dimanche 2 octobre 2016

8 leçons sur la foi (Luc 17,1-10)

On pourra, dans un premier temps, se reporter au billet précédent. C'est que, dans le travail préparatoire, il est apparu qu'il n'était pas possible de se contenter de lire seulement les versets du fragment proposé par le lectionnaire... Le billet précédent proposait une méditation sur "La parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare". Et donc cette parabole figure au début du billet en question.
Abbaye de Moissac, Lazare dans le sein d'Abraham
Luc 17
1 Jésus dit à ses disciples: «Il est inévitable qu'il y ait des causes de chute. Et malheur à celui par qui la chute arrive.
2 Mieux vaut pour lui qu'on lui attache au cou une meule de moulin et qu'on le jette à la mer et qu'il ne fasse pas tomber un seul de ces petits.
3 Tenez-vous sur vos gardes. «Si ton frère vient à t'offenser, reprends-le; et s'il se repent, pardonne-lui.
4 Et si sept fois le jour il t'offense et que sept fois il revienne à toi en disant: ‹Je me repens›, tu lui pardonneras.»
5 Les apôtres dirent au Seigneur: «Augmente en nous la foi.»
6 Le Seigneur dit: «Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore: ‹Déracine-toi et va te planter dans la mer›, et il vous obéirait.
7 «Lequel d'entre vous, s'il a un serviteur qui laboure ou qui garde les bêtes, lui dira à son retour des champs: ‹Va vite te mettre à table›?
8 Est-ce qu'il ne lui dira pas plutôt: ‹Prépare-moi de quoi dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive; et après tu mangeras et tu boiras à ton tour›?
9 A-t-il de la reconnaissance envers ce serviteur parce qu'il a fait ce qui lui était ordonné?

10 De même, vous aussi, quand vous avez fait tout ce qui vous était ordonné, dites: ‹Nous sommes des serviteurs quelconques. Nous avons fait seulement ce que nous devions faire.› »

Prédication :
            « Si vraiment vous aviez de la foi gros comme une graine de moutarde, vous diriez à ce sycomore : ‹Déracine-toi et va te planter dans la mer›, et il vous obéirait. »
            Etrange défi que Jésus propose à ses disciples : faire la démonstration de la puissance de leur foi au détriment d’un malheureux arbre qui ne demandait qu’à vivre et qui va se noyer dans la mer. Est-ce cela, la foi ? Une puissance stupide qui s’adresse à une obéissance servile ? On ne comprend pas cet arbre qui ne se rebiffe pas. Et on ne comprend pas non plus cette manière de disposer à l’envi des êtres et des choses.
Jésus d’ailleurs ne peut pas enseigner cela, lui, le Fils de Dieu. Un jour qu’il avait faim, il a refusé de transformer pour lui-même des pierres en pain. Et souvent, il a contesté les pouvoirs et les servitudes de son temps…
Que veut donc dire Jésus à ses disciples qui lui demandent d’augmenter en eux la foi… Veut-il leur dire que s’ils en avaient un peu plus qu’ils n’en ont, ils accompliraient des actes merveilleux ? Mais faire se déraciner un sycomore pour le faire se jeter dans la mer, ça n’est pas accomplir un acte merveilleux, c’est juste une bête démonstration de force… Et qu’attend-on en général de ce genre de démonstration de force, si ce n’est l’adhésion de spectateurs médusés ?
Or, s’agissant de provoquer l’adhésion de spectateurs médusés, Jésus est celui qui a un jour refusé de se jeter du haut du Temple et d’atterrir porté par des anges devant un parterre stupéfait.
Il ne semble donc pas que Jésus dise à ses disciples : « Hélas, vous n’avez pas de foi, donc vous n’accomplissez pas d’actes merveilleux… ». Il leur dit plutôt : « Heureusement, vous n’avez pas de foi, parce que sinon vous accompliriez n’importe quoi. »
Mais y a-t-il, dans le texte, quelque chose qui nous signale que les apôtres risquent d’accomplir n’importe quoi ? Il y a un avertissement, un sévère avertissement.

« Il est inévitable qu’il y ait des causes de chute… », ou, pour tâcher de bien comprendre le texte, « il est inévitable qu’il y ait des gens qui soient piégés ». Et quelle serait la nature du piège ? Et bien justement l’acte de puissance, le miracle accompli délibérément et porté aux nues, pour apporter la preuve de ce qu’on avance. Ou encore la mise en avant de miracles accomplis, la promesse qu’il y en aura d’autres, le « et pourquoi pas vous… », et le « tous les gagnants ont tenté leur chance », pour attirer les pauvres gens.
Ces pièges furent tendus à Jésus par le diable au moment des tentations… Et ils seront plus tard aussi tendus aux apôtres, comme ils sont tendus à tous les prédicateurs, à tous les témoins de l’Evangile. Raison pour laquelle Jésus recommande à ses disciples de se tenir sur leurs gardes, afin qu’ils ne se laissent pas séduire et piéger par la puissance de leurs convictions, afin qu’ils n’asservissent pas ceux qui les écouteront.

Au vu des quelques versets que nous méditons, nous ne pouvons pas affirmer que les apôtres ont bien compris ce qui est en jeu, ce qui en serait de leur ministère, et ce qu’il en est de la foi. Il nous faudrait lire encore un peu plus loin l’évangile de Luc, puis les Actes des apôtres. Et nous nous rendrions compte qu’ils n’ont commencé à comprendre, ce qu’il en est de la foi, qu’après la Croix, qu’après Résurrection, l’Ascension et la Pentecôte. Mais nous nous rendrions compte aussi que, parfois, même après tout cela, ils agissent comme s’ils avaient parfaitement saisi ce qu’est la foi, et que parfois, il semble qu’ils n’ont rien saisi du tout… L’apprentissage de la foi dure autant que dure une vie.

Mais qu’est-ce donc que la foi ? Avec les quelques versets que nous méditons, et avec la parabole qui les précède, nous pouvons esquisser quelque chose.
  1. Puisqu’Abraham apparaît dans la parabole, puisque la résurrection est mentionnée, la foi est une conviction profonde, conviction que Dieu agit. Cette conviction est gagée par des récits anciens, par des témoignages directs, et par des expériences personnelles.
  2. Avec la parabole, apparaissent Moïse et les prophètes. La foi n’est pas indifférente à la vie des gens ; elle ne dévalorise pas la richesse, ni ne valorise l’indigence, mais elle appelle un souci d’autrui qui se manifeste par des actes conséquents visant à la survie d’autrui.
  3. Dans l’évangile de Luc, il y a Jésus, les apôtres, un peuple… La foi, n’est pas seulement personnelle, elle s’inscrit dans l’histoire et l’actualité d’une communauté ; et qui dit communauté dit transmission ; et transmettre la foi exclut de séduire, d’imposer et de dominer.
  4. Si bien que la foi, qui est une pratique concrète, et aussi une pédagogie. La foi se propose, s’expose et ne s’impose pas. Elle n’a recours à aucun artifice visant à soumettre, que ce soit par peur, ou par séduction.
  5. La foi selon Jésus, la foi de Jésus, est une foi radicale ; elle est une consécration à autrui gratuite, absolue et désintéressée, tant pour enseigner que pour soulager. En Jésus, la conviction que Dieu agit, et l’action de Dieu sont totalement conjointes, en cela il est fils de Dieu.
  6. La foi est souvent mise à l’épreuve, et parfois jusqu’à sept fois par la même personne dans la même journée. Souvent offensée, la foi toujours pardonne. Elle ne fait jamais de grief à qui se repent.
  7. La foi n’attend ni gratification, ni rétribution. Celui qui a la foi est un  serviteur, qui, selon sa perception de la situation et soutenu par ses convictions, dit ce qui doit être dit, fait ce qui doit être fait, et s’en remet à Dieu.
  8. Et pour en revenir à la parabole, où nous voyons le riche donner ordre à Abraham de ressusciter Lazare, la foi laisse à Dieu seul le soin de se manifester, en Lui elle se confie, à Lui seul elle rend gloire.

Posons-nous la question : et nous, avons-nous la foi ? Ne soyons pas trop sévères avec nous-mêmes. Nous en avons un peu, de la foi… et nous n’en faisons probablement pas trop mauvais usage. Nous nous connaissons peu les uns les autres. Mais Dieu, lui, nous connaît.
Alors maintenant, revenons à la demande des disciples, qui sont nos frères. Et demandons à leur Seigneur, qui est notre Seigneur : « Augmente en nous la foi. » Amen