dimanche 2 avril 2017

Votre péché demeure (Jean 9)

Une seconde prédication sur Jean 9. Une ne suffisait pas. Deux ne suffiront pas non plus. C'est ainsi. On n'épuise pas les grands textes, ils ne cessent de parler. 

Ils ne cessent de parler à ceux dont je fus qui pensent ou affirment un peu trop légèrement que tout est pardonné car la grâce accomplie en Jésus Christ suffit à tout effacer et à tout transformer, il reste toujours à lire ceci, adressé aux pharisiens, et pharisien je suis : "... vous dites 'nous voyons'. Votre péché demeure." Il y a donc quelque chose à faire pour que notre péché ne demeure pas... De là à dire que l'homme peut contribuer à son propre salut, il n'y a qu'un pas.


Jean 9
1 En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.
2 Ses disciples lui posèrent cette question: «Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents?»
3 Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents. Mais c'est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui!
4 Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de celui qui m'a envoyé: la nuit vient où personne ne peut travailler;
5 aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.»
6 Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle;
7 et il lui dit: «Va te laver à la piscine de Siloé» - ce qui signifie Envoyé. L'aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.

14 Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
15 À leur tour, les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur répondit: «Il m'a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé, je vois.»
16 Parmi les Pharisiens, les uns disaient: «Cet individu n'observe pas le sabbat, il n'est donc pas de Dieu.» Mais d'autres disaient: «Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d'opérer de tels signes?» Et c'était la division entre eux.

24 Une seconde fois, les Pharisiens appelèrent l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent: «Rends gloire à Dieu! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur.»
25 Il leur répondit: «Je ne sais si c'est un pécheur; je ne sais qu'une chose: j'étais aveugle et maintenant je vois.»

29 Nous savons que Dieu a parlé à Moïse tandis que celui-là, nous ne savons pas d'où il est!»
30 L'homme leur répondit: «C'est bien là, en effet, l'étonnant: que vous ne sachiez pas d'où il est, alors qu'il m'a ouvert les yeux!
31 Dieu, nous le savons, n'écoute pas les pécheurs; mais si un homme est pieux et fait sa volonté, Dieu l'écoute.
32 Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle de naissance.
33 Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire.»
34 Ils ripostèrent: «Tu n'es que péché depuis ton engendrement, et tu viens nous faire la leçon!»; et ils le jetèrent dehors.



35 Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté dehors. Il vint alors le trouver et lui dit: «Crois-tu, toi, au Fils de l'homme?»
36 Et lui de répondre: «Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui?»
37 Jésus lui dit: «Eh bien! Tu l'as vu, c'est celui qui te parle.»
38 L'homme dit: «Je crois, Seigneur» et il se prosterna devant lui.
39 Et Jésus dit alors: «C'est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles.»
40 Les Pharisiens qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent: «Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi?»
41 Jésus leur répondit: «Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais à présent vous dites ‹nous voyons›: votre péché demeure.


Prédication :
            Il y a voir, et voir… Il y a voir, une manière de voir qui sait ce qu’il faut voir, et qui ne verra que ça, ou le contraire, sans jamais se laisser déstabiliser, sans jamais s’interroger. Il y a voir, une autre manière de voir donc, qui observe, qui s’interroge…

Lisons ! Jésus dit aux Pharisiens : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de péché ; mais là, vous dites ‘nous voyons’, votre péché demeure ». Quand donc les Pharisiens ont-ils dit ‘nous voyons’ ?
Ils ne l’ont pas dit directement. Ils ont juste demandé à Jésus ‘serions-nous, nous aussi, des aveugles ?’ Pourquoi ont-ils demandé cela à Jésus ?
Parce que Jésus a énoncé ‘C’est pour un jugement – une contestation, une interpellation radicale – que je suis venu dans le monde ; pour que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles.’

A la fin de ce récit, l’aveugle qui ne voyait pas, voit. Mais ceux qui voyaient, seront-ils devenus aveugles ? Ceux qui voyaient… peuvent être les disciples de Jésus, les Pharisiens… et bien sûr les lecteurs.

Les disciples de Jésus
Des disciples de Jésus, tels qu’ils se présentent dans le texte, peut-on dire qu’ils voyaient ? Vu la question qu’ils posent, on va dire que oui, qu’ils voyaient, au moins un peu. Ils voyaient que tout mal a un péché pour cause, et que tout péché a été forcément commis par quelqu’un. Qui donc a péché pour qu’il soit né aveugle, demandent-ils ? Mais le fait même qu’ils posent la question, et qu’il y ait quelque chose d’absurde dans leurs réponses, signale qu’ils n’y voient pas si bien que cela… Ils s’interrogent, et ils interrogent Jésus.

Ils voyaient donc, n’étaient pas totalement aveugles. Y verront-ils mieux, à la fin du récit ? Ils auront vu en tout cas ce qu’aura fait leur maître, et entendu ce qu’il aura dit. Mais seront-ils pour autant devenus aveugles, y verront-ils, finalement, et de quelle manière ?
Nous laissons cette question de côté pour l’instant.

Les Pharisiens
            Ils n’ont pas le beau rôle, les Pharisiens. Car eux, c’est clair, dès le début, ils voient. Ils voient tout le temps – ou presque tout le temps. Pourquoi presque tout le temps ? Quelque chose d’anormal s’est produit. L’anormal, ce n’est pas qu’un aveugle de naissance ait été guéri ; car un homme de Dieu peut bien guérir… c’est même à ça qu’on les reconnaît parfois. L’anormal c’est que c’est un jour de sabbat que Jésus a œuvré. Travailler un jour de sabbat, c’est pécher, Jésus est donc un pécheur ; Dieu n’écoute pas les pécheurs, pourtant l’homme a été guéri ; c’est donc que Dieu a écouté un pécheur, or Dieu n’écoute pas les pécheurs, etc. Et il y avait division entre eux, entre les Pharisiens. Division, voire schisme, entre eux… mais aussi, on peut le traduire ainsi, en chacun d’eux.
Ils hésitent donc, plus ou moins, plus ou moins longtemps. On ne peut donc pas dire qu’ils voient tout le temps. Quelque chose les embarrasse. Leur embarras, c’est que les faits sont têtus - l’homme a été guéri, un jour de sabbat – et que leur doctrine, qu’ils appellent Loi de Moïse est têtue elle aussi. Que vont-ils faire de cet embarras ? Que peuvent-ils faire, d’ailleurs ?
            Ils peuvent rester exactement ce qu’ils sont, Pharisiens, et c’est d’ailleurs exactement ce qu’ils vont faire en jetant dehors l’homme guéri que, guérison ou pas, ils considèrent comme entièrement dans le péché depuis sa conception, et même après sa guérison, puisqu’elle a été accomplie dans le péché, par un pécheur... Mais ils jettent dehors cet homme qui leur a demandé si, par hasard, ils ne voudraient pas eux-aussi devenir disciples de Jésus…


C’est cela, qu’ils pouvaient faire : devenir disciples de Jésus. Pourtant ils en resteront, nous l’avons compris, à ce qu’ils voient – c'est-à-dire à ce qu’ils savent, et c’est ainsi qu’ils se font dire finalement par Jésus ‘votre péché demeure’. Leur péché ? Une intransigeante obstination. Une inébranlable arrogance. Rien à demander, rien à recevoir de personne. Leur péché aussi, n’avoir pas tiré profit de leur hésitation, n’en avoir pas fait une occasion de penser, et de commencer à vivre autrement leur propre foi.

Les lecteurs (ou devenir disciple)
            Mais qu’est-ce à dire ? Cesser d’être disciple de Moïse pour devenir disciple du Christ ? Si c’est pour être disciple du Christ avec la même arrogance qu’on l’est de Moïse, ça n’a aucun sens. Si c’est pour dire au nom du Christ que tout ce qui ne respecte pas les mêmes usages que moi n’est pas de Christ, ça ne change rien. Un chrétien anti-Pharisiens, c’est juste un Pharisien de plus. Alors devenir disciple, qu’est-ce que c’est ?

C’est bien entendu, dès le début du texte, refuser de gloser sur l’origine du mal et se mettre, pour ce qu’on peut, au service de ceux qui sont éprouvés et que le hasard met sur notre chemin ; mais ça, des tas de gens le font, et le font très bien, qui n’ont jamais entendu parler du Christ. Alors devenir disciple, ça passe par là, mais ça doit être plus.
Etre disciple, c’est aussi observer une certaine discipline de vie, d’étude, pratiquer assidument un certain rituel. Jésus ne reproche jamais à ses contradicteurs la discipline qu’ils s’imposent à eux-mêmes, ni dans les trois premiers évangiles, ni dans celui de Jean. Devenir disciple, ça passe par là, mais ça ne peut pas être seulement ça.

Devenir disciple, dans ce texte, ce doit être plus encore. Il est question de voir, d’une manière ou de l’autre, ou de ne pas voir. Il est question de dire – ou de ne pas dire – nous voyons. Nous voyons quoi ? Ce que les Pharisiens voyaient dès le début, et qu’ils voient aussi à la fin : nous avons raison et il a tort… Devenir disciple de Jésus, dans ce texte, et dans l’évangile de Jean, c’est refuser, personnellement, et collectivement aussi, de dire « je vois », ou « nous voyons ». C’est donc se reconnaître aveugle, dans le sens où, au fond, nous ne pouvons pas voir, ni pour nous-mêmes, ni pour les autres si, devant Dieu et devant le Christ, nous avons raison ou tort. Et donc, devenir disciple de Jésus, quel que soit le titre que nous lui donnons, Christ, ou Fils de l’homme, c’est enfin se prosterner devant le Christ, sans aucunement voir d’ailleurs si nous avons raison ou tort.

Et, faisant ce que nous faisons, comme nous le faisons, toujours espérer de Lui, lumière du monde qu’il nous illumine. Amen