton prochain comme toi-même De ces deux commandements dépendent toute
la Loi et les Prophètes. » (Matthieu 22,37-40). Dieu et César, et donc
politique et religion d’une part, le prochain et moi d’autre part. L’enjeu de
l’affaire est tout à la fois théologique, politique et éthique.
Nous n’allons pas tout
développer… nous reprenons la question de la résurrection.
Premièrement, la loi juive prévoyait
que si un homme mourrait sans descendance et en laissant une veuve, le frère de
cet homme prenne la veuve pour femme, et donne une descendance à son frère. Ne
mêlez pas les sentiments à cela. Dites-vous plutôt que la lignée masculine est
d’une importance capitale dans cette culture ; dites-vous aussi que, d’un
point de vue social, cette loi donne aux veuves sans enfant une certaine sécurité.
Il n’y a pas de commentaire à faire là-dessus dans le cadre de notre
méditation.
Deuxièmement, dans cette même culture,
dans cette religion, on croit – ou du moins certains croient – qu’après la mort
– lorsqu’on aura fini d’être mort, on ressuscite pour vivre éternellement.
Peut-être cette croyance est-elle une illusion, peut-être apporte-t-elle aux
endeuillés une certaine consolation. C’est juste une croyance. L’inverse de
cette croyance – il n’y a pas de résurrection – est aussi une croyance. Nous ne
voulons pas commenter en tant que telles ces deux croyances. Nous ne pensons
pas que toutes les croyances se valent, mais aujourd’hui, au lieu de les
discuter, nous préférons nous intéresser à l’usage qui en est fait. D’ailleurs Jésus
lui-même ne commente pas en tant que telle la croyance de ses détracteurs. Il
leur oppose la sienne, tout simplement : la résurrection en laquelle Jésus
croit suspend les nécessités juridiques palliant la cruauté de la vie : on
ne se marie pas, on ne se fait pas épouser, inutile d’assurer ses vieux jours
et la pérennité de son nom, inutile de procréer, lorsqu’on est comme des anges,
c'est-à-dire que la plénitude de la vie est assurée pour toujours par la
plénitude de la présence de Dieu… Jésus ne conteste pas qu’il y ait une
résurrection. Il conteste seulement, violemment, l’usage qui est fait de la
croyance.
La question qui lui est posée est
la suivante : la loi étant ce qu’elle est, après ses sept mariages, ses
sept veuvages, et la résurrection, cette pauvre femme, sept fois de suite
incapable de perpétuer un nom, sept fois marquée par la honte de sa stérilité, coupable
de la disparition d’une famille entière, de qui sera-t-elle la femme ? A
cette question, Jésus répond en substance par une autre question : pourquoi
l’ordre présent des choses et de la loi devrait-il être reconduit pour
l’éternité ? Comment Jésus lui-même imagine la résurrection n’a finalement
qu’une importance très secondaire ici, on pourrait même objecter à Jésus
lui-même que sa vision de la résurrection est juste lénifiante… Ce qui est
important, c’est qu’il s’oppose frontalement à l’idée que l’ordre présent,
ordinaire et malheureux des choses devrait être reconduit pour l’éternité. La
parole de Jésus est en fait une mise en accusation. Dieu n’est pas le Dieu des
morts, mais des vivants, dit-il, ce qui revient à dire à ses détracteurs que
leur manière d’envisager la Loi, le Temple, le culte et Dieu est malsaine,
voire morbide...
Dieu n’est pas le Dieu des morts,
mais des vivants. Quel Dieu et de quels vivants ? Rappel des
Ecritures : « Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu
de Jacob. ». Dans les Ecritures, ce rappel est adressé à Moïse. Ce rappel n’est
pas seulement un rappel, il est aussi un appel, un appel personnel,
personnellement adressé à Moïse, et qui fonde à la fois sa mission et sa
responsabilité. Et quel est l’objet de cet appel ? Moïse a été appelé pour
libérer Israël d’Egypte, pour le conduire, dans la mémoire de la libération, à
travers le désert, jusqu’à la Terre Promise, et pour le préparer à la
compréhension et à la réception de la Loi. L’objet de cet appel personnel est
triple : la mémoire, la libération, et les commandements, commandements
qui portent sur la manière de célébrer Dieu et sur la manière de vivre en
société.
La mémoire, la libération et les
commandements. Un triple objet pour un unique appel. Oublier un ou deux de ces
objets au profit du troisième, c’est oublier l’appel tout entier. Quel est
l’objet que les détracteurs de Jésus ont oublié ?
La mémoire ? Ils sont
champions de ça… ils se savent fils de… héritiers légitimes d’une élection, d’une
dignité, de privilèges et de fortunes qui remontent à des temps immémoriaux.
Les commandements ? Ils
les connaissent par cœur, et se posent même en garants de leur juste et sainte
exécution, au moins pour ce qui concerne le culte, mais aussi pour ce qui
concerne le petit monde privilégié et clos dans lequel ils sont installés.
La libération ? Ils
ont oublié que l’Egypte n’était pas seulement le lieu d’un esclavage historique
particulier, mais le nom générique de tous les esclavages, de toutes les
dominations auxquelles les humains sont soumis ou se soumettent, y compris l’esclavage
du Temple dont ils sont les dignitaires jaloux, jaloux et donc captifs de leur
jalousie… Captifs de leur jalousie parce que n’ayant pas personnellement
répondu à l’appel. Cherchant à défendre leur statut, à préserver leur pouvoir,
à entretenir leur influence, ils sont incapables de répondre à leur vocation
libératrice qui commence par une libération personnelle, un saut de la foi, un
engagement à être et à demeurer libre. De cet oubli de la libération il vient
que tout le reste est corrompu, leur culte à Dieu, la mémoire de leurs Pères et
leur vie en société. De cela vient qu’ils errent – vous êtes dans l’erreur,
mieux vaudrait dire dans l’errance – et de cela vient aussi qu’ils font errer
leurs semblables, leur dit Jésus. Tout cela, en peu de mots, c’est ce dont
Jésus prend la liberté de les accuser. Liberté qui correspond à son engagement,
engagement qu’il payera de sa vie. Mais Jésus, lui, a répondu, répond et
répondra à l’appel.
L’appel est et demeure le
même : mémoire, libération, commandements. C’est le même appel qu’ont
entendu et auquel ont pleinement répondu les grands témoins du Dieu des vivants
et du Christ Jésus Ressuscité. Martin
Luther King. Dietrich Bonhoeffer. Ulrich Zwingli. Jan Hus. Engelbert Mveng. Oscar
Romero. Jerzy Popiełuszko… morts de mort violente, renvoyés brutalement à Dieu
par des mains humaines. Mais la mort violente n’est pas toujours au bout d’un
plein engagement. Martin Luther est mort dans son lit… Jean Calvin aussi.
Sébastien Castellion aussi, mais lui dans une misère noire.
Voici que nous avons prononcé
quelques très grands noms. L’appel est toujours le même : mémoire,
libération et commandements. Quelle est notre réponse ? Que sont, et que
seront nos engagements ? Dieu le sait. Nous retiendrons que notre piété ne
vaut pas grand chose si elle n’est pas au service du prochain, que les grands
idéaux sont sans valeur s’ils ne sont pas au service de la société civile. Il
faut toujours rendre à César ce qui est à César ET, en même temps, rendre à
Dieu ce qui est à Dieu. Il faut toujours aimer Dieu ET, en même temps, aimer
son prochain. Personne ne dit que cela doit être simple, mais tel est l’appel.
Qu’un oui sans réserve soit notre réponse.
Nous fêtons le 500ème
anniversaire de la Réforme. Bien du chemin a été parcouru. Bien du chemin reste
à parcourir.
Que notre Dieu soit le Dieu des
vivants. Et qu’il nous soit en aide. Amen