samedi 12 avril 2025

Quand les pierres crieront (Luc 19,28-40)

 

Luc 19

28 Sur ces mots, Jésus partit en avant pour monter à Jérusalem.

 29 Or, quand il approcha de Bethphagé et de Béthanie, vers le mont dit des Oliviers, il envoya deux disciples

 30 en leur disant: «Allez au village qui est en face; en y entrant, vous trouverez un ânon attaché que personne n'a jamais monté. Détachez-le et amenez-le.

 31 Et si quelqu'un vous demande: ‹Pourquoi le détachez-vous?› vous répondrez: ‹Parce que le Seigneur en a besoin.› »

 32 Les envoyés partirent et trouvèrent les choses comme Jésus leur avait dit.

 33 Comme ils détachaient l'ânon, ses maîtres leur dirent: «Pourquoi détachez-vous cet ânon?»

 34 Ils répondirent: «Parce que le Seigneur en a besoin.»

 35 Ils amenèrent alors la bête à Jésus, puis jetant sur elle leurs vêtements, ils firent monter Jésus;

 36 et à mesure qu'il avançait, ils étendaient leurs vêtements sur la route.

 37 Déjà il approchait de la descente du mont des Oliviers, quand tous les disciples en masse, remplis de joie, se mirent à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus.

 38 Ils disaient: «Béni soit celui qui vient, le roi, au nom du Seigneur! Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux!»

 39 Quelques Pharisiens, du milieu de la foule, dirent à Jésus: «Maître, reprends tes disciples!»

 40 Il répondit: «Je vous le dis: si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront.»


Prédication : 

            Dans le texte que nous venons de lire, et qui rapporte l’histoire d’une procession royale, il y a deux problèmes, les premiers mots, et les derniers mots.

            Les premiers mots, ceci : « Sur ces mots, Jésus partit … pour Jérusalem ». Et comme souvent, nous allons revenir sur ces mots, justement, une parabole, peut-être la plus dure de toutes les paraboles de la Bible. Ça ressemble à la parabole des talents, mais augmentée de plusieurs éléments : le maître part au loin pour se faire couronner roi de son propre pays, et il confie des richesses à tels serviteurs avec pour tâche de faire du business jusqu’à son retour ; ce que les serviteurs feront avec plus ou moins de bonheur ; le maître est suivi dans on voyage par un groupe d’intrigants qui ne veulent pas du couronnement ; le couronnement a lieu, le maître rentre chez lui, règle les cas de ses serviteurs et la parabole se finit ainsi, parole de Jésus, « 27 Quant à mes ennemis, ces gens qui ne voulaient pas que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi.› »

            C’est une finale de parabole absolument violente. Et si l’on a en mémoire les petites affaires de graines qui germent, de petits moutons et de gentilles pièces perdues et retrouvées, donc des paraboles, les paraboles en somme, auxquelles nous sommes finalement habituées, on se trouve ici bien surpris… On nous dit que pour interpréter les paraboles il faut s’imaginer dans tous les rôles de tous les personnages, mais là, qu’allons-nous faire ? Et c’est dans la bouche de Jésus, avec quoi semble-t-il il cloua le bec de tout le monde pour un certain temps et s’avança vers Jérusalem pour mettre en scène cet épisode que nous connaissons sous le nom des Rameaux.

 

            La chronique romaine nous rapporte qu’Archelaüs, fils d’Hérode le Grand, se rendit à Rome pour se faire couronner par l’Empereur, et revint au pays avec un certain titre. Archelaüs fut un très mauvais roi. Quant à la punition sanglante, elle fut infligée une fois au moins dans l’histoire biblique par l’Empereur Nabuchodonosor au roi Sédécias qui avait comploté et s’était rebellé contre lui. Ces attestations historiques donnent un certain poids au récit. Mais il nous faut tâcher de comprendre ce que ça signifie lorsque c’est mis dans la bouche de Jésus et à un tournant de son ministère. Or, justement, cette parabole nous suggère qu’il y a un certain retournement, un retournement majeur, de la parole aux actes, et ces actes portent la mort en eux. Le maître part se faire couronner, c'est-à-dire qu’il respecte les formes juridiques en vigueur, mais dès qu’il a sa couronne, il se transforme en un tyran sanguinaire. Il n’y a pas de commentaire à faire sur cette transformation. Ça arrive comme ça, parfois, les puissants ne résistent pas à la tentation.

            Jésus parle ainsi de son couronnement à venir, vous savez ce que sera sa couronne. Quelle sorte de maître, quelle sorte de roi sera-t-il ? Pour nous poser cette question, nous devons faire l’effort de ne pas nous souvenir de tout ce que nous savons déjà. Nous sommes capables de comprendre en partie au moins les annonces de la passion, que c’est pour bientôt… que ça se passe à Jérusalem, mais nous ne savons pas comprendre l’incroyable violence des propos de Jésus. Nous restons bouche bée.

 

            Là-dessus, il y a une procession royale, ou humblement royale, tout comme l’a imaginée le prophète Zacharie (9,9-10). Peu de choses à dire là-dessus : le Messie entre à Jérusalem avec tout un tapage. Quelqu’un m’avait appris que ça n’avait pas pu être une grande foule, et que si les Pharisiens avaient réclamé le silence, c’était pour éviter que le tapage ne devienne tumulte et que la troupe romaine ne vienne remettre de l’ordre avec ses méthodes à elle, sanglantes encore une fois. Mais la scène reste fantastique et énigmatique. « Si eux se taisent, ce sont les pierres qui crieront. » Qu’est-ce que veut dire cette phrase obscure ? Elle signifie que ce que les humains sont empêchés de dire, les choses les vocifèrent. Et nous avons quelque chose comme ça dans le prophète Habacuc (2,11) : « Malheur à celui qui commet pour sa maison des rapines injustes (…) car la pierre des murailles crie et la poutre de la charpente lui répond. » Les choses sont – thèse un rien animiste – animées, et elles sont des témoins infaillibles de nos vies.

            Or donc si les disciples sont empêchés de crier leur joie, ce sont les pierres qui crieront. Pourquoi les pierres ? Et pas les poutres de la toiture ? Les pierres en question pourraient bien être les pierres du chemin, ou des maisons, ou même les pierres du Temple, allusion faite à sa beauté, allusion faite aussi à sa destruction prochaine et inévitable. Destruction qui signera la fin du culte sous sa forme sacrificielle, et qui signera le commencement d’une autre manière d’adorer, dans laquelle la réflexion du croyant trouvera la meilleure place.

            Alors, il y a une question qui se pose : qu’est-ce qui est porteur de la louange et de l’adoration, les monuments, ou les humains ? Et pour parler comme Paul aux Corinthiens, le temple du Saint Esprit, est-ce le Temple, ou le corps de l’être humain ? Halte-là les pierres donc, du moins tant que les corps sont libres de louer Dieu, et si cette liberté se perd, que les pierres prennent le relais. Et c’est ainsi que la louange à Dieu ne pourra jamais cesser.

 

            Et dans le rapport à cette louange, et dans le rapport à nos frères les humains, quelle sœur, quel frères seront nous ? Et bien puissions-nous toujours porter la louange et vivre selon ce qu’elle exprime.

            Amen