Luc 3
15 Le peuple était dans l'attente et tous se posaient en
eux-mêmes des questions au sujet de Jean: ne serait-il pas le Messie?
16 Jean répondit à tous: «Moi, c'est d'eau que je vous
baptise; mais il vient, celui qui est plus fort que moi, et je ne suis pas
digne de délier la lanière de ses sandales. Lui, il vous baptisera dans
l'Esprit Saint et le feu;
17 il a sa pelle à vanner à la main pour nettoyer son aire
et pour recueillir le blé dans son grenier; mais la bale, il la brûlera au feu
qui ne s'éteint pas.»
18 Ainsi, avec bien d'autres exhortations encore, il
annonçait au peuple la Bonne Nouvelle.
19 Mais Hérode le tétrarque, qu'il blâmait au sujet
d'Hérodiade, la femme de son frère, et de tous les forfaits qu'il avait commis,
20 ajouta encore ceci à tout le reste: il enferma Jean en
prison.
21 Or comme tout le peuple était baptisé, Jésus, baptisé
lui aussi, priait; alors le ciel s'ouvrit;
22 l'Esprit Saint descendit sur Jésus sous une apparence
corporelle, comme une colombe, et une voix vint du ciel: «Tu es mon fils, le bien aimé, en toi je me reconnais.»
{aujourd’hui je t’ai engendré}
23 Jésus, à ses débuts, avait environ trente ans. Il était,
à ce qu’on disait, fils de Joseph,
fils de Héli, 24 fils de Matthat, fils de Lévi, fils de Melchi, fils
de Iannaï, fils de Joseph, (…) 37 fils de Mathousala, fils de
Hénoch, fils de Iaret, fils de Maléléel, fils de Kaïnam, 38 fils
d'Enôs, fils de Seth, fils d'Adam, fils de Dieu.
Luc 4
1 Jésus, rempli d'Esprit
Saint, revint du Jourdain et il était dans le désert, conduit par l'Esprit,
2 pendant quarante jours, et il était tenté par le diable.
Il ne mangea rien durant ces jours-là, et lorsque ce temps fut écoulé, il eut
faim.
3 Alors le diable lui dit: «Puisque tu es Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du
pain.»
4 Jésus lui répondit: «Il est écrit: Ce n'est pas
seulement de pain que l'homme vivra.»
5 Le diable le conduisit plus haut, lui fit voir en un
instant tous les royaumes de la terre
6 et lui dit : « Je te donnerai tout ce
pouvoir avec la gloire de ces royaumes, parce que c'est à moi qu'il a été remis
et que je le donne à qui je veux.
7 Toi donc, si tu m'adores, tu l'auras tout entier.»
8 Jésus lui répondit: «Il est écrit: Tu adoreras le
Seigneur ton Dieu, et c'est à lui seul que tu rendras un culte.»
9 Le diable le conduisit alors à Jérusalem; il le plaça
sur le faîte du temple et lui dit: « Puisque
tu es Fils de Dieu, jette-toi d'ici en bas;
10 car il est écrit: Il donnera pour toi ordre à ses anges
de te garder,
11 et encore: ils te porteront sur leurs mains pour
t'éviter de heurter du pied quelque pierre.»
12 Jésus lui répondit: «Il est dit: Tu ne mettras pas à
l'épreuve le Seigneur ton Dieu.»
13 Ayant alors épuisé toute tentation possible, le diable
s'écarta de lui jusqu'au meilleur moment.
La quatrième tentation ! |
14 Alors Jésus, avec la puissance de l'Esprit, revint en
Galilée, et sa renommée se répandit dans toute la région.
Prédication :
Nous venons de lire le récit du
baptême de Jésus, selon l’évangile de Luc, plus le commencement et la fin de sa
généalogie, puis le récit des tentations, tout cela selon Luc. Dans chaque
épisode, il est question de Jésus, et de Fils de Dieu. C’est l’objet maintenant
de notre réflexion. Le baptême d’abord, au cours duquel une voix du ciel
proclame à la cantonade que Jésus est le Fils de Dieu.
Sœurs et frères, les voix qui
proviennent du ciel sont extrêmement encombrantes. Non pas qu’il soit déplacé
que le Dieu Tout Puissant se fasse entendre… qu’il se fasse entendre comme bon
lui semble est l’une des ses divines prérogatives. Ce qui est extrêmement
encombrant, c’est que les gens font de ces voix du ciel. Quels gens ? Une
voix du ciel, c’est une preuve irréfutable… et cela confère autorité à celui
qui l’a entendue et qui la brandit. Et si cela n’arrivait que lorsqu’il s’agit
de voix du ciel… cela arrive tout autant lorsqu’il s’agit de textes bibliques –
et pas bibliques seulement – que certains choisissent, et brandissent, comme si
l’obéissance ou la soumission de leurs semblables était due.
En lisant le récit du baptême de
Jésus selon Luc, me reviennent en mémoire les horreurs dont nous fûmes
récemment témoins et qui sont très divinement justifiées ; me reviennent
en mémoire les débats qui ont eu pour objet la question de la place des
minorités sexuelles dans notre Eglise, débats qui ne sont pas encore finis, et
l’on s’est jeté des versets bibliques à la figure comme autant de voix du ciel…
Et là-dessus me revient aussi le souvenir de Rabbi Yeoshoua ben Hannania et de
Rabbi Eliezer ben Hyrcanos… Rabbi Eliezer, sûr de son bon droit dans une
affaire juridique mais mis en minorité pourtant par ses pairs, en appela à une
voix du ciel. Le ciel parla pour lui donner raison ; mais Rabbi Yeoshoua
osa affirmer qu’on n’avait que faire d’une voix du ciel… et Rabbi Eliezer fut finalement
excommunié pour en avoir appelé à cette voix du ciel !
Qu’avons-nous à faire d’une voix du
ciel, même si elle proclame, s’agissant de Jésus : « Celui-ci est mon
fils… » ? Est-ce que nous pouvons, est-ce que nous devons, sans
hésiter, affirmer que Jésus est le Fils de Dieu, avec pour preuve irréfutable que la voix du ciel, Dieu
lui-même, le proclame le jour du baptême, et le répète au jour de la Transfiguration ?
Tout le début de cette prédication
vous prépare à une réponse négative. La voix du ciel ne saurait rien prouver… L’affirmation
que Jésus est le Fils de Dieu ne saurait reposer sur cette preuve. On ne peut
rien imaginer de plus autorisé qu’une voix du ciel. Alors l’affirmation que
Jésus est le Fils de Dieu ne peut reposer sur aucune preuve.
C’est notre point de départ. Mais
nous n’allons pas rejeter ni excommunier Luc l’évangéliste pour avoir osé
mettre en scène une voix du ciel. Luc raconte l’histoire de cette voix du ciel,
sans faire de ce qu’elle dit un argument ou une preuve… Jésus non plus
d’ailleurs ne le fait pas, et ne le fera jamais. Libre à cette voix, libre à
Dieu, de dire ce qu’il veut, à qui il veut, et quand il veut. Puissent aussi
les auditeurs, et les lecteurs, ne jamais oublier cette liberté de Dieu. Luc,
lui, ne l’oublie pas... que Jésus soit proclamé le Fils de Dieu va inspirer à
Luc au moins deux réflexions qu’il met ensuite en récit. Ces deux réflexions
ont été mises sous nos yeux par les textes que nous venons de lire.
Première de ces deux réflexions :
tout être humain est Fils de Dieu de par sa généalogie qui remonte jusqu’à
Adam… Autrement dit, pas besoin d’une voix du ciel pour indiquer cette divine
filiation. Et Luc le signale avec une certaine ironie lorsqu’il écrit que « on disait de Jésus
qu’il était fils de Joseph, fils de Héli, etc., fils d’Adam, fils de
Dieu. » Tous sont donc enfants de Dieu. Chacun d’entre nous n’est pas
moins le fils – ou la fille – de Dieu que Jésus. Il sera bien entendu très
simple d’objecter à ceci que la voix du ciel ne s’est pas publiquement
manifestée au moment d’autres baptêmes que celui de Jésus…
D’où la seconde réflexion de Luc, avec
le récit des tentations. Dans ce récit, c’est bien Jésus qui est mis en scène,
mais pas en tant que le Fils de Dieu. Il est tenté en tant que fils de
Dieu, il est tenté comme tout fils de Dieu, comme chacun d’entre nous. Lisons
seulement !
Bien entendu nous n’avons pas le pouvoir de transformer les pierres en
pain. Mais nous avons bien d’autres pouvoirs sur les choses inertes.
Transformer l’eau, ou l’atome, en électricité. Transformer le salpêtre en
poudre à canon. Transformer le minerai de fer en acier... Quel usage
faisons-nous de ces pouvoirs ? Notre satisfaction immédiate et
personnelle ? Ou une satisfaction différée et partagée ? Tout fils,
toute fille de Dieu, peut être ainsi tenté de se satisfaire, lui seul, sans
attendre. Jésus, pour lui-même, refuse clairement le pouvoir sur les choses,
mais l’exerce parfois, pour autrui : il multipliera les pains et calmera
les tempêtes.
Toute fille et tout fils de Dieu peut être tenté d’obtenir le pouvoir en
se soumettant, seconde tentation, et être aussi tenté de l’exercer en dominant.
Jésus résiste clairement à cette seconde tentation, pourtant il ne refusera jamais
de libérer de pauvres gens, ni d’affronter les puissants.
S’agissant de la voix du ciel dont nous parlons, c’est la troisième
tentation qui est la plus significative. Car ce qui est proposé à Jésus, c’est
de profiter pour lui-même de ce que le ciel, de ce que Dieu a dit, de lui, au
jour de son baptême. Ce qui est proposé à Jésus dans la troisième tentation,
c’est qu’il fasse de Dieu son serviteur, c’est qu’il subordonne Dieu à ses
envies de Fils de Dieu. Cela a été dit par la voix du ciel – ou encore c’est
écrit dans la Bible – et donc Dieu est obligé de le faire. Qui se positionne
ainsi fait de Dieu son obligé ! Jésus résiste très nettement à cette
tentation. Il est écrit : il donnera pour toi à ses anges… c’est la
proposition du diable… Il est dit : tu ne mettras pas à l’épreuve,
tu ne tenteras pas le Seigneur ton Dieu… c’est la réponse de Jésus. Ainsi, à ce
diable qui cherche à l’attirer sur la mauvaise pente de la preuve scripturaire,
Jésus répond qu’il ne saurait être question de preuves par la Bible qui
obligeraient Dieu et notre prochain, mais seulement d’une parole vivante qui
engage l’auditeur qui la reçoit. Sœurs et frères, Dieu n’est pas notre
obligé ; rien de ce qui est écrit dans la Bible n’oblige Dieu ; et
rien de ce qui est écrit dans la Bible ne peut autoriser quiconque à obliger
son prochain au nom de Dieu.
Jésus n’est donc pas le Fils de Dieu parce que la voix du ciel le
proclame au jour de son baptême, ni en raison de sa généalogie, ni en raison de
quoi que ce soit d’autre qui serait écrit de lui dans la Bible. Alors comment
est-il le Fils de Dieu ?
M. Dieu (reconnaissable à son tatouage) avec son fils. L'unité du Père et du Fils est ici parfaitement mise en évidence. |
Nous avons lu dans l’évangile de Luc le récit de la vie d’un homme,
Jésus, qui a résisté sa vie durant, aux tentations que nous venons de rappeler.
Nous sommes lecteurs de ce texte, dans une perspective communautaire. La
résistance de Jésus aux tentations, nous la disons singulière, unique,
inégalable… et peut-être même qu’intimement, certains d’entre nous la pensent
surhumaine, divine. Il se passe alors aussi que nous lisons l’évangile dans une
perspective personnelle, et que ce que nous lisons ne reste pas seulement littérature,
mais devient vivante parole.
Cette résistance aux tentations, c'est-à-dire la manière de vivre qui
fut celle de Jésus en son temps, toute exemplaire et surhumaine qu’elle soit, nous
espérons la faire nôtre, nous tâchons de
la faire nôtre en notre temps et avec les moyens qui sont les nôtres. Et c’est
en cela qu’il est le Fils de Dieu, dans la reconnaissance intime de nos cœurs,
dans nos vies personnelles, et dans notre vie communautaire, c'est-à-dire sur
le trépied de la foi. Mais en cela, nous n’entendons rien prouver ni rien
démontrer et il appartient à Dieu seul que ce que nous vivons, faisons et
montrons devienne vivante parole entendue par d’autres que nous. Amen