Jean 20
19 Le soir de ce même jour qui était le premier de la
semaine, alors que, par crainte des Juifs, les portes de la maison où se
trouvaient les disciples étaient verrouillées, Jésus vint, il se tint au milieu
d'eux et il leur dit: «La paix soit avec vous.»
20 Tout en parlant, il
leur montra ses mains et son côté. En voyant le Seigneur, les disciples furent
tout à la joie.
21 Alors, à nouveau,
Jésus leur dit: «La paix soit avec vous. Comme le Père m'a envoyé, à mon tour
je vous envoie.»
22 Ayant ainsi parlé, il
souffla sur eux et leur dit: «Recevez l'Esprit Saint;
23 ceux à qui vous
remettrez les péchés, ils leur seront remis. Ceux à qui vous les retiendrez,
ils leur seront retenus.»
Prédication :
Pentecôte,
nous pensons bien évidemment au second chapitre du livre des Actes des Apôtres,
dont la lecture fut liturgiquement faite au commencement de ce service. N’oublions
pas que, dans la suite du livre des Actes, tout ce qui sera entrepris pour
canaliser institutionnellement l’Esprit Saint sera de fait débordé par une
sorte de flot impétueux…
Pentecôte
aussi, nous pensons à la diversité des dons de l’Esprit tels que Paul les
rappelle aux Corinthiens, et nous avons lu aussi ces quelques beaux versets.
N’oublions pas que ces versets, 12ème chapitre, précèdent de peu le
13ème chapitre : les dons de l’Esprit ne dispensent pas de
l’amour. L’Eglise de Corinthe fut Eglise de l’Esprit et Eglise du désamour. Les
dons de l’Esprit, sans amour, c’est du flan…
L’Esprit
Saint dans ces deux textes apparaît comme une puissance débordante d’inventivité.
Il singularise à l’extrême celui sur qui il se pose. Il se pose où il veut se
poser. Pensons-y : nul n’est jamais à même de dire si l’Esprit de Dieu s’est
posé sur tel ou tel. Il s’agit de l’Esprit de Dieu, et nous ne sommes personne
pour limiter la liberté de Dieu.
Qui a l’Esprit de Dieu ? Mauvaise
question ! La question qui nous est posée le jour de Pentecôte – en fait
elle nous est posée chaque jour – est celle-ci : comment va-t-on vivre
avec cet Esprit ? Nous méditons la réponse de l’évangile de Jean.
Dans
l’évangile de Jean, on dit de l’Esprit qu’il est « avocat »,
« réconfort », « compagnon » (il est difficile de traduire
le mot Paraclet [παράκλητος]), « ami », « intercesseur »…
L’évangile de Jean le nomme aussi « esprit de vérité ». Et dans
les versets que nous venons de lire, la vérité du découragement des disciples
après la mort de leur maître, vérité de leur impression de délaissement et de
solitude, vérité de la peur qu’ils ont pour leur propre vie…
L’apparition
de leur maître, nous l’avons lu, est là pour leur rappeler qu’il s’agit bien
d’aller au-delà de toutes ces peurs, et que ça n’est pas entre soi et derrière
des portes closes que la vie se fait, ni que l’Evangile s’annonce.
Il s’agit bien sûr d’abord de
trouver la paix, et ensuite de sortir. Ils sont envoyés, et ils ne sont pas
envoyés seuls : l’Esprit leur est donné. Avec une consigne :
« Ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis ;
ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront retenus. »
Et là, soudain, quelque chose
nous trouble. Remettre des péchés à certains ? Les retenir à d’autres ?
Mais à qui, et pourquoi ? Lisons, et méditons.
Jésus envoie ses disciples en
disant « comme le Père m’a envoyé ». Le Père a envoyé le Fils pour
que leurs péchés soient remis à certains, oui. C’est tout à fait clair dans
l’évangile de Jean. Les rencontres que Jésus fait dans cet évangile sont autant
d’occasion de mises en question, de libérations, de guérisons. Jésus remet à
certains leurs péchés, c'est-à-dire qu’il les rend libres là où ils étaient
captifs, légers là où ils étaient alourdis, vivant là où ils étaient morts. Ce
qui était jusque là devant ces gens, comme des montagnes, se trouve soudain
derrière eux.
Lorsque mon péché m’est remis,
je peux le laisser derrière moi comme une vieille valise trop lourde dont le
contenu ne me sert plus à rien… Et Jésus a été envoyé par le Père pour cela, pour
que des péchés soient remis à certains, et il envoie ses disciples pour cela et
nous en sommes heureux, nous à qui bien des péchés ont été remis et qui, je
l’espère, avons remis leurs péchés à bon nombre de nos semblables. « Ceux
à qui vous remettrez leurs péchés, ils leurs seront remis… », tel est le
bonheur du disciple du Christ, telle est sa tâche aussi.
Ce n’est pourtant que la
première partie de la phrase que prononce Jésus. La seconde partie est bien
plus délicate : « Ceux à qui vous les retiendrez, ils leur seront
retenus. » Or, nulle part dans l’évangile de Jean on ne trouve que le Père
a envoyé le Fils pour que des péchés soient retenus à qui que ce soit. L’amour
de Dieu, dont l’évangile de Jean parle à merveille, n’exclut personne. Si donc
c’est bien l’amour qui meut le disciple de Jésus, comment retiendrait-il ses
péchés à qui que ce soit ? Comment, et pour quelle raison, Jésus
enfermerait-il définitivement qui que ce soit dans ses péchés ? On ne
comprend pas et surtout on ne lit jamais cela dans tout le récit de Jean. On y
lit ceci : « Maintenant, vous dites ‘nous voyons’, (et) votre péché
demeure. » (Jn9,41) Jésus le dit à ceux qui se réclament d’un savoir,
d’une science ou d’une révélation et qui refusent obstinément de se réjouir
d’une simple guérison…Mais il leur dit « maintenant » ; il ne
leur dit pas « toujours… »
L’on ne voit jamais, à aucun
moment de l’évangile de Jean, Jésus retenir ses péchés à qui que ce soit. Que
fera donc le disciple de Jésus ? Condamnera-t-il, alors même que son
maître ne l’aura jamais fait ? Se réclamera-t-il de l’Esprit Saint pour
barrer la route à certains de ses semblables ?
Peut-être bien que le « tout
amour » si caractéristique de l’évangile de Jean s’est heurté à une
réalité peu reluisante, comme à Corinthe. C’est possible. Les communautés
rassemblées autour des traditions attribuées à Jean, autour de cet extrême de
l’amour, ont dû connaître des difficultés insurmontables et des conflits
d’autant plus terribles qu’ils se déroulaient sur le fond de la prédication de
la plus grande des vertus. Voyez-vous, si c’est de l’amour, ça ne peut pas retenir
pour toujours les péchés d’autrui. Et si ça entend les retenir pour toujours,
c’est pas de l’amour.
Il y a plus et mieux à dire.
Retenir les péchés, comme nous l’avons lu, ça n’est pas proclamer la
condamnation d’autrui à être pour toujours englué dans ce qu’il est. Ça n’est
pas abandonner autrui à lui-même. Retenir, le verbe grec, n’est pas un verbe
d’abandon, mais d’engagement, pas un verbe de condamnation, mais d’élection. Retenir
les péchés d’autrui c’est cheminer avec autrui, autant qu’autrui le désire, autant
qu’on le peut soi-même, avec la patience et l’impuissance de l’amour…
C’est pourquoi il est de la
responsabilité du disciple de Jésus, le jour de Pentecôte, de s’interroger sur
ses peurs, sur son appétit de puissance, sur sa pratique, sur son
intransigeance, sur son rapport aux Saintes Ecritures, sur son besoin d’avoir
raison devant ses semblables et devant Dieu… Le disciple de Jésus va
s’interroger sur tout ce qui l’empêche, lui, d’avancer vers autrui, et sur ce
qui l’empêche, lui, de laisser avancer autrui sur un chemin de foi particulier.
Il en va de sa responsabilité.
Frères et sœurs, quels compagnons et compagnes
de route sommes-nous, et quels compagnons
et compagnes auront nous été ? Dieu le sait et, sans son amour,
nous sommes perdus. Dieu le sait et sans son Esprit nous sommes perdus…
Alors au moment où nous lisons
que Jésus souffla sur eux, il nous faut prier qu’il souffle aussi sur nous,
qu’il nous donne son Esprit. « Seigneur accorde-moi d’aimer. Que ton
Esprit d’amour m’y pousse » Amen