Une seconde prédication sur Jean 9. Une ne suffisait pas. Deux ne suffiront pas non plus. C'est ainsi. On n'épuise pas les grands textes, ils ne cessent de parler.
Ils ne cessent de parler à ceux dont je fus qui pensent ou affirment un peu trop légèrement que tout est pardonné car la grâce accomplie en Jésus Christ suffit à tout effacer et à tout transformer, il reste toujours à lire ceci, adressé aux pharisiens, et pharisien je suis : "... vous dites 'nous voyons'. Votre péché demeure." Il y a donc quelque chose à faire pour que notre péché ne demeure pas... De là à dire que l'homme peut contribuer à son propre salut, il n'y a qu'un pas.
Jean 9
1 En passant, Jésus vit un homme aveugle de
naissance.
2 Ses disciples lui posèrent cette question:
«Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents?»
3 Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents. Mais
c'est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui!
4 Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux
oeuvres de celui qui m'a envoyé: la nuit vient où personne ne peut travailler;
5 aussi longtemps que je suis dans le monde, je
suis la lumière du monde.»
6 Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de
la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle;
7 et il lui dit: «Va te laver à la piscine de
Siloé» - ce qui signifie Envoyé. L'aveugle y alla, il se lava et, à son retour,
il voyait.
14 Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait
de la boue et lui avait ouvert les yeux.
15 À leur tour, les Pharisiens lui demandèrent
comment il avait recouvré la vue. Il leur répondit: «Il m'a appliqué de la boue
sur les yeux, je me suis lavé, je vois.»
16 Parmi les Pharisiens, les uns disaient: «Cet
individu n'observe pas le sabbat, il n'est donc pas de Dieu.» Mais d'autres
disaient: «Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d'opérer de tels
signes?» Et c'était la division entre eux.
24 Une seconde fois, les Pharisiens appelèrent l'homme qui
avait été aveugle, et ils lui dirent: «Rends gloire à Dieu! Nous savons, nous,
que cet homme est un pécheur.»
25 Il leur répondit: «Je ne sais si c'est un pécheur; je ne
sais qu'une chose: j'étais aveugle et maintenant je vois.»
29 Nous savons que Dieu a parlé à Moïse tandis que
celui-là, nous ne savons pas d'où il est!»
30 L'homme leur répondit: «C'est bien là, en effet,
l'étonnant: que vous ne sachiez pas d'où il est, alors qu'il m'a ouvert les
yeux!
31 Dieu, nous le savons, n'écoute pas les pécheurs; mais si
un homme est pieux et fait sa volonté, Dieu l'écoute.
32 Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les
yeux d'un aveugle de naissance.
33 Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien
faire.»
34 Ils ripostèrent: «Tu n'es que péché depuis ton
engendrement, et tu viens nous faire la leçon!»; et ils le jetèrent dehors.
35 Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté dehors. Il vint alors
le trouver et lui dit: «Crois-tu, toi, au Fils de l'homme?»
36 Et lui de répondre: «Qui est-il, Seigneur, pour que je
croie en lui?»
37 Jésus lui dit: «Eh bien! Tu l'as vu, c'est celui qui te
parle.»
38 L'homme dit: «Je crois, Seigneur» et il se
prosterna devant lui.
39 Et Jésus dit alors: «C'est pour un jugement que
je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que
ceux qui voyaient deviennent aveugles.»
40 Les Pharisiens qui étaient avec lui entendirent
ces paroles et lui dirent: «Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles,
nous aussi?»
41 Jésus leur répondit: «Si vous étiez des aveugles,
vous n'auriez pas de péché. Mais à présent vous dites ‹nous voyons›: votre
péché demeure.
Prédication :
Il y a
voir, et voir… Il y a voir, une manière de voir qui sait ce qu’il faut voir, et
qui ne verra que ça, ou le contraire, sans jamais se laisser déstabiliser, sans
jamais s’interroger. Il y a voir, une autre manière de voir donc, qui observe,
qui s’interroge…
Lisons ! Jésus dit aux
Pharisiens : « Si vous étiez des aveugles, vous n’auriez pas de
péché ; mais là, vous dites ‘nous voyons’, votre péché demeure ». Quand
donc les Pharisiens ont-ils dit ‘nous voyons’ ?
Ils ne l’ont pas dit directement.
Ils ont juste demandé à Jésus ‘serions-nous, nous aussi, des aveugles ?’ Pourquoi
ont-ils demandé cela à Jésus ?
Parce que Jésus a énoncé ‘C’est
pour un jugement – une contestation, une interpellation radicale – que je suis
venu dans le monde ; pour que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux
qui voient deviennent aveugles.’
A la fin de ce récit, l’aveugle
qui ne voyait pas, voit. Mais ceux qui voyaient, seront-ils devenus
aveugles ? Ceux qui voyaient… peuvent être les disciples de Jésus, les
Pharisiens… et bien sûr les lecteurs.
Les disciples de Jésus
Des disciples de Jésus, tels
qu’ils se présentent dans le texte, peut-on dire qu’ils voyaient ? Vu la
question qu’ils posent, on va dire que oui, qu’ils voyaient, au moins un peu. Ils
voyaient que tout mal a un péché pour cause, et que tout péché a été forcément
commis par quelqu’un. Qui donc a péché pour qu’il soit né aveugle,
demandent-ils ? Mais le fait même qu’ils posent la question, et qu’il y
ait quelque chose d’absurde dans leurs réponses, signale qu’ils n’y voient pas
si bien que cela… Ils s’interrogent, et ils interrogent Jésus.
Ils voyaient donc, n’étaient pas
totalement aveugles. Y verront-ils mieux, à la fin du récit ? Ils auront
vu en tout cas ce qu’aura fait leur maître, et entendu ce qu’il aura dit. Mais
seront-ils pour autant devenus aveugles, y verront-ils, finalement, et de
quelle manière ?
Nous laissons cette question de
côté pour l’instant.
Les Pharisiens
Ils n’ont
pas le beau rôle, les Pharisiens. Car eux, c’est clair, dès le début, ils
voient. Ils voient tout le temps – ou presque tout le temps. Pourquoi presque
tout le temps ? Quelque chose d’anormal s’est produit. L’anormal, ce n’est
pas qu’un aveugle de naissance ait été guéri ; car un homme de Dieu peut
bien guérir… c’est même à ça qu’on les reconnaît parfois. L’anormal c’est que c’est
un jour de sabbat que Jésus a œuvré. Travailler un jour de sabbat, c’est
pécher, Jésus est donc un pécheur ; Dieu n’écoute pas les pécheurs, pourtant
l’homme a été guéri ; c’est donc que Dieu a écouté un pécheur, or Dieu
n’écoute pas les pécheurs, etc. Et il y avait division entre eux, entre les
Pharisiens. Division, voire schisme, entre eux… mais aussi, on peut le traduire
ainsi, en chacun d’eux.
Ils hésitent donc, plus ou moins,
plus ou moins longtemps. On ne peut donc pas dire qu’ils voient tout le temps.
Quelque chose les embarrasse. Leur embarras, c’est que les faits sont têtus - l’homme
a été guéri, un jour de sabbat – et que leur doctrine, qu’ils appellent Loi de
Moïse est têtue elle aussi. Que vont-ils faire de cet embarras ? Que peuvent-ils
faire, d’ailleurs ?
Ils peuvent
rester exactement ce qu’ils sont, Pharisiens, et c’est d’ailleurs exactement ce
qu’ils vont faire en jetant dehors l’homme guéri que, guérison ou pas, ils
considèrent comme entièrement dans le péché depuis sa conception, et même après
sa guérison, puisqu’elle a été accomplie dans le péché, par un pécheur... Mais
ils jettent dehors cet homme qui leur a demandé si, par hasard, ils ne
voudraient pas eux-aussi devenir disciples de Jésus…
C’est cela, qu’ils pouvaient
faire : devenir disciples de Jésus. Pourtant ils en resteront, nous
l’avons compris, à ce qu’ils voient – c'est-à-dire à ce qu’ils savent, et c’est
ainsi qu’ils se font dire finalement par Jésus ‘votre péché demeure’. Leur
péché ? Une intransigeante obstination. Une inébranlable arrogance. Rien à
demander, rien à recevoir de personne. Leur péché aussi, n’avoir pas tiré
profit de leur hésitation, n’en avoir pas fait une occasion de penser, et de
commencer à vivre autrement leur propre foi.
Les lecteurs (ou devenir disciple)
Mais
qu’est-ce à dire ? Cesser d’être disciple de Moïse pour devenir disciple
du Christ ? Si c’est pour être disciple du Christ avec la même arrogance
qu’on l’est de Moïse, ça n’a aucun sens. Si c’est pour dire au nom du Christ
que tout ce qui ne respecte pas les mêmes usages que moi n’est pas de Christ,
ça ne change rien. Un chrétien anti-Pharisiens, c’est juste un Pharisien de
plus. Alors devenir disciple, qu’est-ce que c’est ?
C’est bien entendu, dès le début
du texte, refuser de gloser sur l’origine du mal et se mettre, pour ce qu’on
peut, au service de ceux qui sont éprouvés et que le hasard met sur notre
chemin ; mais ça, des tas de gens le font, et le font très bien, qui n’ont
jamais entendu parler du Christ. Alors devenir disciple, ça passe par là, mais ça
doit être plus.
Etre disciple, c’est aussi
observer une certaine discipline de vie, d’étude, pratiquer assidument un
certain rituel. Jésus ne reproche jamais à ses contradicteurs la discipline
qu’ils s’imposent à eux-mêmes, ni dans les trois premiers évangiles, ni dans
celui de Jean. Devenir disciple, ça passe par là, mais ça ne peut pas être
seulement ça.
Devenir disciple, dans ce texte,
ce doit être plus encore. Il est question de voir, d’une manière ou de l’autre,
ou de ne pas voir. Il est question de dire – ou de ne pas dire – nous voyons.
Nous voyons quoi ? Ce que les Pharisiens voyaient dès le début, et qu’ils
voient aussi à la fin : nous avons raison et il a tort… Devenir disciple
de Jésus, dans ce texte, et dans l’évangile de Jean, c’est refuser,
personnellement, et collectivement aussi, de dire « je vois », ou
« nous voyons ». C’est donc se reconnaître aveugle, dans le sens où,
au fond, nous ne pouvons pas voir, ni pour nous-mêmes, ni pour les autres si,
devant Dieu et devant le Christ, nous avons raison ou tort. Et donc, devenir
disciple de Jésus, quel que soit le titre que nous lui donnons, Christ, ou Fils
de l’homme, c’est enfin se prosterner devant le Christ, sans aucunement voir
d’ailleurs si nous avons raison ou tort.
Et, faisant ce que nous faisons,
comme nous le faisons, toujours espérer de Lui, lumière du monde qu’il nous
illumine. Amen