dimanche 22 juin 2014

Vers un bon usage du nom de l'Eternel (Osée 4,1)

Genèse 26
12 Isaac fit des semailles dans ce pays et moissonna au centuple cette année-là. Le SEIGNEUR le bénit
13 et il devint un grand personnage; il continua à s'élever jusqu'à atteindre une position éminente.
14 Il devint propriétaire d'un cheptel de petit et de gros bétail, et d'une nombreuse domesticité. Les Philistins en furent jaloux,
15 ils comblèrent tous les puits qu'avaient creusés les serviteurs de son père, au temps de son père Abraham, et les remplirent de terre.
16 Abimélek dit à Isaac: «Va-t'en loin de nous car tu es devenu beaucoup plus puissant que nous.»
17 Isaac partit de là et campa dans l'oued de Guérar et y habita.
18 Isaac creusa de nouveau les puits qu'on avait creusés au temps d'Abraham son père et que les Philistins avaient comblés après la mort d'Abraham. Il leur donna les mêmes noms que son père leur avait donnés.
19 Les serviteurs d'Isaac creusèrent dans l'oued et trouvèrent là un puits d'eaux vives.
20 Les bergers de Guérar se querellèrent avec les bergers d'Isaac en leur disant: «Ces eaux sont à nous.» Il appela ce puits Eseq parce qu'ils lui avaient fait échec.
21 Ils creusèrent un autre puits qui fut aussi objet de querelle ; il l'appela Sitna.
22 De là il se déplaça pour creuser un autre puits qui ne fut pas objet de querelle et qu'il appela Rehovoth en disant: «Maintenant en effet, le SEIGNEUR nous a laissé le champ libre et nous avons eu des fruits du pays.»
23 De là, il monta à Béer-Shéva.

Osée 4 (Louis Segond)
1 Écoutez la parole de l'Éternel, enfants d'Israël ! Car l'Éternel a un procès avec les habitants du pays, Parce qu'il n'y a point de vérité, point de miséricorde, Point de connaissance de Dieu dans le pays.

Osée 4 
1 Écoutez la parole de l'Éternel, enfants d'Israël ! Car [il y a querelle au sujet de  l’Eternel entre les habitants du pays] ; [c’est] qu'il n'y a ni amour de la vérité, ni amour de la vie, ni connaissance de dieu  dans le pays.


Prédication :


Quelque part au proche Orient, dans un coin de pays qui borde le désert, scène pastorale autour du puits. Au soir d’une longue journée qui a vu les troupeaux se déplacer sans cesse, parce que les pâturages sont maigres et qu’il faut éviter de les épuiser, les bergers et les bêtes se retrouvent autour du puits… On puise l’eau les uns pour les autres, on échange des nouvelles dans une ambiance joyeusement communautaire.
            Autour du puits cependant tous les bergers ne sont pas ne sont pas du même clan, voire pas de la même tribu ou, pire encore, ne sont pas de la même ethnie. "Les eaux sont à nous !" , vont crier les uns à la face des autres. Le ton va monter, la querelle va éclater, devenir une échauffourée, puis une rixe. C’est à coups de bâton, de pierres et de couteaux que ça va se finir. Les troupeaux vont être affolés, dispersés, et quelques-uns des bergers ne se relèveront pas. Il y aura ensuite vengeance et représailles, vous pouvez l’imaginer, tout comme dans le texte que nous avons lu, expéditions punitives, puits souillés, puits comblés…

Pourquoi ce préambule ? Vous avez repéré le mot querelle dans les quelques versets de la Genèse, une querelle qui peut aller jusqu’à la rixe. Et vous avez repéré aussi le mot querelle dans le verset du prophète Osée, tel que je l’ai traduit.
C’est le même mot, sauf que vous n’imaginez pas l’Eternel-Dieu en berger sale et pouilleux en train de hurler des insanités à la face d’autres bergers. Vous imaginez plutôt l’Eternel sous les traits du juge aimant qui siège : il examine, il délibère, il condamne et fait appliquer la peine, éducative évidemment, avec sévérité et miséricorde, parce qu’il est l’Eternel et aussi le Dieu d’Amour... Image propre et correcte de l’Eternel que celle-ci, tout comme le traduit Louis Segond : l’Eternel a un procès avec les habitants du pays... Pourtant, il n’est pas souhaitable de s’en tenir à une image si convenue. Nous savons tous que les humains sont capables du pire lorsqu’il s’agit de l’Eternel, lorsqu’il s’agit de Dieu.
Dans la déclaration du prophète Osée il y a quelque chose d’une grande brutalité. A y regarder de près, à scruter la langue hébraïque, ça n’est pas simplement Monsieur l’Eternel Dieu qui fait un procès aux habitants du pays. C’est aussi – et  c’est surtout – les habitants du pays qui ont entre eux querelles, altercations, et rixes… au sujet de l’Eternel. Ça se bagarre, ça s’entretue, au nom de l’Eternel. On fait de forts mauvais usages du nom de l’Eternel. Au nom de l’Eternel il y aura des insultes et des coups, il y aura des morts parmi les habitants du pays.
Nous le savons tous bien : lorsque la violence triomphe, l’Eternel est dans chacun des camps qui s’opposent. Qu’il s’agisse d’eau, ou de bénédiction, le nom de l’Eternel est dans toutes les bouches. C’est le nom par lequel on se justifie, par lequel on se condamne, par lequel on s’entre-déchire.

Le prophète Osée distingue trois mauvais usages du nom de l’Eternel.  Nous allons les expliquer, non pas pour faire les malins et condamner, nous nous condamnerions nous-mêmes, mais pour tenter d’envisager de bons usages du nom de l’Eternel.

Premier mauvais usage : il n’y a pas de vérité, nous suggère la traduction de Louis Segond. Ici nous allons donner corps au mot hébreu que Segond traduit par vérité.
C’est un mot de trois lettres. La deuxième et la troisième lettre de ce mot hébreu écrivent le mot « mort ». Et si, en langue hébraïque, j’ajoute la première lettre de l’alphabet, le aleph, la lettre qu’on écrit et qui ne s’entend qu’à peine lorsqu’on parle, cela me donne le mot « vérité ». La vérité, c’est la mort plus l’écriture de cette première lettre. Celui qui écrit cette première lettre sur le front d’une chose marquée par la mort ramène cette chose à la vie. Celui qui efface la première lettre de la vérité vivante ôte la vie à la vérité, et la transforme en mensonge.
Or, il y a querelle, rixe, mort d’homme… et cela arrive parce que les humains ne veulent rien savoir de cette première lettre, si fragile, si ténue. Les humains ne veulent rien savoir de ce presque rien qui sépare la mort de la vie. Ils préfèrent, c’est bien plus facile, ça va bien plus vite, ils préfèrent réciter plutôt que lire, détruire plutôt que créer, effacer plutôt qu’écrire.
La vérité est si fragile, si précaire, toujours si menacée… ce qui manque aux humains n’est pas la vérité, mais l’amour de la vérité. L’amour de la vérité non pas pour préserver ce qu’on prétend tenir, mais l’amour de la vérité pour donner vie à ce qui se croit mort, c'est-à-dire pour apprendre à recevoir, à apprécier ce qui se vit.
Il n’y a pas d’amour de la vérité, dit le prophète Osée, et donc querelle avec le nom de l’Eternel, bagarres autour du nom de l’Eternel et rixes entre les humains. Et nous, nous disons : puisse celui qui parle de l’Eternel en parler dans l’amour de la vérité, puisse-t-il rechercher, trouver et écrire cette première lettre qui, lorsqu’on l’écrit, fait passer du mensonge à la vérité, de la récitation à la parole, de la mort à la vie.

Deuxième mauvais usage du nom de l’Eternel : il n’y a point de miséricorde, nous suggère la traduction de Louis Segond.
Pour expliquer ceci, il nous faut imaginer un homme qui danse. Vous n’êtes peut-être pas familier des formes les plus joyeuses du judaïsme, des formes naïves, dansantes, festives du judaïsme hassidique… mais vous êtes peut-être familiers de Zorba le Grec, et Zorba danse ! Il danse dans toutes les circonstances de sa vie. Il danse évidemment au soir de ses noces, parce qu’il est vivant et heureux. Il danse aussi devant les ruines fumantes de son vieux village incendié et dont il est le seul survivant. Pourquoi danse-t-il ? Il danse, dans toutes les circonstances de sa vie, parce qu’il est vivant. Il recommence ses pas de danses tant dans la louange que dans la désolation, parce que danser c’est mouvoir son corps et que mouvoir son corps c’est vivre. Il danse parce que la vie est tout ce qu’il a, parce qu’elle lui est donnée et qu’il l’aime.
Aussi bien, pour le prophète Osée, ce qui manque aux habitants du pays n’est pas la miséricorde mais l’amour de la vie. Faute d’amour de la vie ils affirment que l’eau est à eux, que l’Eternel-Dieu la leur a donnée et qu’ils ne la partageront avec personne. Et parce qu’ils affirment que l’Eternel la leur a donnée, ils vont se déchirer…
Il n’y a pas d’amour de la vie, dit le prophète, et donc querelle avec le nom de l’Eternel, autour du nom de l’Eternel, entre les humains. Et nous, nous disons : puisse celui qui parle de l’Eternel en parler en amoureux de la vie, puisse-t-il aimer la vie, comme il aime la vérité. Puisse celui qui parle de l’Eternel, aimer la vie, la vie pas seulement la sienne, mais la vie tout court, en sa vérité crue, la vie en ses semblables, la vie en ceux qui sont différents de lui, la vie en toutes circonstances. Et si c’est ainsi qu’il aime la vie son amour de la vie sera contagieux.

Troisième mauvais usage : il n’y a pas de connaissance de Dieu. C’est le troisième mauvais usage, ou si vous préférez ce sera le troisième bon usage. Il nous faut bien comprendre que ce troisième vient après les deux premiers. Sans amour de la vérité, pas d’amour de la vie, et sans amour de la vie, pas de connaissance de Dieu, pas de pénétration de Dieu propose un traducteur.
On ne pénètre pas le mystère et la vérité de Dieu sans amour de la vérité ni sans amour de la vie. Et ces deux amours ne sont pas des sentiments abstraits, mais des engagements. Il s’agit d’amour concret, tout comme nous sommes partis de situations concrètes. Sans la vérité crue de ce que nous sommes, et sans un réalisme marqué par l’ordinaire de la vie, de la vie joyeuse et de la vie affreuse parfois, parler de Dieu n’est que parole vide. Sans un engagement concret, parler de Dieu n’est que du vent. On n’entre pas dans le mystère de Dieu autrement qu’on entre dans le mystère de la vie. Il n’y a pas de mystère de Dieu autre que la mystérieuse grâce d’être aujourd’hui encore en vie. Et nous disons : puisse celui qui parle de l’Eternel, qui parle de Dieu, en parler en paroles vraies et plus encore en engagements, en actes concrets.

Amour de la vérité, amour de la vie, connaissance de Dieu, dans cet ordre et point autrement. Alors le peu d’eau qu’on aura, on le partagera. On dira bienvenue au lieu de va-t-en ! On ouvrira les bras au lieu de serrer les poings. Et plutôt que de compter sur ce qu’on prétend posséder, on ne comptera pour vivre que sur la grâce. Ainsi ne manquera-t-on jamais de rien. Et si là-dessus le nom de l’Eternel vient à être prononcé, ce ne sera pas en vain. Amen

Aucun commentaire: