dimanche 26 mars 2017

Ce que nous savons de Dieu (Jean 9)

Tout le 9ème chapitre de l'évangile de Jean figure ici. C'est une longue lecture. Au fil de la lecture de ce texte, faites le compte du nombre d'apparitions du verbe savoir.
Jean 9
1 En passant, Jésus vit un homme aveugle de naissance.
2 Ses disciples lui posèrent cette question: «Rabbi, qui a péché pour qu'il soit né aveugle, lui ou ses parents?»
3 Jésus répondit: «Ni lui, ni ses parents. Mais c'est pour que les oeuvres de Dieu se manifestent en lui!
4 Tant qu'il fait jour, il nous faut travailler aux oeuvres de celui qui m'a envoyé: la nuit vient où personne ne peut travailler;
5 aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde.»
6 Ayant ainsi parlé, Jésus cracha à terre, fit de la boue avec la salive et l'appliqua sur les yeux de l'aveugle;
7 et il lui dit: «Va te laver à la piscine de Siloé» - ce qui signifie Envoyé. L'aveugle y alla, il se lava et, à son retour, il voyait.
8 Les gens du voisinage et ceux qui auparavant avaient l'habitude de le voir - car c'était un mendiant - disaient: «N'est-ce pas celui qui était assis à mendier?»
9 Les uns disaient: «C'est bien lui!» D'autres disaient: «Mais non, c'est quelqu'un qui lui ressemble.» Mais l'aveugle affirmait: «C'est bien moi.»
10 Ils lui dirent donc: «Et alors, tes yeux, comment se sont-ils ouverts?»
11 Il répondit: « L'homme qu'on appelle Jésus a fait de la boue, m'en a frotté les yeux et m'a dit: ‹Va à Siloé et lave-toi.› Alors moi, j'y suis allé, je me suis lavé et j'ai retrouvé la vue.»
12 Ils lui dirent: «Où est-il, celui-là?» Il répondit: «Je n'en sais rien.»
13 On conduisit chez les Pharisiens celui qui avait été aveugle.
14 Or c'était un jour de sabbat que Jésus avait fait de la boue et lui avait ouvert les yeux.
15 À leur tour, les Pharisiens lui demandèrent comment il avait recouvré la vue. Il leur répondit: «Il m'a appliqué de la boue sur les yeux, je me suis lavé, je vois.»
16 Parmi les Pharisiens, les uns disaient: «Cet individu n'observe pas le sabbat, il n'est donc pas de Dieu.» Mais d'autres disaient: «Comment un homme pécheur aurait-il le pouvoir d'opérer de tels signes?» Et c'était la division entre eux.
17 Alors, ils s'adressèrent à nouveau à l'aveugle: «Et toi, que dis-tu de celui qui t'a ouvert les yeux?» Il répondit: «C'est un prophète.»
18 Mais tant qu'ils n'eurent pas convoqué ses parents, les Juifs ne crurent pas qu'il avait été aveugle et qu'il avait recouvré la vue.
19 Ils posèrent cette question aux parents: «Cet homme est-il bien votre fils dont vous prétendez qu'il est né aveugle? Alors comment voit-il maintenant?»
20 Les parents leur répondirent: «Nous savons que c'est bien notre fils et qu'il est né aveugle.
21 Comment maintenant il voit, nous ne le savons pas. Qui lui a ouvert les yeux? Nous ne le savons pas. Interrogez-le, il est assez grand, qu'il s'explique lui-même à son sujet!»
22 Ses parents parlèrent ainsi parce qu'ils avaient peur des Juifs. Ceux-ci étaient déjà convenus d'exclure de la synagogue quiconque confesserait que Jésus est le Christ.
23 Voilà pourquoi les parents dirent: «Il est assez grand, interrogez-le.»
24 Une seconde fois, les Pharisiens appelèrent l'homme qui avait été aveugle, et ils lui dirent: «Rends gloire à Dieu! Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur.»
25 Il leur répondit: «Je ne sais si c'est un pécheur; je ne sais qu'une chose: j'étais aveugle et maintenant je vois.»
26 Ils lui dirent: «Que t'a-t-il fait? Comment t'a-t-il ouvert les yeux?»
27 Il leur répondit: «Je vous l'ai déjà raconté, mais vous n'avez pas écouté! Pourquoi voulez-vous l'écouter encore une fois? N'auriez-vous pas le désir de devenir ses disciples vous aussi?»
28 Les Pharisiens se mirent alors à l'injurier et ils disaient: «C'est toi qui es son disciple! Nous, nous sommes disciples de Moïse.
29 Nous savons que Dieu a parlé à Moïse tandis que celui-là, nous ne savons pas d'où il est!»
30 L'homme leur répondit: «C'est bien là, en effet, l'étonnant: que vous ne sachiez pas d'où il est, alors qu'il m'a ouvert les yeux!
31 Dieu, nous le savons, n'écoute pas les pécheurs; mais si un homme est pieux et fait sa volonté, Dieu l'écoute.
32 Jamais on n'a entendu dire que quelqu'un ait ouvert les yeux d'un aveugle de naissance.
33 Si cet homme n'était pas de Dieu, il ne pourrait rien faire.»
34 Ils ripostèrent: «Tu n'es que péché depuis ta naissance et tu viens nous faire la leçon!»; et ils le jetèrent dehors.
35 Jésus apprit qu'ils l'avaient jeté dehors. Il vint alors le trouver et lui dit: «Crois-tu, toi, au Fils de l'homme?»
36 Et lui de répondre: «Qui est-il, Seigneur, pour que je croie en lui?»
37 Jésus lui dit: «Eh bien! Tu l'as vu, c'est celui qui te parle.»
38 L'homme dit: «Je crois, Seigneur» et il se prosterna devant lui.
39 Et Jésus dit alors: «C'est pour un jugement que je suis venu dans le monde, pour que ceux qui ne voyaient pas voient, et que ceux qui voyaient deviennent aveugles.»
40 Les Pharisiens qui étaient avec lui entendirent ces paroles et lui dirent: «Est-ce que, par hasard, nous serions des aveugles, nous aussi?»

41 Jésus leur répondit: «Si vous étiez des aveugles, vous n'auriez pas de péché. Mais à présent vous dites ‹nous voyons›: votre péché demeure.

Prédication :
Avez-vous compté combien de fois le verbe savoir est répété dans ce chapitre ?
Il est répété 11 fois. Toutes les utilisations de ce verbe vont assez naturellement passer sans qu’on s’interroge : nous savons que c’est notre fils… je ne sais qu’une chose, j’étais aveugle, maintenant je vois… Mais deux des utilisations de ce verbe posent un sérieux problème, disons théologique. Lesquelles ?
-          Nous savons que Dieu a parlé à Moïse (dans la bouche des Pharisiens).
-          Dieu, nous le savons, n’écoute pas les pécheurs mais, si un homme est pieux est fait sa volonté, Dieu l’écoute (dans la bouche de l’homme guéri).
Quel sont les points communs entre ces deux utilisations du verbe savoir ? Les deux fois, c’est de Dieu qu’il s’agit, et les deux fois il s’agit d’un savoir bien partagé entre tous, exprimé en “nous savons…”.
On sait, ils savent… nous savons… quelque chose de Dieu !
Ainsi donc les Pharisiens de ce texte-ci savent de Dieu qu’il a parlé à Moïse – nous le savons avec eux.
Et nous nous demandons : comment savent-ils cela ? D’où savons-nous cela ? C’est écrit dans la Bible. Il y a un consensus, entre eux, entre nous, là-dessus.
Mais il nous faut explorer plus avant ce savoir. En plus du consensus sur la Bible, il y a aussi entre les Pharisiens un puissant accord, un accord exclusif. Leur accord exclut tout autre accord, et celui qui n’entrera pas dans leur accord sera déclaré pécheur, exclu, voire mis à mort.
Ceci étant dit, dans ce chapitre, il est question aussi de Jésus en tant que Christ. Nous pouvons nous poser la même question : comment savons-nous que Jésus est Christ ? Il y a un accord entre nous autour d’un savoir : Jésus est le Christ. Nous le savons. Mais cet accord exclut-il tout autre accord ? Et notamment, que Jésus soit le Christ, cela exclut-il que Dieu ait parlé à Moïse ?
Nous savons que Dieu a parlé avec Moïse, diront les uns. Nous savons que Jésus est le Christ, diront les autres. Le problème n’est pas, en tant que tel, le verbe savoir, ni d’ailleurs ce qu’on sait ; mais le comportement de ceux qui savent.
L’homme guéri rappelle, lui aussi, un savoir sur Dieu : « Dieu, nous le savons, n’écoute pas les pécheurs mais, si quelqu’un est pieux… »
L’homme guéri nous dit, par cette phrase, que Jésus est pieux. Mais, qu’est-ce qu’être pieux ? La piété correspond-elle à une discipline stricte et jalouse ? La piété, nous suggéreront de bons dictionnaires grecs, c’est se tenir à distance respectueuse du dieu qu’on révère. La discipline qu’on choisit, même très stricte, qu’on s’impose à soi-même et qu’on partage dans certaines communautés, même la plus rigoureuse, peut être reconnue comme piété. Car on peut comprendre une telle discipline justement comme un moyen de se tenir à distance respectueuse de Dieu. Mais si cette discipline, en plus d’être stricte, devient jalouse, c'est-à-dire qu’elle se pose comme seule possible et exclut toutes les autres disciplines possibles, elle sort du champ de la piété. Ainsi, il y a des manières de coller au texte biblique, des manières de faire de fragments du texte biblique une parole de Dieu immédiatement disponible et opposable à autrui, qui n’est pas de la piété, mais de l’impiété.
Etre pieux, donc, c’est se tenir à une certaine distance du texte sacré qu’on ne cesse pourtant de commenter avec passion, et c’est aussi se tenir à une certaine distance des usages religieux auxquels pourtant l’on se plie.
            Poursuivons : « Dieu, nous le savons n’écoute pas les pécheurs mais, si quelqu’un est pieux et fait sa volonté… » Et qu’est-ce ici que faire la volonté de Dieu ? Jésus indubitablement fait la volonté de Dieu. C’est en passant que Jésus voit cet aveugle, c’est en passant qu’il refuse toute discussion sur l’origine du mal, et c’est en passant aussi qu’il soulage cet homme avec les moyens qui sont les siens. Voici donc une réponse simple, suggérée par le texte : faire la volonté de Dieu, c’est refuser de gloser sur l’origine du mal, c’est tâcher de soulager, avec les compétences qui sont les vôtres, le mal qu’on rencontre sur son chemin.

Et maintenant, nous comprenons un peu mieux : « Si quelqu’un est pieux et fait la volonté de Dieu, Dieu l’écoute. » Mais, Dieu écoute, qu’est-ce que cela signifie ? Que Dieu exauce ? Ou bénit ? C’est difficile à affirmer, car les justes souffrent aussi… et notre Seigneur Jésus Christ qui fut pieux et qui soulagea tant de gens, fut crucifié. Dire que Dieu écoute, cela peut bien entendu signifier que Dieu prête une attention particulière au juste, mais cela peut signifier aussi que seul le juste dit et montre quelque chose de Dieu qui mérite d’être écouté, retenu, d’être transmis… qui ait une certaine valeur. Le reste de ce qui est dit sur Dieu, c'est-à-dire les gloses infinies sur l’origine du mal, les comportements religieux radicaux et jaloux, tout ce que notre texte regroupe sous le nom de péché… cela en dit long sur la bêtise des humains, mais n’intéresse pas Dieu, ne concerne pas Dieu, ne dit rien de Dieu… « Dieu, nous le savons, n’écoute pas les pécheurs… »

            Pour autant, il ne s’agit pas d’agir pour que Dieu écoute. Jésus, tel qu’il se manifeste dans ce texte, n’agit aucunement pour que Dieu l’écoute. Ce qu’il cherche, c’est que les œuvres de Dieu soient manifestées, non pas par lui, Jésus, mais en cet homme. Et elles vont l’être, de trois manières toujours possibles aujourd’hui.
            1. Les œuvres de Dieu vont être manifestées dans le refus de Jésus de gloser sur l’origine du mal ; ce refus est toujours possible aujourd’hui ;
            2. Les œuvres de Dieu vont être manifestées dans le fait que Jésus met ses compétences au service d’un éprouvé que le hasard place sur son chemin ; ce service est toujours possible aujourd’hui ;
            3. Les œuvres de Dieu vont être aussi manifestées lorsqu’au nom de Dieu, il va prioriser l’engagement en faveur de l’aveugle sur le souci de l’image de soi ; cet engagement résolu et désintéressé est toujours possible aujourd’hui.

            Il n’est plus dans le monde… mais y demeure tout de même, en tant que lumière du monde. Puissions-nous être éclairés par cette lumière, jugés par cette lumière, guéris par elle et inspirés. Puissions-nous ainsi agir à la suite de notre Seigneur. Et Dieu saura écouter ce qui aura mérité de l’être. Amen
Trinité Nicoletto Semitecolo