dimanche 30 novembre 2014

Veillez ! Le tragique et la joie (Marc 13,33-37)

Marc 13
22 De faux messies et de faux prophètes se lèveront et feront des signes et des prodiges pour égarer, si possible, même les élus.
23 Vous donc, prenez garde, je vous ai prévenus de tout.
24 «Mais en ces jours-là, après cette détresse, le soleil s'obscurcira, la lune ne brillera plus,
25 les étoiles se mettront à tomber du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées.
26 Alors on verra le Fils de l'homme venir, entouré de nuées, dans la plénitude de la puissance et dans la gloire.
27 Alors il enverra les anges et, des quatre vents, de l'extrémité de la terre à l'extrémité du ciel, il rassemblera ses élus.
28 «Comprenez cette comparaison empruntée au figuier: dès que ses rameaux deviennent tendres et que poussent ses feuilles, vous reconnaissez que l'été est proche.
29 De même, vous aussi, quand vous verrez cela arriver, sachez que le Fils de l'homme est proche, qu'il est à vos portes.
30 En vérité, je vous le déclare, cette génération ne passera pas que tout cela n'arrive.
31 Le ciel et la terre passeront, mes paroles ne passeront pas.
32 Mais ce jour ou cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père.
33 «Prenez garde, restez éveillés, car vous ne savez pas quand ce sera le moment.
34 C'est comme un homme qui part en voyage: il a laissé sa maison, confié à ses serviteurs l'autorité, à chacun sa tâche, et il a donné au portier l'ordre de veiller.
35 Veillez donc, car vous ne savez pas quand le maître de la maison va venir, le soir ou au milieu de la nuit, au chant du coq ou le matin,
36 de peur qu'il n'arrive à l'improviste et ne vous trouve en train de dormir.
37 Ce que je vous dis, je le dis à tous: veillez.»

Marc 14
1 La Pâque et la fête des pains sans levain devaient avoir lieu deux jours après. Les grands prêtres et les scribes cherchaient comment arrêter Jésus par ruse pour le tuer.
2 Ils disaient en effet: «Pas en pleine fête, de peur qu'il n'y ait des troubles dans le peuple.»
3 Jésus était à Béthanie dans la maison de Simon le lépreux et, pendant qu'il était à table, une femme vint, avec un flacon d'albâtre contenant un parfum de nard, pur et très coûteux. Elle brisa le flacon d'albâtre et lui versa le parfum sur la tête.
4 Quelques-uns se disaient entre eux avec indignation: «À quoi bon perdre ainsi ce parfum?


Prédication :
            « Veillez ! », tel est l’impératif qui vient clore cette première partie de l’évangile de Marc. Juste avant cet impératif, il y a des textes qui parlent d’apocalypse, de fin des temps et, juste après, il y a la Passion. Quant à nous, nous en sommes au premier dimanche de l’Avent. « Veillez ! », c’est ce que commande Jésus. Nous allons nous demander sur quoi porte cet impératif.
Tout d’abord, nous remontons un peu le fil du texte. Nous trouvons toute une série d’enseignements, avec des listes de signes de la fin des temps. Faux messies, faux prophètes, catastrophes naturelles… Est-ce que l’impératif de veiller porte sur ces signes ? Le bon sens nous dit que ces signes sont plus ou moins fréquents mais récurrents dans l’histoire de l’humanité. En plus, même si ces signes semblent indiquer la proximité de la fin, Jésus précise que « ce jour et cette heure, nul ne les connaît, ni les anges du ciel, ni le Fils, personne sinon le Père. » Autrement dit, même le savoir du Fils sur les signes des temps est un savoir qui ne sait pas. Cela bien évidemment ne dispense personne d’être attentif aux signes des temps et d’agir où il le peut. Mais cela signale en même temps que l’impératif de veiller ne porte pas réellement sur eux. Veiller ne peut pas être une surveillance compétente au titre d’un savoir. Ce doit être tout autre chose, une activité peut-être, une disposition d’esprit sans doute, qui peut bien laisser de côté les signes de la fin.

            Revenons au texte. « Veillez ! », c’est l’impératif qui clôt la première partie de l’évangile de Marc. Lorsque nous continuons la lecture, nous nous trouvons à lire la Passion de Jésus Christ, qui va être trahi, livré, abandonné, jugé puis mis à mort. L’impératif de veiller porte aussi sur la Passion de Jésus Christ. Qui va veiller sur sa Passion ? Déjà, dans le fil du récit, lorsque par trois fois Jésus annonce sa Passion, il rencontre le déni de ses disciples. Et lorsqu’elle advient, ses disciples, invités à veiller au jardin de Gethsémanée ne sauront que s’endormir. Ils ne sauront que céder à la tentation de se mettre au repos lorsque le chemin du maître sera devenu pour eux trop aride, trop risqué. Ils ne sauront que s’absenter lorsque la fin sera connue.
           
            Pourtant, l’impératif de veiller est là, comme un commandement directement donné par Jésus Christ. C’est un commandement auquel aucun des disciples ne semble vraiment pressé obéir… Ce commandement interroge l’engagement des disciples dans des circonstances extrêmes, lorsqu’ils ne comprennent pas ce qui se joue, lorsqu’ils ne veulent pas de ce qui est pourtant inévitable, ou encore lorsqu’ils  ne peuvent rien contre ce qui est inéluctable. Et bien le commandement de veiller interroge la profondeur et le sérieux de l’engagement des disciples envers leur maître. Et lorsque les circonstances de la vie vont décider de la mort du maître, le commandement de veiller interroge les disciples sur le sens de leur vie. 

Et ça n’est pas tout. Revenons encore au texte. Ainsi parle Jésus : « Ce que je vous dis, je le dis à tous : Veillez ! » Marc l’évangéliste, le plus ancien des évangélistes, place ce commandement au milieu, voire même au cœur de son évangile. Ainsi les lecteurs et auditeurs de l’évangile se voient-ils destinataires d’un commandement nouveau : « Veillez ! ». Ce commandement les interpelle dans trois types de circonstances extrêmes de la vie : lorsqu’ils ne comprennent plus rien à ce qui se passe, lorsqu’ils ne veulent pas de ce qui est inévitable, lorsqu’ils ne peuvent rien contre ce qui est inéluctable. Il restera alors à veiller.
Mais obéir au commandement de veiller n’interviendra qu’après qu’on aura obéi à tous les autres commandements. Nul ne saurait veiller tant qu’il lui est possible d’agir. Le veilleur n’est pas un voyeur. Le voyeur n’agit en rien et jouit solitairement de la fin ; le veilleur cesse à la fin d’agir et s’ouvre dans sa veille à un possible commencement.
Ajoutons que notre Seigneur est bon de nous avoir donné ce commandement, parce qu’il donne réellement quelque chose à faire quand il n’y a plus rien à faire. Veillez, ordonne le Seigneur. Cela ne change rien à la suite de la vie de ce sur quoi vous veillez ; cela est le signe que vous n’êtes pas indifférents à cette vie, que vous participez encore à elle.
Veiller, c’est affirmer silencieusement, fut-ce impuissant face à la mort, que le dernier acte n’est jamais déjà joué, qu’un premier acte est toujours encore à venir.

Ayant maintenant médité sur le commandement de veiller qui est au cœur de l’évangile de Marc, nous pouvons nous demander quel sens a cette méditation le premier dimanche de l’Avent.
Il y aura encore trois dimanches et, ensuite, ça sera Noël. Nous fêterons la naissance de Jésus. Nous allons la fêter, c’est certain, et c’est une joie de la fêter. Mais puisque le commandement de veiller marque cette année l’entrée dans l’Avent, nous ne pouvons pas nous contenter de préparer cette fête comme si nous savions ce que nous fêtons. Nous ne le savons pas. Et même si nous savons quelle importance a l’histoire de cette naissance précise dans l’histoire de l’humanité, nous ne savons pas encore quelle importance elle doit prendre dans chacune de nos vies. Nous ne le saurons que lorsque nos vies s’achèveront. Nous allons donc fêter joyeusement ce que nous ne savons pas. Ce qui ajoute une dimension joyeuse à la dimension jusqu’ici tragique de la veille.


« Veillez ! », nous commande notre Seigneur. Et dans le temps de l’Avent, dans l’attente d’un Noël, et bien au-delà, cela nous apprend que le plus beau, nous ne savons pas quoi, mais le plus beau, reste à venir.