lundi 25 janvier 2016

La grâce, la miséricorde de Dieu (Luc 1,1-4, et 4,14 et suivants) et l'art douteux de bien choisir les textes...



Non,  ils n'ont pas fait "ça" ! Si, ils l'ont fait ! Mais quoi donc ? Ils ont choisi les bons versets et la bonne traduction pour démontrer ce qu'ils voulaient démontrer. Mais qui sont-ils ? Car après tout ne faisons-nous pas souvent exactement cela ? Ils sont ceux qui choisissent les textes bibliques pour le prochain dimanche... Et, dans ce cas, c'est le lectionnaire "Dimanches et fêtes" qui est en question. Leurs intentions sont-elles réellement celles que je dis ? Le catéchisme, l'histoire sainte, le dogme, pour être simpliste, ont leurs exigences que les auteurs bibliques ignorent. Voici en tout cas le texte, dans la traduction qu'en donne John Nelson Darby (1800-1882), que j'ai choisie exprès pour en rajouter sur le mouvement premier de mon humeur... Ce n'est pas pour m'en prendre à Darby, mais ce choix s'est imposé à la fin d'un processus de traduction et d'exploration. On pourra m'objecter qu'il y a une part de mauvaise foi là-dedans. Et c'est un peu vrai. Mais il y a aussi une certaine lassitude qui confine parfois au dégoût. Il y a quelques années, lorsqu'un certain pasteur extrémiste s'était mis en avant en brûlant le Coran, le livre des autres, j'avais répliqué en proposant que les chrétiens brûlent eux-mêmes la Bible...
Luc 1
1 Puisque plusieurs ont entrepris de rédiger un récit des choses qui sont reçues parmi nous avec une pleine certitude,
2 comme nous les ont transmises ceux qui, dès le commencement, ont été les témoins oculaires et les ministres de la parole,
3 il m'a semblé bon à moi aussi, qui ai suivi exactement toutes choses depuis le commencement, très-excellent Théophile, de te les écrire en ordre,
4 afin que tu connaisses la certitude des choses dont tu as été instruit.

Luc 4
14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.
15 Il enseignait dans leurs synagogues et tous disaient sa gloire.
16 Il vint à Nazara où il avait été élevé. Il entra suivant sa coutume le jour du sabbat dans la synagogue, et il se leva pour faire la lecture.
17 On lui donna le livre du prophète Esaïe, et en le déroulant il trouva le passage où il était écrit:
18 L'Esprit du Seigneur est sur moi parce qu'il m'a conféré l'onction pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres. Il m'a envoyé proclamer aux captifs la libération et aux aveugles le retour à la vue, renvoyer les opprimés en liberté,
19 proclamer une année d'accueil par le Seigneur.
20 Il roula le livre, le rendit au servant et s'assit; tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez.»

Prédication :
            Les versets que nous venons de lire sont exactement ceux qui nous sont proposés ce matin, bien choisis dans l’Evangile de Luc, et bien traduits par John Nelson Darby. Que signifient-ils ?
Jésus a vécu. Des témoins oculaires ont rigoureusement tout retenu, et ils ont exactement tout bien transmis, mais peut-être un peu en désordre. Luc, qui fut de ceux-là, depuis le début de l’aventure, n’a fait que mettre tout bien en ordre, à l’intention de Théophile, qui avait été préalablement instruit. Résultat de tout ce processus : plus aucun doute n’est possible, au moins pour Théophile, l’exactitude du récit de Luc garantit la véracité  l’enseignement qu’il a reçu. La vie de Jésus s’est donc déroulée exactement tout comme on l’enseigne, et on l’enseigne exactement tout comme c’est écrit. Et plus encore, cela s’est déroulé exactement comme cela avait été prédit par le prophète Esaïe, etc.
Tant de précision, tant d’exactitude nous confondent. Nous nous réjouissons de cette année de grâce, de la miséricorde de Dieu. Nous rendons grâce à Dieu pour Luc, pour Esaïe, pour Jésus… Mais tant de précision et tant d’exactitude font planer comme une ombre sur ces versets. Les vérités qu’ils mettent sous nos yeux sont trop lisses, trop massives. Et ces versets semblent à la fois trop bien choisis, et trop bien traduits, comme s’ils devaient démontrer, prouver quelque chose.
Nous ne refusons pas de croire en la miséricorde de Dieu, là n’est pas la question, mais nous ne voudrions pas que ce soit trop naïvement… peut-être pas pour nous-mêmes, car notre émerveillement devant la fidélité et la miséricorde de Dieu peut comporter une part de naïveté. Mais à nos semblables nous ne pouvons pas d’emblée proposer d’abdiquer leur raison et leurs doutes pour un émerveillement naïf. C’est un peu cela, cette ombre qui plane sur ces versets, bien choisis, trop bien traduits et trop probants, trop beaux pour être honnêtes.
Que faire ? Opter pour la naïveté, nous ne le voulons pas, nous ne sommes pas des naïfs et nous ne voulons pas contraindre à la naïveté. Rejeter l’ensemble par ce que la démonstration est trop bien ficelée et qu’on a le sentiment qu’on nous prend pour des imbéciles, nous ne le voulons pas non plus… mais la tentation est forte. Que faire ?
           
            Les gens qui ont choisi ces versets ne peuvent pas nous interdire de lire quelques versets de plus.

21 Alors il commença à leur dire: «Aujourd'hui, cette écriture est accomplie pour vous qui l'entendez.»
22 Tous lui rendaient témoignage; ils s'étonnaient du message de la grâce qui sortait de sa bouche, et ils disaient: «N'est-ce pas là le fils de Joseph?»
23 Alors il leur dit: «Sûrement vous allez me citer ce dicton: ‹Médecin, guéris-toi toi-même.› Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm, fais-en donc autant ici dans ta patrie.»
24 Et il ajouta: «Oui, je vous le déclare, aucun prophète ne trouve accueil dans sa patrie.
25 En toute vérité, je vous le déclare, il y avait beaucoup de veuves en Israël aux jours d'Elie, quand le ciel fut fermé trois ans et six mois et que survint une grande famine sur tout le pays;
26 pourtant ce ne fut à aucune d'entre elles qu'Elie fut envoyé, mais bien dans le pays de Sidon, à une veuve de Sarepta.
27 Il y avait beaucoup de lépreux en Israël au temps du prophète Elisée; pourtant aucun d'entre eux ne fut purifié, mais bien Naamân le Syrien.»
28 Tous furent remplis de colère, dans la synagogue, en entendant ces paroles.
29 Ils se levèrent, le jetèrent hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline sur laquelle était bâtie leur ville, pour le précipiter en bas.
30 Mais lui, passant au milieu d'eux, alla son chemin.
           Il y avait une ombre, tant les versets choisis et traduits mettaient en avant une vérité trop belle, trop lisse… Et voici que cette vérité se fissure. La prédication de Jésus à Nazara – ou Nazareth – est un échec total. Ne méditons pas sur les raisons de cet échec ; Jésus cherche à prouver, à se justifier, et comme cela ne suffit pas, il provoque… Peut-être bien qu’il tombe dans le panneau de la troisième tentation (relire quelques versets plus haut, ou la méditation de la semaine passée). Il échoue en tant que prédicateur de la grâce de Dieu, mais cela n’annule pas la grâce de Dieu. Et la parole du prophète Esaïe dont Jésus se réclame n’est pas invalidée parce qu’elle n’est pas reçue. Quelqu’un proclame une année d’accueil par le Seigneur, quelqu’un proclame sa miséricorde et sa fidélité, et d’autres refusent de l’entendre, mais cela ne change rien à la miséricorde et à la fidélité du Seigneur. L’amour de Dieu n’est en rien entamé par ceux qui refusent d’en entendre parler.

Lorsque le récit de Luc rapporte l’échec de Jésus à Nazareth, il montre que l’accomplissement des Ecritures n’est  seulement pas une donnée massive, historiquement accomplie un jour et pour toujours. L’accomplissement des Ecritures en Jésus n’est pas seulement une vérité de la foi. C’est aussi un événement. Cet événement s’accomplit d’abord parce que Jésus a l’audace de reprendre la parole du prophète et de proclamer la grâce de Dieu. Mais un autre accomplissement reste attendu. La grâce de Dieu demande certes à être prêchée, mais elle attend aussi d’être reçue, puis prêchée de nouveau. Or, elle n’est pas toujours reçue. Est-elle reçue à Nazareth ? On est tenté de répondre négativement. Mais il n’appartient pas à celui qui l’annonce de savoir si elle a été reçue ou si elle sera reçue. La grâce pénètre d’ailleurs si profondément, si intimement, ceux qui la laissent entrer en elle que, le plus souvent, ils seront discrets… On n’expose pas ainsi devant tout le monde sa propre intimité, sa propre véritable foi. Et il se passe parfois des années, des dizaines d’années même, pour que l’annonce de la grâce trouve en quelqu’un le chemin de son cœur.

            Il y avait une ombre devant nous, à cause du choix trop bien ficelé de certains versets, et à cause d’une traduction trop bien agencée… Raconter l’échec de Jésus à Nazareth dépouille ces versets de leur portée démonstrative. Et trois vérités émergent.
C’est d’abord la vérité de la dureté des cœurs qui est mise en lumière. Les auditeurs de Jésus voulaient d’un amour de Dieu qui accomplisse ses promesses juste parce qu’elles sont promises, sans que leurs cœurs ne soient appelés à changer. On voudrait que ces promesses s’accomplissent sans devoir soi-même contribuer à leur accomplissement. On voudrait même les voir s’accomplir sans espérer leur accomplissement c’est à dire sans simplement agir en laissant le fruit de l’action s’offrir à d’autres que nous. C’est tout cela, la dureté des cœurs.
Une seconde vérité est ensuite mise en lumière : la prédication de la miséricorde de Dieu vient heurter ces cœurs, elle vient même les pénétrer. La violence de la réaction des gens des Nazareth en est le signe, non pas le signe qu’ils n’ont rien compris, mais le signe qu’ils ont parfaitement compris. Ils ont parfaitement saisi que la miséricorde de Dieu c’est Dieu qui dit NON à ces cœurs durs, à ces cœurs sûrs d’eux-mêmes et de leur bon droit.
Une troisième vérité est enfin mise en lumière, au moment où Jésus, s’éclipse à la faveur du tumulte. La grâce de Dieu n’est pas suspendue par l’échec apparent de la prédication. C’est le signe que la parole de cette prédication se cherche et se fraye elle-même son propre chemin, et que Dieu laisse finalement l’être humain choisir.

A ce moment du récit de Luc, nul ne sait si quelqu’un, à Nazareth, aura reçu cette grâce et l’aura acceptée… Tout comme nul ne sait, le soir du vendredi saint, si quelqu’un aura reçu la grâce et l’aura acceptée… L’espérance de la résurrection ignore tout de la résurrection ; tout comme l’espérance de la grâce ignore tout de la grâce. Elle en vit pourtant, et l’annonce.
Plaise à Dieu que sa miséricorde et sa grâce soient reçues. Plaise aussi à Dieu qu’elles soient transmises très exactement pour ce qu’elles sont. Qu’Il nous soit en aide. Amen

Cher Théophile (chers amis de Dieu, qui cherchez à entretenir avec Dieu, le mot Dieu et ce qu’on dit de Dieu des relations amicales, ouvertes, critiques, constructives…), des tas de gens, se prétendant autorisés parce qu’ils ont connu ceux qui ont connu ceux qui auraient vu ceci et cela, ont raconté n’importe quoi, pour se donner de l’importance, au lieu de chercher à penser ne serait-ce qu’un peu, et c’est devenu tellement n’importe quoi que j’ai décidé d’écrire, de faire le tri – et j’en ai balancé des tonnes, j’en ai retenu fort peu, et je l’ai soigneusement rédigé – pour que toi aussi, Théophile, tu sois équipé pour faire le tri et pour ne pas te laisser refiler n’importe quoi.

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