Non, ils
n'ont pas fait "ça" ! Si, ils l'ont fait ! Mais quoi donc ? Ils ont
choisi les bons versets et la bonne traduction pour démontrer ce qu'ils
voulaient démontrer. Mais qui sont-ils ? Car après tout ne faisons-nous pas
souvent exactement cela ? Ils sont ceux qui choisissent les textes bibliques
pour le prochain dimanche... Et, dans ce cas, c'est le lectionnaire
"Dimanches et fêtes" qui est en question. Leurs intentions sont-elles
réellement celles que je dis ? Le catéchisme, l'histoire sainte, le dogme, pour
être simpliste, ont leurs exigences que les auteurs bibliques ignorent. Voici
en tout cas le texte, dans la traduction qu'en donne John Nelson Darby
(1800-1882), que j'ai choisie exprès pour en rajouter sur le mouvement premier
de mon humeur... Ce n'est pas pour m'en prendre à Darby, mais ce choix s'est
imposé à la fin d'un processus de traduction et d'exploration. On pourra
m'objecter qu'il y a une part de mauvaise foi là-dedans. Et c'est un peu vrai.
Mais il y a aussi une certaine lassitude qui confine parfois au dégoût. Il y a
quelques années, lorsqu'un certain pasteur extrémiste s'était mis en avant en
brûlant le Coran, le livre des autres, j'avais répliqué en proposant que les
chrétiens brûlent eux-mêmes la Bible...
Luc 1
1 Puisque plusieurs ont
entrepris de rédiger un récit des choses qui sont reçues parmi nous avec une
pleine certitude,
2 comme nous les ont transmises ceux qui, dès le
commencement, ont été les témoins oculaires et les ministres de la parole,
3 il m'a semblé bon à moi aussi, qui ai suivi
exactement toutes choses depuis le commencement, très-excellent Théophile, de
te les écrire en ordre,
4 afin que tu connaisses la certitude des choses
dont tu as été instruit.
Luc 4
14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit,
revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous
disaient sa gloire.
16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra
suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour
faire la lecture.
17 On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le
déroulant il trouva le passage où il était écrit:
18 L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a
conféré l'onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé
proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue,
renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d'accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et
s'assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui,
cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez.»
Prédication :
Les versets
que nous venons de lire sont exactement ceux qui nous sont proposés ce matin,
bien choisis dans l’Evangile de Luc, et bien traduits par John Nelson Darby.
Que signifient-ils ?
Jésus a vécu. Des témoins
oculaires ont rigoureusement tout retenu, et ils ont exactement tout bien
transmis, mais peut-être un peu en désordre. Luc, qui fut de ceux-là, depuis le
début de l’aventure, n’a fait que mettre tout bien en ordre, à l’intention de
Théophile, qui avait été préalablement instruit. Résultat de tout ce
processus : plus aucun doute n’est possible, au moins pour Théophile,
l’exactitude du récit de Luc garantit la véracité l’enseignement qu’il a reçu. La vie de Jésus
s’est donc déroulée exactement tout comme on l’enseigne, et on l’enseigne
exactement tout comme c’est écrit. Et plus encore, cela s’est déroulé
exactement comme cela avait été prédit par le prophète Esaïe, etc.
Tant de précision, tant
d’exactitude nous confondent. Nous nous réjouissons de cette année de grâce, de
la miséricorde de Dieu. Nous rendons grâce à Dieu pour Luc, pour Esaïe, pour
Jésus… Mais tant de précision et tant d’exactitude font planer comme une ombre sur
ces versets. Les vérités qu’ils mettent sous nos yeux sont trop lisses, trop
massives. Et ces versets semblent à la fois trop bien choisis, et trop bien
traduits, comme s’ils devaient démontrer, prouver quelque chose.
Nous ne refusons pas de croire en
la miséricorde de Dieu, là n’est pas la question, mais nous ne voudrions pas que
ce soit trop naïvement… peut-être pas pour nous-mêmes, car notre émerveillement
devant la fidélité et la miséricorde de Dieu peut comporter une part de
naïveté. Mais à nos semblables nous ne pouvons pas d’emblée proposer d’abdiquer
leur raison et leurs doutes pour un émerveillement naïf. C’est un peu cela,
cette ombre qui plane sur ces versets, bien choisis, trop bien traduits et trop
probants, trop beaux pour être honnêtes.
Que faire ? Opter pour la
naïveté, nous ne le voulons pas, nous ne sommes pas des naïfs et nous ne
voulons pas contraindre à la naïveté. Rejeter l’ensemble par ce que la
démonstration est trop bien ficelée et qu’on a le sentiment qu’on nous prend
pour des imbéciles, nous ne le voulons pas non plus… mais la tentation est
forte. Que faire ?
Les gens
qui ont choisi ces versets ne peuvent pas nous interdire de lire quelques
versets de plus.
21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui, cette
écriture est accomplie pour vous qui l'entendez.»
22 Tous lui rendaient témoignage; ils s'étonnaient du
message de la grâce qui sortait de sa bouche, et ils disaient: «N'est-ce pas là
le fils de Joseph?»
23 Alors il leur dit: «Sûrement vous allez me citer ce
dicton: ‹Médecin, guéris-toi toi-même.› Nous avons appris tout ce qui s'est
passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie.»
24 Et il ajouta: «Oui, je vous le déclare, aucun prophète
ne trouve accueil dans sa patrie.
25 En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup
de veuves en Israël aux jours d'Elie, quand le ciel fut fermé trois ans et six
mois et que survint une grande famine sur tout le pays;
26 pourtant ce ne fut à aucune d'entre elles qu'Elie fut
envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta.
27 Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du
prophète Elisée; pourtant aucun d'entre eux ne fut purifié, mais bien Naamân le
Syrien.»
28 Tous furent remplis de colère, dans la synagogue, en
entendant ces paroles.
29 Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le
menèrent jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur
ville, pour le précipiter en bas.
30 Mais lui, passant au milieu d'eux, alla son chemin.
Il y avait
une ombre, tant les versets choisis et traduits mettaient en avant une vérité
trop belle, trop lisse… Et voici que cette vérité se fissure. La prédication de
Jésus à Nazara – ou Nazareth – est un échec total. Ne méditons pas sur les
raisons de cet échec ; Jésus cherche à prouver, à se justifier, et comme
cela ne suffit pas, il provoque… Peut-être bien qu’il tombe dans le panneau de
la troisième tentation (relire quelques versets plus haut, ou la méditation de
la semaine passée). Il échoue en tant que prédicateur de la grâce de Dieu, mais
cela n’annule pas la grâce de Dieu. Et la parole du prophète Esaïe dont Jésus
se réclame n’est pas invalidée parce qu’elle n’est pas reçue. Quelqu’un
proclame une année d’accueil par le Seigneur, quelqu’un proclame sa miséricorde
et sa fidélité, et d’autres refusent de l’entendre, mais cela ne change rien à
la miséricorde et à la fidélité du Seigneur. L’amour de Dieu n’est en rien
entamé par ceux qui refusent d’en entendre parler.
Lorsque le récit de Luc rapporte l’échec
de Jésus à Nazareth, il montre que l’accomplissement des Ecritures n’est seulement pas une donnée massive,
historiquement accomplie un jour et pour toujours. L’accomplissement des Ecritures
en Jésus n’est pas seulement une vérité de la foi. C’est aussi un événement. Cet
événement s’accomplit d’abord parce que Jésus a l’audace de reprendre la parole
du prophète et de proclamer la grâce de Dieu. Mais un autre accomplissement
reste attendu. La grâce de Dieu demande certes à être prêchée, mais elle attend
aussi d’être reçue, puis prêchée de nouveau. Or, elle n’est pas toujours reçue.
Est-elle reçue à Nazareth ? On est tenté de répondre négativement. Mais il
n’appartient pas à celui qui l’annonce de savoir si elle a été reçue ou si elle
sera reçue. La grâce pénètre d’ailleurs si profondément, si intimement, ceux
qui la laissent entrer en elle que, le plus souvent, ils seront discrets… On
n’expose pas ainsi devant tout le monde sa propre intimité, sa propre véritable
foi. Et il se passe parfois des années, des dizaines d’années même, pour que
l’annonce de la grâce trouve en quelqu’un le chemin de son cœur.
Il y avait
une ombre devant nous, à cause du choix trop bien ficelé de certains versets,
et à cause d’une traduction trop bien agencée… Raconter l’échec de Jésus à
Nazareth dépouille ces versets de leur portée démonstrative. Et trois vérités
émergent.
C’est d’abord la vérité de la
dureté des cœurs qui est mise en lumière. Les auditeurs de Jésus voulaient d’un
amour de Dieu qui accomplisse ses promesses juste parce qu’elles sont promises,
sans que leurs cœurs ne soient appelés à changer. On voudrait que ces promesses
s’accomplissent sans devoir soi-même contribuer à leur accomplissement. On
voudrait même les voir s’accomplir sans espérer leur accomplissement c’est à
dire sans simplement agir en laissant le fruit de l’action s’offrir à d’autres
que nous. C’est tout cela, la dureté des cœurs.
Une seconde vérité est ensuite
mise en lumière : la prédication de la miséricorde de Dieu vient heurter ces
cœurs, elle vient même les pénétrer. La violence de la réaction des gens des
Nazareth en est le signe, non pas le signe qu’ils n’ont rien compris, mais le
signe qu’ils ont parfaitement compris. Ils ont parfaitement saisi que la
miséricorde de Dieu c’est Dieu qui dit NON à ces cœurs durs, à ces cœurs sûrs
d’eux-mêmes et de leur bon droit.
Une troisième vérité est enfin
mise en lumière, au moment où Jésus, s’éclipse à la faveur du tumulte. La grâce
de Dieu n’est pas suspendue par l’échec apparent de la prédication. C’est le
signe que la parole de cette prédication se cherche et se fraye elle-même son
propre chemin, et que Dieu laisse finalement l’être humain choisir.
A ce moment du récit de Luc, nul
ne sait si quelqu’un, à Nazareth, aura reçu cette grâce et l’aura acceptée…
Tout comme nul ne sait, le soir du vendredi saint, si quelqu’un aura reçu la
grâce et l’aura acceptée… L’espérance de la résurrection ignore tout de la
résurrection ; tout comme l’espérance de la grâce ignore tout de la grâce.
Elle en vit pourtant, et l’annonce.
Plaise à Dieu que sa miséricorde
et sa grâce soient reçues. Plaise aussi à Dieu qu’elles soient transmises très
exactement pour ce qu’elles sont. Qu’Il nous soit en aide. Amen
Cher Théophile (chers
amis de Dieu, qui cherchez à entretenir avec Dieu, le mot Dieu et ce qu’on dit
de Dieu des relations amicales, ouvertes, critiques, constructives…), des tas
de gens, se prétendant autorisés parce qu’ils ont connu ceux qui ont connu ceux
qui auraient vu ceci et cela, ont raconté n’importe quoi, pour se donner de
l’importance, au lieu de chercher à penser ne serait-ce qu’un peu, et c’est
devenu tellement n’importe quoi que j’ai décidé d’écrire, de faire le tri – et
j’en ai balancé des tonnes, j’en ai retenu fort peu, et je l’ai soigneusement
rédigé – pour que toi aussi, Théophile, tu sois équipé pour faire le tri et
pour ne pas te laisser refiler n’importe quoi.
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