Marc 1
1 Commencement de l'Évangile de Jésus Christ Fils de
Dieu:
2 Ainsi qu'il est écrit dans le livre du prophète
Esaïe : « Voici, j'envoie mon messager en avant de toi, pour préparer
ton chemin. 3 Une voix crie : « Dans le désert, préparez le chemin du Seigneur, rendez droits
ses sentiers ! »
4 Jean le Baptiste parut dans le désert, proclamant
un baptême de conversion en vue du pardon des péchés.
5 Tout le pays de Judée et tous les habitants de
Jérusalem se rendaient auprès de lui ; ils se faisaient baptiser par lui
dans le Jourdain en confessant leurs péchés.
6 Jean était vêtu de poil de chameau avec une
ceinture de cuir autour des reins ; il se nourrissait de sauterelles et de
miel sauvage.
7 Il proclamait : « Celui qui est plus
fort que moi vient après moi, et je ne suis pas digne, en me courbant, de
délier la lanière de ses sandales. 8 Moi, je vous ai baptisés d'eau,
mais lui vous baptisera d'Esprit Saint. »
Esaïe 40
1 Réconfortez, réconfortez mon peuple, dit votre
Dieu,
2 parlez au cœur de Jérusalem et proclamez à son
adresse que sa corvée est remplie, que son châtiment est accompli, qu'elle a
reçu de la main du SEIGNEUR deux fois le prix de toutes ses fautes.
3 Une voix proclame : « Dans le désert
dégagez un chemin pour le SEIGNEUR, nivelez dans la steppe une chaussée pour
notre Dieu. 4 Que tout vallon soit relevé, que toute montagne et
toute colline soient rabaissées, que l'éperon devienne une plaine et les mamelons,
une trouée ! 5 Alors la gloire du SEIGNEUR sera dévoilée et
tous les êtres de chair ensemble verront que la bouche du SEIGNEUR a parlé. »
6 Une voix dit : « Proclame ! »,
l'autre dit : « Que proclamerai-je ? » - « Tous
les êtres de chair sont de l'herbe et toute leur constance est comme la fleur
des champs :
7 l'herbe sèche, la fleur se fane quand le souffle
du SEIGNEUR vient sur elles en rafale. Oui, le peuple, c'est de l'herbe : 8
l'herbe sèche, la fleur se fane, mais la parole de notre Dieu subsistera
toujours ! »
(…)
12 Qui a jaugé dans sa paume les eaux de la mer,
dans son empan toisé les cieux, tassé dans un boisseau l'argile de la terre,
pesé les montagnes sur une bascule et les collines sur une balance ?
Méditation :
En
renvoyant son lecteur au 40ème chapitre du prophète Esaïe, Marc le
renvoie à une époque où les fils d’Israël peinent sous domination Babylonienne.
Le dieu dont il faut alors préparer les chemins et rendre droits les sentiers
est le dieu Mardouk, probablement, le grand dieu de Babylone. Et voici comment
on procède pour préparer les chemins de ce dieu : une fois par an, sa
colossale statue est extraite du temple et processionnée autour de la ville. Des
esclaves, c'est-à-dire des ennemis vaincus, doivent d’abord aménager un beau
chemin pour la procession de cette statue ; ils doivent éventrer des
collines, combler des ravins, et, le jour de la procession, ils doivent se
charger pour de vrai de la statue du dieu de leurs dominateurs, donc se charger
aussi symboliquement de ce dieu qui a vaincu leur dieu. La métaphore politique
et théologique est suffisamment évidente pour que nous ne nous y attardions
pas.
Le peuple
hébreu, fidèle à son Dieu, s’est sans doute interrogé pendant l’exil, et après
l’exil, sur la signification de tout cela. Il mettra ainsi dans la bouche du
prophète Esaïe, ainsi que dans son cœur, l’idée que son Dieu, qu’il avait déjà
réussi à penser comme un, est l’unique Dieu – raison pour laquelle on ne devra
plus du tout prononcer son nom… De cette unicité, nous avons ici la trace
puisque quelques-uns des versets que nous avons lus font de lui le créateur et
l’ordonnateur de toutes choses – un peu comme on peut le lire dans certains
Psaumes ou dans la fin du livre de Job – ordonnateur en particulier de cette
domination sous laquelle le peuple hébreu a été, et ordonnateur de la fin de
cette domination.
Ceci étant
dit, l’idée de ce Dieu un et unique porte encore en elle les marques de son
histoire. Parmi ces marques, justement, le souvenir de ces processions pénibles
et humiliantes. Souvenir que l’on peut ainsi énoncer, sous la forme d’une
question : pourquoi avons-nous dû être chargés du dieu des autres ? Cette
question, exprimée à la voix passive, peut aussi être exprimée à la voix
active : pourquoi charge-t-on les autres avec notre propre dieu ?
Et nul doute que, très tôt chez
les Hébreux, certains se sont réclamés de l’idée de l’unicité de dieu pour
imposer leurs vues et leurs usages à toutes sortes de gens, pendant que d’autres, se souvenant de l’exil,
ont préféré une manière plus douce, laissant le choix à chaque personne de se
mettre, ou non, sous le joug de dieu. Ceux qui furent un jour dominés
doivent-ils, un autre jour, devenir dominateurs ?
En
renvoyant son lecteur au 40ème chapitre du prophète Esaïe, Marc
l’évangéliste pose d’emblée à son lecteur ces mêmes genres de question. Quel
dieu portes-tu si péniblement, qui n’est pas celui que tu as choisi ? Quel
dieu fais-tu porter à ton semblable, que sans toi il ne choisirait pas ?
Ce qui est
clair, pour Marc, c’est que Jean-Baptiste ne se prêche pas lui-même. Il ne fait
ni temple ni école. C’est une sorte de héraut et de champion de la grâce et de
la liberté. Ascète solitaire, adepte de l’extrême frugalité, il ne fait peser
sur personne le poids de ses propres choix. A quoi il faut ajouter qu’il en
annonce un autre – nous savons que cet autre est Jésus Christ – qui, lui-même,
ne s’annoncera pas tant lui-même qu’il baptisera d’Esprit Saint, comme nous
l’avons lu.
Or, ce
baptême d’Esprit Saint n’est aucunement codifié dans la suite de l’évangile de
Marc (les grandes codifications de la présence de l’Esprit Saint figurent en
Actes, ou dans les Corinthiens). Qu’est-ce à dire ? Nul doute qu’il ne
soit en action lorsque Jésus agit. Et bien, puisqu’il l’est, nous ne pouvons
pas le voir autrement que comme nous venons de tenter de le penser. L’Esprit
Saint est en action lorsque l’être humain cesse de peiner sous le joug de dieux
qui ne sont pas ceux de son choix (guérisons et enseignements de Jésus iront
largement dans ce sens). L’Esprit Saint est en action aussi lorsque l’être
humain se refuse à charger autrui du joug de dieux qui ne sont pas ceux de son
choix et l’en libère, ou au moins lui propose d’en être libéré.
Ces deux perspectives de l’action
humaine, libérer d’une part et se refuser à asservir d’autre part, constituent
une sorte de socle permanent de la Bonne Nouvelle.