jeudi 7 janvier 2016

L'assassin court toujours (Romains 11,32-12,2), ou l’œil de Dieu



NGC 7293 "Eye of God"
De Dieu, nous n’avons aucune connaissance, car Dieu, nul ne l’a jamais contemplé. Nous n’avons de Lui que des interprétations, des images, des récits… une nouvelle image de Dieu est apparue tout récemment, en une de Charlie.

Le 7 janvier 2016, je me suis souvenu de The Corrs, groupe pop irlandais aux influences celtiques… pas forcément inoubliable, mais dont un refrain me reste dans la tête : « You’re forgiven, not forgotten. » En français cela donne « Vous êtes pardonné, pas oublié ». Je repense à ce refrain, parce que je repense à la une du premier Charlie d’après les attentats : « Tout est pardonné », et à la une de cette semaine : « Un an après, l’assassin court toujours. » Les commémorations de ces événements font polémique, la une de Charlie fait polémique… jusque dans l’Osservatore Romano. "Derrière la bannière trompeuse d'une laïcité intransigeante, l'hebdomadaire français oublie une fois de plus que des dirigeants religieux de tous les cultes appellent depuis des lustres à rejeter la violence commise au nom de la religion et qu'invoquer Dieu pour justifier la haine est un authentique blasphème" et "Le choix de Charlie Hebdo montre le triste paradoxe d'un monde de plus en plus soucieux d'être politique correct, au point d'en devenir ridicule mais qui ne veut pas reconnaître ou respecter la foi en Dieu de chaque croyant, quelle que soit sa religion" (c'est moi qui souligne). J'ai recueilli ceci en ligne, et je n'ai pas lu l'article en langue italienne. Aussi bien peut-être tomberai-je tantôt sous les flèches que je m'apprête à décocher...
Autre pièce de mon petit puzzle, je suis en ce moment en train de lire un ouvrage dont le titre est L’accueil radical. Ressources pour une Eglise inclusive, sorti en 2015 chez Labor et Fides. On trouve dans cet ouvrage des textes fort intéressants, certains très érudits, d’autres sages et parfaitement corrects (Oh, perfect radical correctness !), et diverses contributions militant pour l’accueil inconditionnel et radical des minorités sexuelles au nom de l’Evangile.

Ce qui frappe, c’est une étonnante convergence entre ces derniers textes et le propos de l’Osservatore Romano. La seconde citation est révélatrice, puisque, s’inscrivant en faux contre Charlie, elle suggère qu’on devrait « reconnaître ou respecter la foi en Dieu de chaque croyant, quelle que soit sa religion. » Ce type de rhétorique est typique du discours radical… et force est donc de constater que le radicalisme se porte bien, qui définit l’identité de l’homme – et celle de Dieu – à partir de la conviction intime d’une seule personne, conviction érigée en identité et réputée valable et respectable, parce que fondée en Dieu – en quelque chose de sacré – en un texte, etc. Exactement la même rhétorique que celle qui anime les textes militants que produisent les minorités sexuelles – et ceux qui appellent leur accueil inconditionnel et radical…

Au fond, si je comprends bien ce qu’on cite de l’Osservatore Romano, la foi en Dieu de chaque croyant doit être reconnue et respectée, sans prendre aucunement en considération son mode d’expression, ses buts, ses moyens. Certes. Oui… même la foi des assassins de Charlie, de l’hyper casher, du Bataclan et de Saint Denis ? Non. Trois fois non. Alors, bien sûr, l’Osservatore Romano prend soin de rappeler qu’invoquer Dieu pour justifier la haine est un authentique blasphème, et c’est vrai.

Mais si c’est vraiment vrai, pourquoi ne pas tâcher de comprendre l’image et se réjouir de la dénonciation du dieu du radicalisme, à la manière de Charlie, radicalisme que représente bien ce vieillard haineux et vindicatif qui se pare la face des attributs ordinaires de la sagesse et de la sainteté, récupère pour lui-même, s’en faisant une sorte d’auréole, les codes trinitaires de la rationalité théologique, qui transporte avec soi, sans les montrer à ceux à qui il se présente les instruments de la menace et de la violence, radicalisme qui s’enfuit, les mains et la robes tachés de sang, et le cœur plein de jouissance, radicalisme qui érige en valeurs ultimes l’affirmation de soi et le respect, et l'amour de soi, radicalisme qui ne recule devant aucune outrance, verbale, et pas seulement verbale, pour arriver à ses fins, à son accomplissement ? Aimez-moi les uns les autres comme je me suis aimé ! Radicalisme qui nie toute médiation traditionnelle et communautaire et qui fait de l’accomplissement de la propre personne la finalité de toute l’histoire, chacun messie et grand-prêtre de sa propre religion et ne se refusant rien, chaque autre victime expiatoire. Ce radicalisme, qui n’est pas seulement religieux ; Oncle Bernard – l’économiste Bernard Maris – assassiné à Charlie le 7 janvier 2015, l’avait repéré en économie, et nommé « capitalisme radical », frère siamois de l’inclusivisme radical, du catholicisme radical, de l’islamisme radical, du biblicisme radical et du laïcisme radical… et qui est l’une des manifestations du symptôme du monde présent.

Oui, l’assassin court toujours, et se porte fort bien.

Le 7 janvier, je me suis souvenu de l’épître de Paul aux Romains, une fois encore, une fois de plus me disant que traducteurs et commentateurs (sauf Barth) pillent et massacrent, et peut-être bien moi aussi en tentant de la traduire, mais dont les verset suivants sont, comme j'ai cru les comprendre, un antidote contre le radicalisme  :
Romains 11 32 Car Dieu a enfermé ensemble tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde.
33 O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu! Que ses jugements sont insondables et ses voies impénétrables!
34 Qui en effet a connu la pensée du Seigneur? Ou bien qui a été son conseiller?
35 Ou encore qui lui a donné le premier, pour devoir être payé en retour?
36 Car tout est de lui, et par lui, et pour lui. À lui la gloire éternellement! Amen.
Romains 12 1 Je vous exhorte donc, frères, au nom de la miséricorde de Dieu, à vous offrir vous-mêmes en sacrifice vivant, saint et agréable à Dieu : ce sera là votre culte spirituel, logique, normal, intelligent, véritable, raisonnable (conforme à son objet – Barth).
2 Ne vous conformez pas au monde présent, mais soyez transformés par le renouvellement de votre intelligence…
…pour que vous tâchiez de discerner ce qu’est la volonté de Dieu de ce qui est agréable, de ce qui plaît, de ce qui est ancien.

Prions :
Notre Dieu,
Oui, le 7 janvier 2016, l’assassin court toujours, et ce n’est pas Toi, Notre Dieu.
Cloué au bois on ne court pas.
L’assassin court toujours ; puissions-nous ne jamais courir à sa remorque.
Toi, nous t’en prions, renouvelle chaque jour nos intelligences, ouvre nos esprits, et nos cœurs.
Puissions-nous ne jamais chercher à nous justifier en faisant usage de Ton Nom ni des Saintes Ecritures.

Notre Dieu, fais-nous miséricorde.
Rends-nous, s'il se peut encore, aimants.

Amen
NGC 7293