Luc 18
… le Fils de l'homme, quand il viendra,
trouvera-t-il la foi sur la terre?»
9 Jésus
dit encore la parabole que voici à certains qui étaient convaincus d'être
justes et qui méprisaient tous les autres:
10 «Deux
hommes montèrent au temple pour prier; l'un était Pharisien et l'autre
collecteur d'impôts.
11 Le
Pharisien, debout, priait ainsi en lui-même: ‹O Dieu, je te rends grâce de ce
que je ne suis pas comme les autres hommes, qui sont voleurs, malfaisants, adultères,
ou encore comme ce collecteur d'impôts.
12 Je
jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme de tout ce que je me procure.›
13 Le
collecteur d'impôts, se tenant à distance, ne voulait même pas lever les yeux
au ciel, mais il se frappait la poitrine en disant: ‹O Dieu, prends pitié du
pécheur que je suis.›
14 Je
vous le déclare: celui-ci redescendit chez lui justifié, et non l'autre, car
tout homme qui s'élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé.»
Prédication
Le culte que nous
célébrons aujourd’hui, avec un peu d’avance sur le calendrier officiel,
s’appelle culte de la Réformation.
Qui dit calendrier officiel, dit événement à commémorer et cet
événement, c’est l’affichage, le 31 octobre 1517, d’une série de thèses, 95,
dont Martin Luther était l’auteur… Il s’agissait initialement d’une discussion
universitaire sur l’Eglise, son pouvoir, sur la manière d’obtenir les bonnes
grâces de Dieu, mais aussi sur la solidarité avec les pauvres, sur le sort des
défunts, sur le rapport à l’argent... Et ce qui ne devait être qu’une
discussion universitaire est devenu une grande affaire, qui a provoqué une
sorte d’embrasement dans l’Occident, et qui n’a pas laissé le monde intact…
Mais la Réformation ne peut pas être
seulement cela, une sorte de médaille que nous sortons du placard une fois par
an pour la montrer. C’est aussi une disposition d’esprit, une orientation de
vie… Nous essayons de préciser cette orientation.
Nous avons pour cela une petite
parabole, petite histoire apparemment très simple, destinée à nous faire
réfléchir. Et qui nous fait complices d’une triple indiscrétion.
La première, disons qu’elle est la moins grave des trois, est que nous
sommes spectateurs de la prière de deux hommes. C’est la moins grave des trois
indiscrétions de ce texte, parce que, finalement, même si le temple, ou une
église, n’est pas un cirque, on peut toujours entrer librement et observer ce
qui s’y passe. Deux hommes sont là et leurs attitudes respectives signalent
qu’ils sont occupés à une activité, la prière, qu’ils mettent en œuvre de deux
manières bien différentes. Laissons là cette première indiscrétion.
Seconde indiscrétion, plus grave que
la première, on nous dévoile l’intimité de ces deux hommes. Nous savons comment
prie le Pharisien en lui-même, ce qu’il pense de lui-même, ce qu’il pense des
autres en général, et de l’autre homme en particulier. Nous savons aussi comment
prie en lui-même le collecteur d’impôt. Leur intériorité nous est dévoilée... En
prenant le texte juste tel qu’il est, sans rien y ajouter, nous voyons aussi que
ces deux hommes sont, chacun dans sa prière, entiers et sincères.
Mais il y a dans cette parabole une
troisième indiscrétion, bien plus grave encore que la seconde. L’intimité de
Dieu elle-même nous est dévoilée. On nous fait savoir ce que Dieu pense de
chacun de ces deux hommes. Le collecteur d’impôt rentre chez lui justifié,
c'est-à-dire considéré comme juste par Dieu, ou encore approuvé dans sa démarche
par Dieu, alors que le Pharisien rentre chez lui bredouille, sans avoir été
justifié. Justifié, qu’est-ce que cela peut signifier ? Cela signifie qu’au
sortir du Temple, à la fin de la prière, il n’y a plus de passif entre Dieu et le
collecteur d’impôts, c'est-à-dire que Dieu, à cet instant, n’a plus rien à
reprocher à cet homme. Cela peut même signifier que si à cet instant la vie de
ces deux hommes leur était reprise, le collecteur d’impôts comparaîtrait devant
un Dieu plein de douceur, mais le Pharisien comparaîtrait devant un Dieu vindicatif…
Mais c’est nous seulement qui le savons, du fait de l’indiscrétion
grave du texte. Ces deux hommes, eux, ignorent totalement cela.
Faisons bien attention : nous
sommes au bénéfice d’indiscrétions graves. Dans la réalité, deux hommes se
tiennent dans un lieu de culte, et nous ne savons rien, rien de ce qui se passe
en eux, rien de ce que Dieu en pense, ni rien de ce qu’il pense de nous.
Notre réflexion commence ici : nous ignorons ce que Dieu pense de
nous. Là aussi commence aussi la Réformation, au moment où nous prenons acte de
ce que l’avis de Dieu sur nous nous est totalement inconnu.
Dieu me justifie-t-il, approuve-t-il à cet instant la personne que je
suis ? Je ne le sais pas. Approuve-t-il à cet instant les personnes que
vous êtes ? Je ne le sais pas. Nous ne le savons pas.
Et nous allons poursuivre dans cette veine. Pouvons-nous nous procurer,
par notre dévotion, par nos bonnes œuvres, ou à prix d’argent, quoi que ce soit
qui nous rendrait Dieu favorable ? Avons-nous quelque chose à faire valoir
devant Dieu, qui nous mériterait d’être justifié, approuvé par Lui ? Du
fait que nous ne sachions pas ce que Dieu pense de nous il s’ensuit que nous
n’avons rien à faire valoir devant Dieu. Nous n’avons même pas à faire valoir
que nous n’avons rien à faire valoir. C’est là aussi que commence la
Réformation.
Et sur ces commencements nous allons retrouver notre Pharisien,
champion de l’observance, du faire savoir et de la vertu ; nous allons
retrouver aussi notre collecteur d’impôts, honni en son temps et réputé collabo
et boule de vice ; et nous allons retrouver aussi Martin Luther.
Revoici donc notre Pharisien. S’il ne fut pas justifié cette fois là,
peut-être le serait-il une autre fois… Nous ne le savons pas ; Dieu le
sait. Nous pensons tout de même que tant qu’un être humain n’a pas rendu son
dernier souffle, sa vie peut valoir quelque chose qu’elle ne valait pas encore.
Nous pensons ainsi que le jugement final d’une vie ne peut venir qu’à la fin de
cette vie, et n’est connu que de Dieu seul. Mais nous ajoutons qu’être
ignorants du jugement divin porté sur nos vies ne nous dispense pas de
l’obéissance aux commandements, ne nous dispense jamais de mener une vie
réglée, une vie droite, une vie prévenante… Alors, jeûner deux fois la semaine,
pourquoi pas. Donner à l’Eglise le dixième de tout ce qu’on reçoit, pourquoi
pas. Partager ses propres richesses avec de pauvres gens, oui. Obéir aux
commandements du Décalogue, oui. Mille fois oui ! Mais, le faire juste par
obéissance, juste parce qu’on a choisi d’obéir, sans bâton, sans carotte, sans
fuir le jugement des humains ou celui de Dieu, sans chercher les
applaudissements des humains, ni l’approbation divine, et enfin sans regarder
avec mépris ceux qui font autre chose que nous, autrement que nous, voir rien
du tout, car la mauvaiseté réelle ou supposée d’autrui ne justifie jamais
personne…
Et revoici aussi notre collecteur d’impôts qui se frappe la poitrine et
qui n’a en son cœur qu’une seule prière : « Ô Dieu, prends pitié du
pécheur que je suis ! » Cet homme est pécheur, il le reconnaît devant
Dieu. Mais quel est son péché ? Collecter l’impôt ? Mais pourquoi
donc devant Dieu un collecteur d’impôt serait-il pécheur en tant que collecteur
d’impôts ? Ce sont des hommes qui pensent ça. Ce sont des humains qui
catégorisent, méprisent, détestent avant d’avoir connu, et condamnent avant
d’avoir entendu. Nous ne savons rien du péché de cet homme, mais nous savons
qu’il est absolument sincère dans l’expression de sa contrition. Or, Dieu
justifie ceux qui sont dont la contrition et le remords sont entiers et
sincères.
Mais voici Martin Luther. Oui, dit-il, après les prophètes, après le
Christ, Dieu sonde les reins et les cœurs et il juge, et il justifie ceux dont
la contrition et le remords sont entiers et sincères. Mais, ajoute Martin
Luther, « Nul n'est certain de la vérité de sa contrition ; encore
moins peut-on l'être de la justification). »
(30ème des 95 thèses) Est-ce à dire que le collecteur d’impôt a prié
hypocritement, ou en vain ? Nous avons exclu l’hypocrisie dans son cas. Martin
Luther qui se montre ici fin connaisseur de l’âme humaine sait qu’il y a en
elle toujours une sorte d’opacité. Les motivations des plus belles actions
humaines ne sont pas toujours pures et c’est même l’une des marques du péché.
Alors, le collecteur d’impôts a-t-il prié en vain ? Laissons cette
question, et affirmons que ce n’est que par la grâce divine qu’il a été
justifié. C’est cela aussi, la Réformation.
Ajoutons, pour finir, que la forme de la prière du collecteur d’impôts
nous laisse à penser qu’il est sur un certain chemin, où l’on s’interroge, où
l’on s’évalue, et où l’on ne se trouve pas toujours bien beau.
Et bien, sur le chemin de la vie, chacun peut et doit choisir, chacun
peut s’égarer, se reprendre, tâcher de devenir meilleur, humainement plus
juste. Et cela dure tant que dure une vie. C’est cela enfin, la Réformation. Puisse
sur ce chemin le Tout Puissant nous venir en aide. Amen