dimanche 23 octobre 2016

Quelques considérations sur la Réformation (Luc 18,9-13)

Luc 18
… le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?»

9 Jésus dit encore la parabole que voici à certains qui étaient convaincus d'être justes et qui méprisaient tous les autres:
10 «Deux hommes montèrent au temple pour prier; l'un était Pharisien et l'autre collecteur d'impôts.
11 Le Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: ‹O Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères, ou encore comme ce collecteur d'impôts.
12 Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme de tout ce que je me procure.›
13 Le collecteur d'impôts, se tenant à distance, ne voulait même pas lever les yeux au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant: ‹O Dieu, prends pitié du pécheur que je suis.›

14 Je vous le déclare: celui-ci redescendit chez lui justifié, et non l'autre, car tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé.»
Prédication
             Le culte que nous célébrons aujourd’hui, avec un peu d’avance sur le calendrier officiel, s’appelle culte de la Réformation. 
Qui dit calendrier officiel, dit événement à commémorer et cet événement, c’est l’affichage, le 31 octobre 1517, d’une série de thèses, 95, dont Martin Luther était l’auteur… Il s’agissait initialement d’une discussion universitaire sur l’Eglise, son pouvoir, sur la manière d’obtenir les bonnes grâces de Dieu, mais aussi sur la solidarité avec les pauvres, sur le sort des défunts, sur le rapport à l’argent... Et ce qui ne devait être qu’une discussion universitaire est devenu une grande affaire, qui a provoqué une sorte d’embrasement dans l’Occident, et qui n’a pas laissé le monde intact…
            Mais la Réformation ne peut pas être seulement cela, une sorte de médaille que nous sortons du placard une fois par an pour la montrer. C’est aussi une disposition d’esprit, une orientation de vie… Nous essayons de préciser cette orientation.
           
            Nous avons pour cela une petite parabole, petite histoire apparemment très simple, destinée à nous faire réfléchir. Et qui nous fait complices d’une triple indiscrétion.
La première, disons qu’elle est la moins grave des trois, est que nous sommes spectateurs de la prière de deux hommes. C’est la moins grave des trois indiscrétions de ce texte, parce que, finalement, même si le temple, ou une église, n’est pas un cirque, on peut toujours entrer librement et observer ce qui s’y passe. Deux hommes sont là et leurs attitudes respectives signalent qu’ils sont occupés à une activité, la prière, qu’ils mettent en œuvre de deux manières bien différentes. Laissons là cette première indiscrétion.
       Seconde indiscrétion, plus grave que la première, on nous dévoile l’intimité de ces deux hommes. Nous savons comment prie le Pharisien en lui-même, ce qu’il pense de lui-même, ce qu’il pense des autres en général, et de l’autre homme en particulier. Nous savons aussi comment prie en lui-même le collecteur d’impôt. Leur intériorité nous est dévoilée... En prenant le texte juste tel qu’il est, sans rien y ajouter, nous voyons aussi que ces deux hommes sont, chacun dans sa prière, entiers et sincères.
            Mais il y a dans cette parabole une troisième indiscrétion, bien plus grave encore que la seconde. L’intimité de Dieu elle-même nous est dévoilée. On nous fait savoir ce que Dieu pense de chacun de ces deux hommes. Le collecteur d’impôt rentre chez lui justifié, c'est-à-dire considéré comme juste par Dieu, ou encore approuvé dans sa démarche par Dieu, alors que le Pharisien rentre chez lui bredouille, sans avoir été justifié. Justifié, qu’est-ce que cela peut signifier ? Cela signifie qu’au sortir du Temple, à la fin de la prière, il n’y a plus de passif entre Dieu et le collecteur d’impôts, c'est-à-dire que Dieu, à cet instant, n’a plus rien à reprocher à cet homme. Cela peut même signifier que si à cet instant la vie de ces deux hommes leur était reprise, le collecteur d’impôts comparaîtrait devant un Dieu plein de douceur, mais le Pharisien comparaîtrait devant un Dieu vindicatif…
Mais c’est nous seulement qui le savons, du fait de l’indiscrétion grave du texte. Ces deux hommes, eux, ignorent totalement cela.
            Faisons bien attention : nous sommes au bénéfice d’indiscrétions graves. Dans la réalité, deux hommes se tiennent dans un lieu de culte, et nous ne savons rien, rien de ce qui se passe en eux, rien de ce que Dieu en pense, ni rien de ce qu’il pense de nous.
Notre réflexion commence ici : nous ignorons ce que Dieu pense de nous. Là aussi commence aussi la Réformation, au moment où nous prenons acte de ce que l’avis de Dieu sur nous nous est totalement inconnu.
Dieu me justifie-t-il, approuve-t-il à cet instant la personne que je suis ? Je ne le sais pas. Approuve-t-il à cet instant les personnes que vous êtes ? Je ne le sais pas. Nous ne le savons pas.
Et nous allons poursuivre dans cette veine. Pouvons-nous nous procurer, par notre dévotion, par nos bonnes œuvres, ou à prix d’argent, quoi que ce soit qui nous rendrait Dieu favorable ? Avons-nous quelque chose à faire valoir devant Dieu, qui nous mériterait d’être justifié, approuvé par Lui ? Du fait que nous ne sachions pas ce que Dieu pense de nous il s’ensuit que nous n’avons rien à faire valoir devant Dieu. Nous n’avons même pas à faire valoir que nous n’avons rien à faire valoir. C’est là aussi que commence la Réformation.

Et sur ces commencements nous allons retrouver notre Pharisien, champion de l’observance, du faire savoir et de la vertu ; nous allons retrouver aussi notre collecteur d’impôts, honni en son temps et réputé collabo et boule de vice ; et nous allons retrouver aussi Martin Luther.

Revoici donc notre Pharisien. S’il ne fut pas justifié cette fois là, peut-être le serait-il une autre fois… Nous ne le savons pas ; Dieu le sait. Nous pensons tout de même que tant qu’un être humain n’a pas rendu son dernier souffle, sa vie peut valoir quelque chose qu’elle ne valait pas encore. Nous pensons ainsi que le jugement final d’une vie ne peut venir qu’à la fin de cette vie, et n’est connu que de Dieu seul. Mais nous ajoutons qu’être ignorants du jugement divin porté sur nos vies ne nous dispense pas de l’obéissance aux commandements, ne nous dispense jamais de mener une vie réglée, une vie droite, une vie prévenante… Alors, jeûner deux fois la semaine, pourquoi pas. Donner à l’Eglise le dixième de tout ce qu’on reçoit, pourquoi pas. Partager ses propres richesses avec de pauvres gens, oui. Obéir aux commandements du Décalogue, oui. Mille fois oui ! Mais, le faire juste par obéissance, juste parce qu’on a choisi d’obéir, sans bâton, sans carotte, sans fuir le jugement des humains ou celui de Dieu, sans chercher les applaudissements des humains, ni l’approbation divine, et enfin sans regarder avec mépris ceux qui font autre chose que nous, autrement que nous, voir rien du tout, car la mauvaiseté réelle ou supposée d’autrui ne justifie jamais personne…
  Et revoici aussi notre collecteur d’impôts qui se frappe la poitrine et qui n’a en son cœur qu’une seule prière : « Ô Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ! » Cet homme est pécheur, il le reconnaît devant Dieu. Mais quel est son péché ? Collecter l’impôt ? Mais pourquoi donc devant Dieu un collecteur d’impôt serait-il pécheur en tant que collecteur d’impôts ? Ce sont des hommes qui pensent ça. Ce sont des humains qui catégorisent, méprisent, détestent avant d’avoir connu, et condamnent avant d’avoir entendu. Nous ne savons rien du péché de cet homme, mais nous savons qu’il est absolument sincère dans l’expression de sa contrition. Or, Dieu justifie ceux qui sont dont la contrition et le remords sont entiers et sincères.
Mais voici Martin Luther. Oui, dit-il, après les prophètes, après le Christ, Dieu sonde les reins et les cœurs et il juge, et il justifie ceux dont la contrition et le remords sont entiers et sincères. Mais, ajoute Martin Luther, « Nul n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore moins peut-on l'être de la justification). » (30ème des 95 thèses) Est-ce à dire que le collecteur d’impôt a prié hypocritement, ou en vain ? Nous avons exclu l’hypocrisie dans son cas. Martin Luther qui se montre ici fin connaisseur de l’âme humaine sait qu’il y a en elle toujours une sorte d’opacité. Les motivations des plus belles actions humaines ne sont pas toujours pures et c’est même l’une des marques du péché. Alors, le collecteur d’impôts a-t-il prié en vain ? Laissons cette question, et affirmons que ce n’est que par la grâce divine qu’il a été justifié. C’est cela aussi, la Réformation.

Ajoutons, pour finir, que la forme de la prière du collecteur d’impôts nous laisse à penser qu’il est sur un certain chemin, où l’on s’interroge, où l’on s’évalue, et où l’on ne se trouve pas toujours bien beau.
Et bien, sur le chemin de la vie, chacun peut et doit choisir, chacun peut s’égarer, se reprendre, tâcher de devenir meilleur, humainement plus juste. Et cela dure tant que dure une vie. C’est cela enfin, la Réformation. Puisse sur ce chemin le Tout Puissant nous venir en aide. Amen