lundi 1 février 2016

Ceci n'est pas une prédication (Luc 4,1-14) pour la mémoire de Raphaël Picon

 Luc 4
1 Jésus, rempli d'Esprit Saint, revint du Jourdain et il était dans le désert, conduit par l'Esprit,
2 pendant quarante jours, et il était tenté par le diable. Il ne mangea rien durant ces jours-là, et lorsque ce temps fut écoulé, il eut faim.
3 Alors le diable lui dit: «Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain.»
4 Jésus lui répondit: «Il est écrit: Ce n'est pas seulement de pain que l'homme vivra.»
5 Le diable le conduisit plus haut, lui fit voir en un instant tous les royaumes de la terre
6 et lui dit: «Je te donnerai tout ce pouvoir avec la gloire de ces royaumes, parce que c'est à moi qu'il a été remis et que je le donne à qui je veux.
7 Toi donc, si tu m'adores, tu l'auras tout entier.»
8 Jésus lui répondit: «Il est écrit: Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et c'est à lui seul que tu rendras un culte.»
9 Le diable le conduisit alors à Jérusalem; il le plaça sur le faîte du temple et lui dit: «Si tu es Fils de Dieu, jette-toi d'ici en bas;
10 car il est écrit: Il donnera pour toi ordre à ses anges de te garder,
11 et encore: ils te porteront sur leurs mains pour t'éviter de heurter du pied quelque pierre.»
12 Jésus lui répondit: «Il est dit: Tu ne mettras pas à l'épreuve le Seigneur ton Dieu.»
13 Ayant alors épuisé toute tentation possible, le diable s'écarta de lui jusqu'au moment fixé.
14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.

Pas une prédication :
Je me souviens de deux conversations avec Raphaël. L'une, très théologique, à Montpellier, au cours d'un séminaire auquel il avait participé, l'année des 80 ans d'André Gounelle, et dont le titre était "Dieu ou l'embarras de la théologie". L'autre, très personnelle, c'était au cours du synode national de Sète, et je n’en livrerai rien. Personne n’a pour moi parlé mieux que lui de la vie en ne parlant que de sa mort prochaine. La présence de Raphaël aura toujours pour moi une odeur méridionale, l'odeur de la pinède chaude agrémentée d’un léger parfum d’embruns. Lorsque les nouvelles de l'aggravation de son état, puis de son décès, sont tombées, je me suis demandé pourquoi ce Dieu censé être juste et bon reprenait sa vie à son serviteur Raphaël, et laissait à Jean Dietz la sienne. J’ai même posé à Dieu la question, mais il n’a pas daigné répondre…
            Pendant ce temps, il y avait eu le congrès fondateur des Attestants et l’assemblée générale de la Fédération protestante de France allait avoir lieu. Du coup, on parlait de nouveau du synode de Sète et de sa fameuse décision. Le débat ne risquait gère d’être élevé. Toute la théologie de la création avait été ramenée à une seule expression : « Tût tût voiture et pouêt pouêt camion ! » (Bu 23,12) ; et de toute la belle fraternité qui avait présidé à la mise sur pied de la Fédération, et qui avait permis qu’on s’accueille humblement et mutuellement à la Cène on allait découvrir que ce qui faisait que l’Eglise réformée de France – devenue ensuite protestante et unie – était indispensable à la Fédération, c’était le montant considérable de sa contribution au budget commun… le reste, et surtout la présence en son sein d’horribles libéraux, ayant été pieusement et hypocritement ignoré. Et Raphaël, il allait penser quoi, de là-haut ?

            De là-haut, ou, pour le dire autrement, en pleine présence de Dieu, le Raphaël n’allait pas devoir se réclamer, comme tant d’autres, du Sola Scriptura. C’est bête de le dire. Et comme je suis las en le disant. Pour certains, bénir un couple de même sexe c’est ne pas tenir compte de l’Ecriture. Et je ne comprends pas pourquoi pour les mêmes, ne pas mettre à mort un couple de même sexe n’est pas ne pas tenir compte des Ecritures. Pourquoi Romains 2 et Lévitique 18, mais pas Lévitique 20 ? Ceux qui coupent les mains des voleurs, qui décapitent, qui lapident, parce que c’est écrit, ont l’horrible mérite de la cohérence, un mérite mal partagé. Mais il faut se demander pourquoi tout verset canonique devrait être littéralement mis en œuvre. La canonicité du texte, sa sacralité même, appellent-elles une mise en œuvre littérale ?
            S’agissant de la décision de Sète, certain commentateur voudrait nous faire croire que, « pour la première fois, l’institution ecclésiale (EPUdF) suggère, dans un texte synodal, officiel, public, que ce qui fonde l’Eglise n’est plus l’autorité des Ecritures, mais la Seigneurie de Jésus qui nous accueille dans la pluralité de nos discours théologiques » (Réforme 3642, 28 janvier 2016, p.7). Fieffée hypocrisie que ce commentaire… la Seigneurie de Jésus, même sur les Ecritures, est affirmée même par les Ecritures. Au fond, certain commentateur se fichent éperdument et de la Grâce, et de la Foi, et du Christ, et de la Réforme, et des Ecritures. Je te ramasse le verset qui va bien et je t’en balance du « si tu es croyant, dis à ces gens de dégager de l’Eglise car il est écrit… » Tactique du diable et négation de l’Esprit.
            La canonicité d’un texte, sa sacralité même, en interdisent toute mise en œuvre littérale. Cela fait bientôt deux mille ans que les Rabbins rescapés de la destruction du Temple l’ont parfaitement compris. « Elle n’est pas aux cieux », tonne Rabbi Yeoshoua, parlant de la Torah ; elle n’est pas d’avantage sur terre pour qu’on ramasse le verset qui va bien et qu’on en fasse une arme de guerre. Que cette Ecriture devienne un dire, une Parole, quelque chose qui est dit au cœur de quelqu’un, on ne le veut pas, surtout pas. On ne le veut surtout pas parce que quelqu'un, ça a un cœur, et qu'on n'a pas de cœur. En plus de se moquer de la Grâce, de la Foi, du Christ et de la Réforme et des Ecritures, en plus de nier l’Esprit, c’est « quelqu’un » qu’on oblitère, et on ne l'oblitère pas au nom d'une cohérence communautaire, on le sacrifie sur l'autel païen, idolâtre, immonde... l'autel des Ecritures.

            Raphaël, c’était quelqu’un auprès de qui on se sentait quelqu’un. C’est trop bête de dire on. Il a sûrement dû coller quelques étudiants et même si l’on n’imagine pas que c’était injustement, être collé par un prof ne fait jamais plaisir. Une sottise de plus : comme si éprouver du plaisir pouvait avoir une part là-dedans. C’était quelqu’un auprès de qui je me suis senti être quelqu’un. C’est un peu ennuyeux de ne pas avoir pu faire un peu plus de chemin avec lui. Et c’est un peu ennuyeux aussi de me dire que ce sont parfois les meilleurs qui partent en premier. C’est ainsi.