samedi 31 mai 2025

Méditations sur l'unité (Jean 17,20-26)

Jean 17

20 «Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi:

 21 que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé.

 22 Et moi, je leur ai donné la gloire que tu m'as donnée, pour qu'ils soient un comme nous sommes un,

 23 moi en eux comme toi en moi, pour qu'ils parviennent à l'unité parfaite et qu'ainsi le monde puisse connaître que c'est toi qui m'as envoyé et que tu les as aimés comme tu m'as aimé.

 24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant la fondation du monde.

 25 Père juste, tandis que le monde ne t'a pas connu, je t'ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé.

 26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux.»

Prédication

            Dans l’évangile de Jean, au moment de la Passion – avant l’arrestation de Jésus – nous avons un immense discours, chapitre 14 à 17, qui se finit par une prière dont nous venons de lire les derniers mots. Jésus prie le Père, une prière de demande, tout le chapitre 17, après quoi il sort avec ses disciples et se rend au-delà du torrent du Cédron, là ou il va être arrêté. On nous propose de lire la seconde partie de cette prière… et pourquoi ?

            Cette prière contient une demande particulière, et particulièrement connue,  « qu’ils soient un ». Ils ? Tous ceux qui croiront en Jésus… et nous en faisons partie probablement. Et pourquoi faudrait-il qu’ils soient un ? « Afin que le monde croie que tu m’as envoyé », précise Jésus. Alors, si nous comprenons bien, une conversion du monde est suspendue à cette conviction, qu’ils soient – que nous soyons – un. Pourquoi pas… sous la réserve que nous puissions préciser ce que signifie ce un, le un de « qu’ils soient un afin que le monde croie que tu m’as envoyé ».

            Nous allons tâcher de préciser ce qu’il en est de ce un mais, auparavant, je voudrais vous raconter quelque chose que j’ai vécu, il y a déjà longtemps, dans un contexte qui était – qui tâchait d’être – œcuménique. Ce verset avait été assez évidemment choisi comme support d’une méditation commune qui avait pour message que la désunion entre les confessions chrétiennes était responsable de cet état du monde dans lequel on voyait les humains en masse ignorer la foi chrétienne et se jeter les uns contre les autres dans toutes sorte de conflits. Ah, si nous étions – si vous étiez tous unis, le monde ne pourrait pas ne pas se convertir. Unis, mais sous quelle bannière, je vous prie ? Et celui qui parlait imaginait clairement que c’était sous sa bannière que tous auraient dû être unis… et je ne dis pas de quel bord était ce prédicateur, car les remarques que nous pourrions faire maintenant valent pour tous, pour chacun. Les modèles d’unité sous-tendus ici n’ont que très peu de valeur au regard de l’unité selon l’évangile de Jean.

 

            L’unité dans l’évangile de Jean, c’est l’unité du verbe et de Dieu (Prologue), c’est l’unité du verbe et de la chair (Prologue aussi), c’est l’unité du Père et du Fils, unité – toujours la même – dont nous avons parlé encore récemment, dans la réalité de laquelle si vous en avez un, vous avez l’autre, non pas une petite communication d’un bout de divin et d’un morceau de Christ, mais la totalité. Par exemple, si vous voulez disposer de Dieu, totalement et intégralement, regardez à l’humanité – à la chair – et vous aurez tout, en raison de ces croisements de paires, qui fon ensuite des tierces, et qui forment cette sorte de boule de signifiants, boule de langage gigantesque en laquelle tout est signifié. Tel est le un de l’évangile de Jean.

            De ce un nous allons retenir seulement ceci : deux sont un, si vous en avez un, vous aurez l’autre. C’est le cas le plus simple du « que tous soient un… » et à nous de nous demander si nous avons l’expérience de cette unité, que nous pouvons tout à fait décrire comme une unité de fusion  Sommes-nous – suis-je – disposé à vivre cette unité dans le cadre de ma vie spirituelle ? Les disciples de Jésus sont-ils eux-mêmes bien disposé à cet égard ? Et nous avons Pierre qui regardera Jean un peu de haut, après la résurrection, et Jésus lui dira – à Pierre – « si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je revienne, qu’est-ce que ça te fait ? » Chaque être humain est unique, et peut-être que seule une longue vie communautaire de moine ou de moniale, ou une longue aventure de couple, permet d’approcher concrètement de ce un dont nous essayons de parler.

 

            Et nous n’y parvenons pas trop bien. Comme si ce un se dérobait lorsque nous en cherchons une déclinaison concrète dans le but d’une mise en œuvre et d’un résultat qui se compterait en nombre de conversions. Cette lecture est possible mais elle s’oriente vers une certaine violence, la violence de se voir assigner des manières d’être et de prier que vous n’auriez pas choisies, des manières dans lesquelles la parole est confisquée par quelqu’un – le un – et imposée à tous les autres. Cela n’ayant que très peu à voir avec ce dont nous parlons : le un dont parle Jésus exige la réciprocité, il ne se réalise qu’en tant que un plus un.

 

            Mais il ne se réalise pas. Bien sur il est l’horizon du message de l’évangile de Jean. Mais il ne se réalise pas. Si peu, peut-être que ça n’est pas pas du tout, mais suffisamment peu pour que sa réalisation soit l’objet d’une prière, d’une prière adressée au Père par Jésus. L’unité entre les disciples, entre les croyants, va si peu de soi qu’elle résiste aux enseignements de Jésus, et qu’elle doit faire l’objet d’une prière.

            Or lorsque Jésus prie le Père, le un qu’ils forment ensemble est brisé : on n’a plus l’un par l’autre. Jésus brise cette unité. Et je crois que Jésus la brise intentionnellement pour se mettre, si nous comprenons bien, du côté des croyants. La mutilation de l’unité du Père et du Fils se fait au bénéfice des croyants… Ce dont les humains ne sont pas capables, Jésus fait mieux que le leur proposer, il le leur donne. Il se résorbe, il se donne en le leur donnant. Ce qui fait que l’unité n’est plus un point sur un horizon inatteignable, mais un chemin qui pointe vers cet horizon. Comme Jésus se donne aux croyants en priant le Père qu’ils soient un, des croyants se consacreront à leurs semblables non seulement en priant pour eux mais aussi – et disons surtout – en produisant des paroles et des actes conséquents.

            Et à ce point de notre méditation nous pouvons repérer, et signaler, que, tout proche du UN, de l’unité générale tellement travaillée, tellement méditée par l’évangile de Jean, tout proche du UN il y a un autre mot, tout aussi fort… et c’est le mot amour. Nous n’allons pas tout reprendre aujourd’hui, nous allons seulement affirmer que s’unir au sens du UN de l’évangile de Jean, et aimer de cet amour qu’on appelle parfois agapè sont une seule et même réalité.

             

            24 Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient eux aussi avec moi, et qu'ils contemplent la gloire que tu m'as donnée, car tu m'as aimé dès avant la fondation du monde. 25 Père juste, tandis que le monde ne t'a pas connu, je t'ai connu, et ceux-ci ont reconnu que tu m'as envoyé. 26 Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux, et moi en eux.»