On pourra, dans un premier temps, se reporter au billet précédent. C'est que, dans le travail préparatoire, il est apparu qu'il n'était pas possible de se contenter de lire seulement les versets du fragment proposé par le lectionnaire... Le billet précédent proposait une méditation sur "La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare". Et donc cette parabole figure au début du billet en question.
Abbaye de Moissac, Lazare dans le sein d'Abraham |
Luc 17
1 Jésus dit à ses disciples: «Il est inévitable qu'il y
ait des causes de chute. Et malheur à celui par qui la chute arrive.
2 Mieux vaut pour lui qu'on lui attache au cou une meule
de moulin et qu'on le jette à la mer et qu'il ne fasse pas tomber un seul de
ces petits.
3 Tenez-vous sur vos gardes. «Si ton frère vient à
t'offenser, reprends-le; et s'il se repent, pardonne-lui.
4 Et si sept fois le jour il t'offense et que sept fois il
revienne à toi en disant: ‹Je me repens›, tu lui pardonneras.»
5 Les apôtres dirent au Seigneur: «Augmente en nous la
foi.»
6 Le Seigneur dit: «Si vraiment vous aviez de la foi gros
comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore: ‹Déracine-toi et va te
planter dans la mer›, et il vous obéirait.
7 «Lequel d'entre vous, s'il a un serviteur qui laboure ou
qui garde les bêtes, lui dira à son retour des champs: ‹Va vite te mettre à
table›?
8 Est-ce qu'il ne lui dira pas plutôt: ‹Prépare-moi de
quoi dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive;
et après tu mangeras et tu boiras à ton tour›?
9 A-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce
qu'il a fait ce qui lui était ordonné?
10 De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce qui
vous était ordonné, dites: ‹Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons
fait seulement ce que nous devions faire.› »
Prédication :
« Si vraiment vous
aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore :
‹Déracine-toi et va te planter dans la mer›, et il vous obéirait. »
Etrange défi que Jésus propose
à ses disciples : faire la démonstration de la puissance de leur foi au
détriment d’un malheureux arbre qui ne demandait qu’à vivre et qui va se noyer
dans la mer. Est-ce cela, la foi ? Une puissance stupide qui s’adresse à
une obéissance servile ? On ne comprend pas cet arbre qui ne se rebiffe
pas. Et on ne comprend pas non plus cette manière de disposer à l’envi des
êtres et des choses.
Jésus d’ailleurs ne peut pas enseigner cela, lui,
le Fils de Dieu. Un jour qu’il avait faim, il a refusé de transformer pour
lui-même des pierres en pain. Et souvent, il a contesté les pouvoirs et les
servitudes de son temps…
Que veut donc dire Jésus à ses disciples qui lui
demandent d’augmenter en eux la foi… Veut-il leur dire que s’ils en avaient un
peu plus qu’ils n’en ont, ils accompliraient des actes merveilleux ? Mais
faire se déraciner un sycomore pour le faire se jeter dans la mer, ça n’est pas
accomplir un acte merveilleux, c’est juste une bête démonstration de force… Et
qu’attend-on en général de ce genre de démonstration de force, si ce n’est
l’adhésion de spectateurs médusés ?
Or, s’agissant de provoquer l’adhésion de
spectateurs médusés, Jésus est celui qui a un jour refusé de se jeter du haut
du Temple et d’atterrir porté par des anges devant un parterre stupéfait.
Il ne semble donc pas que Jésus dise à ses
disciples : « Hélas, vous n’avez pas de foi, donc vous n’accomplissez
pas d’actes merveilleux… ». Il leur dit plutôt : « Heureusement,
vous n’avez pas de foi, parce que sinon vous accompliriez n’importe quoi. »
Mais y a-t-il, dans le texte, quelque chose qui
nous signale que les apôtres risquent d’accomplir n’importe quoi ? Il y a
un avertissement, un sévère avertissement.
« Il est inévitable qu’il y ait des causes de
chute… », ou, pour tâcher de bien comprendre le texte, « il est
inévitable qu’il y ait des gens qui soient piégés ». Et quelle serait la
nature du piège ? Et bien justement l’acte de puissance, le miracle
accompli délibérément et porté aux nues, pour apporter la preuve de ce qu’on avance.
Ou encore la mise en avant de miracles accomplis, la promesse qu’il y en aura
d’autres, le « et pourquoi pas vous… », et le « tous les
gagnants ont tenté leur chance », pour attirer les pauvres gens.
Ces pièges furent tendus à Jésus par le diable au
moment des tentations… Et ils seront plus tard aussi tendus aux apôtres, comme
ils sont tendus à tous les prédicateurs, à tous les témoins de l’Evangile.
Raison pour laquelle Jésus recommande à ses disciples de se tenir sur leurs
gardes, afin qu’ils ne se laissent pas séduire et piéger par la puissance de
leurs convictions, afin qu’ils n’asservissent pas ceux qui les écouteront.
Au vu des quelques versets que nous méditons, nous
ne pouvons pas affirmer que les apôtres ont bien compris ce qui est en jeu, ce
qui en serait de leur ministère, et ce qu’il en est de la foi. Il nous faudrait
lire encore un peu plus loin l’évangile de Luc, puis les Actes des apôtres. Et
nous nous rendrions compte qu’ils n’ont commencé à comprendre, ce qu’il en est
de la foi, qu’après la Croix, qu’après Résurrection, l’Ascension et la
Pentecôte. Mais nous nous rendrions compte aussi que, parfois, même après tout
cela, ils agissent comme s’ils avaient parfaitement saisi ce qu’est la foi, et
que parfois, il semble qu’ils n’ont rien saisi du tout… L’apprentissage de la
foi dure autant que dure une vie.
Mais qu’est-ce donc que la foi ? Avec les
quelques versets que nous méditons, et avec la parabole qui les précède, nous
pouvons esquisser quelque chose.
- Puisqu’Abraham apparaît dans la parabole,
puisque la résurrection est mentionnée, la foi est une conviction
profonde, conviction que Dieu agit. Cette conviction est gagée par des
récits anciens, par des témoignages directs, et par des expériences
personnelles.
- Avec la parabole, apparaissent Moïse et les
prophètes. La foi n’est pas indifférente à la vie des gens ; elle ne
dévalorise pas la richesse, ni ne valorise l’indigence, mais elle appelle
un souci d’autrui qui se manifeste par des actes conséquents visant à la
survie d’autrui.
- Dans l’évangile de Luc, il y a Jésus, les
apôtres, un peuple… La foi, n’est pas seulement personnelle, elle
s’inscrit dans l’histoire et l’actualité d’une communauté ; et qui
dit communauté dit transmission ; et transmettre la foi exclut de
séduire, d’imposer et de dominer.
- Si bien que la foi, qui est une pratique
concrète, et aussi une pédagogie. La foi se propose, s’expose et ne
s’impose pas. Elle n’a recours à aucun artifice visant à soumettre, que ce
soit par peur, ou par séduction.
- La foi selon Jésus, la foi de Jésus, est une
foi radicale ; elle est une consécration à autrui gratuite, absolue
et désintéressée, tant pour enseigner que pour soulager. En Jésus, la
conviction que Dieu agit, et l’action de Dieu sont totalement conjointes,
en cela il est fils de Dieu.
- La foi est souvent mise à l’épreuve, et
parfois jusqu’à sept fois par la même personne dans la même journée. Souvent
offensée, la foi toujours pardonne. Elle ne fait jamais de grief à qui se
repent.
- La foi n’attend ni gratification, ni
rétribution. Celui qui a la foi est un
serviteur, qui, selon sa perception de la situation et soutenu par
ses convictions, dit ce qui doit être dit, fait ce qui doit être fait, et
s’en remet à Dieu.
- Et pour en revenir à la parabole, où nous
voyons le riche donner ordre à Abraham de ressusciter Lazare, la foi
laisse à Dieu seul le soin de se manifester, en Lui elle se confie, à Lui
seul elle rend gloire.
Posons-nous la question : et nous, avons-nous la foi ? Ne
soyons pas trop sévères avec nous-mêmes. Nous en avons un peu, de la foi… et
nous n’en faisons probablement pas trop mauvais usage. Nous nous connaissons
peu les uns les autres. Mais Dieu, lui, nous connaît.
Alors maintenant, revenons à la demande des disciples, qui sont nos
frères. Et demandons à leur Seigneur, qui est notre Seigneur :
« Augmente en nous la foi. » Amen