samedi 5 avril 2025

Et le verbe est devenu chair (Jean 1,1-14) Pour la mémoire de Michel

 Jean 1

1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était infiniment proche de Dieu, et le Verbe était Dieu.

 2 Il était au commencement infiniment proche de Dieu.

 3 Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.

 4 En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes,

 5 et la lumière brille dans les ténèbres, et les ténèbres ne l'ont point comprise.

 6 Il y eut un homme, envoyé de Dieu: son nom était Jean.

 7 Il vint en témoin, pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous croient par lui.

 8 Il n'était pas la lumière, mais il devait rendre témoignage à la lumière.

 9 Le Verbe était la vraie lumière qui, en venant dans le monde, illumine tout homme.

 10 Il était dans le monde, et le monde fut par lui, et le monde ne l'a pas reconnu.

 11 Il est venu dans son propre bien, et les siens ne l'ont pas accueilli.

 12 Mais à ceux qui l'ont reçu, à ceux qui croient en son nom, il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu.

 13 Ceux-là ne sont pas nés du sang, ni d'un vouloir de chair, ni d'un vouloir d'homme, mais de Dieu.

 14 Et le Verbe est devenu chair

 

Prédication :

            Nous arrêtons ici la lecture, c’est un extrait suffisant, c’est l’un des sommets de ce texte, l’un des sommets avant que l’auteur ne revienne sur ce qu’il a affirmé sous le coup d’une stupéfiante inspiration, avant qu’il ne reprenne ce qu’il a donné, faute peut-être de pouvoir l’assumer.

            L’objet de son inspiration c’est que le Verbe est chair, et donc que Verbe et chair, Dieu et humain, c’est la même chose, et c’est un – unique et unité.

 

            Mais revenons au début, lorsque se présentent le Verbe, et Dieu. Deux entités semble-t-il, au moins dans l’imagination de certains groupes de fidèles. Dieu tout en haut, sans doute, et le Verbe, tout en haut aussi, qui avait ses propres attributs parmi lesquels la capacité à mettre en mots et en phrases ce qu’il en était de Dieu. Dieu inatteignable, redoutable, inintelligible, et le Verbe, proche de lui, le faisant connaître. Mais quelle différence en les deux, si l’on ne connaît Dieu que par le Verbe ? Vous pouvez là-dessus imaginer colloques et débats. Quelque part, certains proposent que le Verbe est infiniment proche de Dieu, si infiniment proche de Dieu que le Verbe et Dieu sont un. Première inspiration stupéfiante de notre texte. Est-ce que l’auteur va assumer cette fois ce qu’il a proposé, va-t-il reprendre ce qu’il a donné ?

            Mais qu’a-t-il donné ? Le Verbe est Dieu ; et par le Verbe il nous faut entendre la parole, la parole entre nous, que nous partageons, qui si est proche de Dieu qu’elle est Dieu : si vous voulez savoir ce qu’il en est de Dieu, écoutez ce que les gens disent, et parlez avec les gens ; parlez, mais pas seulement de Dieu, de toutes sortes de choses ; toute parole est parole de Dieu m’a appris un ami Rabbin, donc lorsque vous parlez, vous êtes Dieu ; raison pour laquelle il faut réfléchir avant de parler.

            Le verbe est Dieu, audace considérable, pouvons-nous l’assumer ? Et si nous l’assumons, comment donnerons nous un sens à des affirmations comme « je crois en Dieu », ou « je ne crois pas en Dieu » ? Quel sens aussi auront nos salutations, nos dialogues ?

            Cette identité de la parole et de Dieu est-elle assumée par l’auteur du prologue ? Il me semble que oui, parce qu’elle est au fond est la plus simple qui soit, et qu’elle nous laisse Dieu avec seulement des paroles humaines.

 

            Nous avons parlé déjà de ce qui vient après, à savoir que le Verbe se fait chair, et parlé aussi de cette unité un peu triple, le Verbe, Dieu, et la chair. Inutile d’en reparler, car la méditation de ces choses peut durer infiniment en quête d’une illumination, alors qu’il faut plutôt tenter d’élaborer une éthique.

            L’affirmation de l’unité de ces trois mots, comment oriente-t-elle une vie humaine ? Quels rapports humains commande-t-elle ? Réponse simple : il est impossible de faire abstraction de la chair, toute chair est chair parlante et toute chair est chair de Dieu… Aussi, dans la perspective du prologue, il n’y a pas d’autre éthique possible qu’une éthique du souci d’autrui.

            Et si l’on veut un exemple pratique, il suffit de lire la suite de l’évangile de Jean. Et l’on verra comment un certain Jésus, de Nazareth, met en œuvre ce qu’il professe : il enseigne, il nourrit, il guérit, il polémique… sa vie entière semble consacrée à l’élargissement d’autrui. Et pour quels résultats ? « les ténèbres ne l’ont point comprise », « le monde ne l’a pas reconnu », « les siens ne l’ont pas accueilli ». Résultat nul ! Mais il n’y a pas que ça dans l’évangile de Jean, et puis, s’agissant de cette foi dont nous parlons, celle qui affirme concrètement l’unité de la chair, de la parole et de Dieu, les actes ont leur valeur en eux-mêmes. Le croyant, accueil ou pas, persiste dans sa manière d’être, si bien que le croyant persiste dans son témoignage, dans sa manière d’être, de dire, et d’agir.

 

            Et le Verbe est devenu chair. L’auteur de l’évangile de Jean a-t-il assumé, ou repris, son affirmation ? Il  dû se rendre compte du côté inassumable de son affirmation. Et il l’a méditée, méditée encore, et encore jusqu’à rédiger 20 chapitres. Au fil desquels les affirmations initiales prennent un volume et une place irremplaçables avec pour finalité « que vous croyiez que Jésus est le Christ et pour que, en croyant, vous ayez la vie en son nom (Jean 20,31).

 

            Ce qui n’est pas la fin de l’histoire. C’est à peine plus que le commencement d’un chemin. Nous avons connu un homme qui s’était penché sur ce texte, avec application, un homme qui était sur ce chemin.