dimanche 16 octobre 2016

Le règne de Dieu, quoi, quand ? (Luc 17,20-18,8)


Rayonnement fossile de l'Univers, satellite Planck
Luc 17
20 Les Pharisiens lui demandèrent: «Quand donc vient le Règne de Dieu?» Il leur répondit: «Le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable.
21 On ne dira pas: ‹Le voici› ou ‹Le voilà›. En effet, le Règne de Dieu est parmi vous.»
22 Alors il dit aux disciples: «Des jours vont venir où vous désirerez voir ne fût-ce qu'un seul des jours du Fils de l'homme, et vous ne le verrez pas.
23 «On vous dira: ‹Le voilà, le voici.› Ne partez pas, ne vous précipitez pas.
24 En effet, comme l'éclair en jaillissant brille d'un bout à l'autre de l'horizon, ainsi sera le Fils de l'homme lors de son Jour.
25 Mais auparavant il faut qu'il souffre beaucoup et qu'il soit rejeté par cette génération.
26 «Et comme il en fut aux jours de Noé, ainsi en sera-t-il aux jours du Fils de l'homme:
27 on mangeait, on buvait, on prenait femme, on prenait mari, jusqu'au jour où Noé entra dans l'arche; alors le déluge vint et les fit tous périr.
28 Ou aussi, comme il en fut aux jours de Loth: on mangeait, on buvait, on achetait, on vendait, on plantait, on bâtissait;
29 mais, le jour où Loth sortit de Sodome, Dieu fit tomber du ciel une pluie de feu et de soufre et les fit tous périr.
30 Il en ira de la même manière le Jour où le Fils de l'homme se révélera.
31 «Ce Jour-là, celui qui sera sur la terrasse et qui aura ses affaires dans la maison, qu'il ne descende pas les prendre; et de même celui qui sera au champ, qu'il ne revienne pas en arrière.
32 Rappelez-vous la femme de Loth.
33 Qui cherchera à conserver sa vie la perdra et qui la perdra la sauvegardera.
34 Je vous le dis, cette nuit-là, deux hommes seront sur le même lit: l'un sera pris, et l'autre laissé.
35 Deux femmes seront en train de moudre ensemble: l'une sera prise, et l'autre laissée.»
37 Prenant la parole, les disciples lui demandèrent: «Où donc, Seigneur?» Il leur dit: «Où sera le corps, c'est là que se rassembleront les vautours.»
Hubble, champ ultra profond, 2014
Luc 18
1 Jésus leur dit une parabole sur la nécessité pour eux de prier constamment et de ne pas se décourager.
2 Il leur dit: «Il y avait dans une ville un juge qui n'avait ni crainte de Dieu ni respect des hommes.
3 Et il y avait dans cette ville une veuve qui venait lui dire: ‹Rends-moi justice contre mon adversaire.›
4 Il s'y refusa longtemps. Et puis il se dit: ‹Même si je ne crains pas Dieu ni ne respecte les hommes,
5 eh bien! parce que cette veuve m'ennuie, je vais lui rendre justice, pour qu'elle ne vienne pas sans fin me casser la tête.› »
6 Le Seigneur ajouta: «Écoutez bien ce que dit ce juge sans justice.
7 Et Dieu ne ferait pas justice à ses élus qui crient vers lui jour et nuit? Et il les fait attendre!
8 Je vous le déclare: il leur fera justice bien vite. Mais le Fils de l'homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre?»

Prédication : 
         « Quand donc vient le règne de Dieu ? » demandent à Jésus les Pharisiens, les champions de l’observance et du faire savoir, champions des apparences et de la com... dans l’Evangile de Luc.
Nous, chaque fois que nous prions le Notre  Père, nous demandons : « …que ton règne vienne ».
Qu’est-ce que le règne de Dieu ?
           
            L’idée la plus courante s’agissant du règne de Dieu est celle que nous recevons en lisant par exemple l’Apocalypse de Jean. Le règne de Dieu est un règne qui sera instauré par Dieu après la fin des temps, dans lequel chacun recevra ce qu’en sa justice Dieu lui-même aura décidé de lui attribuer, étang de souffre et de feu pour les uns, et pour les autres il n’y aura plus de sang, de sueur ni de larmes.
            Cette idée peut être précieuse pour ceux qui sont éprouvés, pourchassés… notamment en raison de leur foi. Elle peut effectivement étayer leur endurance et nourrir leur espérance.
Cette même idée peut aussi nourrir l’arrogance de ceux qui se figurent qu’en raison de leurs mérites, ils seront reconnus, et récompensés d’éternelle béatitude, ils échapperont aux flammes, seront accueillis en first class dans une nouvelle Arche de Noé pendant que les autres se noieront ou brûleront éternellement...

Cette forme de méchante certitude et de cruelle espérance devait être bien répandue du temps de Jésus – et de Luc. Elle devait être si répandue qu’il est bien précisé par Jésus que personne ne peut se prévaloir d’une connaissance de la juste décision finale de la justice de Dieu. Ainsi, comme nous le lisons, ce jour-là, nul n’aura rien à faire valoir pour sauver sa vie, son âme… On aura tellement rien à faire valoir que deux hommes couchés dans un même lit – modèle absolu du  vice masculin selon certains – et l’un sera pris, l’autre laissé, scandale que l’un des deux soit pris ; deux femmes seront à moudre le grain – modèle absolu de la vertu féminine – l’une sera laissée et l’autre prise, scandale que l’une des deux soit laissée.
Et vous, demande Jésus à des interlocuteurs probablement très sûrs de leurs mérites, pensez-vous vraiment que vous serez pris ?
La justice de Dieu est assurément juste, puisqu’Il est Dieu et qu’Il sonde les reins et les cœurs. Mais vu le peu de connaissance que les humains ont de Dieu, le peu de connaissance qu’ils ont d’eux-mêmes, vu aussi leur propension parfois à se réclamer de leurs propres bonnes actions, il ne faut pas qu’ils soient trop pressés d’être finalement jugés par la justice de Dieu…


            Dieu jugera, c’est certain, mais quand jugera-t-il ? Dans chaque période de grande tension et de grande violence, la pensée que la fin des temps est pour bientôt ressurgit. Jésus de Nazareth puis Luc l’évangéliste ont vécu l’une de ces périodes. Nous sommes la 80ème génération après eux, et le jugement de Dieu commence à accuser un retard certain... Pourtant, avec la même espérance que Jésus et que Luc nous disons qu’aujourd’hui encore Dieu qui connaît ses élus les écoute qui crient vers Lui, et qu’il leur fera promptement justice.
Promptement ? La justice de Dieu a déjà jugé. Dieu connaît ses élus, Lui seul les connaît, depuis toujours, et Il les écoute qui crient vers Lui, jour et nuit. Il les écoutera jusqu’au jour où viendra le Fils de l’homme.

            « Mais le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera-t-il la foi sur la terre ? » A cet instant, la question finalement très spéculative, très abstraite sur le jugement et sur la fin des temps, redevient tout à fait concrète.
Le Fils de l’homme, quand il viendra, trouvera assurément des gens qui prieront, d’autres qui ne prieront pas. Il trouvera des gens affairés à des célébrations bien ordonnées. D’autres à des activités diaconales. Il trouvera des croyants, des demi-croyants et des incroyants… mais la foi ? trouvera-t-il la foi sur la terre ?
           
            Au commencement de cette prédication, nous nous interrogions sur le règne de Dieu. Mais ce règne de Dieu, tel qu’on l’imagine après la fin des temps, semble bien abstrait, bien lointain… et c’est la question de la foi qui revient. Souvenons-nous bien de nos précédentes lectures.
Au Samaritain lépreux guéri venu lui rendre grâce et rentre louange à Dieu, Jésus n’a pas dit « ta foi te sauvera au jour du jugement », mais « ta foi t’a sauvé ». Pour qui se tient dans la foi, la question du jugement est déjà du passé. Il y a une présence et une actualité de la foi qui dépassent toute spéculation sur le futur règne de Dieu. L’affirmation de Jésus, « ta foi t’a sauvé », ramène la question du règne de Dieu dans le présent, et nos réflexions de ces dernières semaines sur la foi vont nous permettre de préciser, dans le présent ce qu’il en est du règne de Dieu.
            Avec le berger aux 99+1 brebis, ou avec le père du fils prodigue, nous avons repéré que la foi prend les aspects d’un engagement gratuit, déraisonnable, coûteux, voire même ruineux.
            Avec le Samaritain lépreux guéri, nous avons repéré que la foi prend aussi l’aspect d’une profonde reconnaissance envers les humains et envers Dieu.
            Nous repérons enfin avec cette veuve harcelant un juge corrompu, que la foi prend l’aspect de l’espérance, c’est à dire d’une prière qui ne cesse jamais, qu’elle n’ait pas été exaucée, ou qu’elle l’ait été.

            Bien entendu, tant la prière, que l’engagement, que la manifestation de reconnaissance, peuvent être de pures mises en scène. Ce sont d’ailleurs bien des Pharisiens qui s’adressent à Jésus… Et de ce genre de manifestations publiques d’engagement ou de piété on ne pourra pas déduire que la foi est bien là, ni que Dieu règne déjà. Jésus énonce effectivement que le Règne de Dieu ne vient pas comme un fait observable. Jésus interroge les apparences. Il interroge aussi les cœurs. Et à chacun il demande si son engagement, sa reconnaissance et sa prière sont produits par la grâce et rendus à la grâce.

Et bien là où s’engager, être plein de reconnaissance et prier se correspondent, là est la foi, et là Dieu règne. Ainsi, ce que nous demandons, lorsque nous prions « que ton règne vienne », c’est que, dans nos cœurs, dans nos vies personnelle et dans notre vie communautaire, viennent se correspondre l’engagement, la reconnaissance et la prière.
Que Dieu nous exauce. Et qu’il règne en nous et entre nous. Amen.