dimanche 12 mars 2017

La gloire et la croix (Matthieu 17, Matthieu 27)

Introduction
            En ce deuxième dimanche de Carême, il nous est proposé de méditer sur le récit que Matthieu donne de la Transfiguration (la fête de la Transfiguration est au mois d’août, le 6). Nous allons lire ce récit. Et nous allons en lire un autre, celui de la Crucifixion. Il y a entre ces deux récits bien des ressemblances. Dont nous parlerons.
Matthieu 17
1  Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et les emmène à l'écart sur une haute montagne.
2 Il fut métamorphosé devant eux: son visage resplendit comme le soleil, ses vêtements devinrent blancs comme la lumière.
3 Et voici que leur apparurent Moïse et Elie qui s'entretenaient avec lui.
4 Intervenant, Pierre dit à Jésus: «Seigneur, il est bon que nous soyons ici; si tu le veux, je vais dresser ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, une pour Elie.»
5 Comme il parlait encore, voici qu'une nuée lumineuse les recouvrit. Et voici que, de la nuée, une voix disait: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé, celui qu'il m'a plu de choisir. Écoutez-le!»
6 En écoutant cela, les disciples tombèrent la face contre terre, saisis d'une grande crainte.
7 Jésus s'approcha, il les toucha et dit: «Relevez-vous! soyez sans crainte!»
8 Levant les yeux, ils ne virent plus que Jésus, lui seul.
9 Comme ils descendaient de la montagne, Jésus leur donna cet ordre: «Ne dites mot à personne de ce qui s'est fait voir de vous, jusqu'à ce que le Fils de l'homme soit ressuscité des morts.»
Matthieu 27
33 Arrivés au lieu-dit Golgotha, ce qui veut dire lieu du Crâne,
34 ils lui donnèrent à boire du vin mêlé de fiel. L'ayant goûté, il ne voulut pas boire.
35 Quand ils l'eurent crucifié, ils partagèrent ses vêtements en tirant au sort.
36 Et ils étaient là, assis, à le garder.
37 Au-dessus de sa tête, ils avaient placé le motif de sa condamnation, ainsi libellé: «Celui-ci est Jésus, le roi des Juifs.»
38 Deux bandits sont alors crucifiés avec lui, l'un à droite, l'autre à gauche.
39 Les passants l'insultaient, hochant la tête
40 et disant: «Toi qui détruis le sanctuaire et le rebâtis en trois jours, sauve-toi toi-même, si tu es le Fils de Dieu, et descends de la croix!»
41 De même, avec les scribes et les anciens, les grands prêtres se moquaient:
42 «Il en a sauvé d'autres et il ne peut pas se sauver lui-même! Il est Roi d'Israël, qu'il descende maintenant de la croix, et nous croirons en lui!
43 Il a mis en Dieu sa confiance, que Dieu le délivre maintenant, s'il l'aime, car il a dit: ‹Je suis Fils de Dieu!› »
44 Même les bandits crucifiés avec lui l'injuriaient de la même manière.
Prédication :
            En ce deuxième dimanche de Carême, il nous est proposé de méditer sur le récit que Matthieu donne de la Transfiguration (la fête de la Transfiguration est au mois d’août, le 6). Quel sens cela a-t-il de méditer cet épisode qui est plutôt un épisode de plénitude et d’extase, alors que nous sommes pendant la période de Carême, qui est plutôt une période de jeûne et de pénitence ?

            Voici quatre remarques sur la Transfiguration.
  1. Tout d’abord, et nous l’avons dit déjà, c’est un moment d’extase et de plénitude. Un moment qu’on ne recherche pas, mais qui vous saisit, comme il est écrit : « Il fut métamorphosé… » C’est un moment intime, c'est-à-dire qu’on ne partage pas avec les foules. Mais auquel, incidemment, pourront assister quelques intimes, qui seront là presque par hasard lorsque cela se produira. Pierre, Jacques, et Jean, ceux dont Jésus souhaitait la présence lorsqu’il se retirait loin des foules, loin des Douze… On ne donne pas son intimité à voir, sinon, ce n’est plus de l’intimité, mais de l’exhibition.
  2. Ce moment est un moment d’abord très pictural, uniquement pictural. Le visage de Jésus resplendit comme le soleil, ses vêtements deviennent lumineux de blancheur, Moïse et Elie apparaissent. Ces trois personnages semblent parler, mais nous n’entendons rien. Mais nous avons des yeux pour voir. C’est Pierre, qui rompt le silence, pour dire en substance, que c’est très bon – bon pour qui ? – et qu’on aimerait bien que ça s’éternise. C'est-à-dire, que ça se fige, qu’on prenne un cliché, une photo, un selfie. Pierre est habité par un désir bien humain : vouloir conserver pour toujours et pour soi ce qui ne peut être que donné et reçu. Si les Hébreux se méfiaient tant de l’image, des représentations picturales, c’est que, bien plus que la parole, les images immobilisent, elles figent ce qu’elles représentent. C’est ce que Pierre veut faire donc figer, posséder et exhiber, au lieu de recevoir et témoigner.
  3. La nuée qui vient couvrir tout cela vient à propos rappeler que ce qui est donné à voir n’est pas donné à conserver. La voix divine, s’agissant de Jésus de Nazareth, n’ordonne pas « Regardez-le ! », mais « Ecoutez-le ! » Et les Hébreux que sont Pierre, Jacques et Jean ne peuvent pas se tromper sur la signification  de cet ordre essentiel. Croire en Dieu – en ce Dieu-là, celui des traditions des pères, de Moïse, des Prophètes et de Jésus de Nazareth – c’est se tenir dans l’obéissance au commandement « Ecoutez ! » Ecouter non pas le coup de tonnerre qui assourdit, tout comme l’éclair éblouit, non pas se laisser séduire ou impressionner par ce qui se voit, mais écouter jusque dans le bruissement d’un souffle ténu (2 Rois 19), se voiler la face parce qu’il n’y a rien à voir, ouvrir les oreilles ; et prendre le temps de la réflexion avant de parler et d’agir.
  4. Ceci dit, même s’il y a des moments où l’on ferme les yeux, des moments de recueillement et de prosternation, parce que l’essentiel s’écoute plus qu’il ne se voit, la vie entière ne peut pas se dérouler prosterné, en extase, les oreilles grandes ouvertes et yeux fermés. Il faut à un moment redescendre de la montagne et, ce qu’on a entendu, et ce qu’on a vu, il faut le dire. Dieu se révèle à certains, soit, mais ce n’est pas pour qu’ils le gardent pour eux-mêmes. Il faudra en parler ; cela même a été donné pour qu’on en parle, et à tout le monde… Mais quand, et comment ? Ne parlez jamais de votre vision, ordonne Jésus à Pierre, Jacques et Jean,  jusqu’à ce que le Fils de l’homme soit ressuscité des morts. C'est-à-dire, et d’une manière essentielle, que la  Transfiguration de notre Seigneur Jésus Christ n’a de sens que référée à sa Passion. C’est pourquoi nous avons lu aussi le récit de la Crucifixion. 
Je vais dresser ici trois tentes...
Ça se passe aussi sur un lieu élevé, Jésus est pris, saisi, on dispose de Lui, et deux autres personnages sont à ses côtés ; il y a aussi des spectateurs.
            Ce n’est plus l’intimité en gloire qui est partagée avec quelques-uns ; c’est l’infamie et l’agonie qui sont exposées à la vue de tous. Les spectateurs ne sont plus sidérés puis dans l’attitude d’une prosternation silencieuse et les yeux clos, mais ils se repaissent, les yeux grands ouverts, et prononcent des mots de moquerie, de défiance et d’insulte.
Transfiguration, Crucifixion, Jésus, Fils de Dieu, Messie, Christ, est là, c’est lui, les deux fois, en gloire, et en croix.

Notre méditation donc, en temps de Carême, porte sur la gloire et la croix. C'est-à-dire sur le bonheur suprême et sur le fond de la déréliction.
Quelle serait la vérité de l’Evangile s’il présentait la gloire sans la croix ? Il n’y aurait nulle vérité de l’Evangile s’il s’en tenait à la gloire. Et le culte chrétien ne serait que prétexte à épanchements publics, l’occasion de se féliciter soi-même ; il ne serait qu’une aliénation…
Et quelle serait la vérité de l’Evangile, s’il présentait la croix sans la gloire ? Le culte chrétien serait une rencontre de flagellants, et la prédication une prédication de la haine du bonheur, une apologie de la souffrance rédemptrice, une autre aliénation...

Lorsque Jésus interdit à Pierre, Jacques et Jean de parler de ce qu’ils ont vu, lorsqu’il leur défend de parler de la Transfiguration avant qu’il soit, Lui, ressuscité des morts, il veut que personne, ni les plus anciens, ni les plus illustres des disciples, ne puisse se réclamer d’un privilège particulier ou d’une révélation particulière. Car, au moment de la Passion, tous ont fui, tous l’ont abandonné, sans exception, même le tonitruant monsieur Pierre…
Et donc personne ne peut parler de Lui, de Jésus, du Fils de Dieu et de sa gloire, qui ne se soit reconnu – et qui ne se reconnaisse encore – comme un parjure, un indigne.

Ecouter le Fils de Dieu, croire en Lui et vivre de Lui, c’est ainsi le contempler en gloire et en croix, en se connaissant soi-même réprouvé et choisi, pécheur et pardonné. Et parler de lui, ce ne peut donc être qu’exprimer une discrète et profonde conviction, que formuler une humble proposition, et  proposer un témoignage d’attention et de service.


Que Dieu nous soit en aide. Amen