samedi 17 février 2024

Tentations (Genèse 9,8-15 ; Marc 1-15)

 Marc 1

12 Aussitôt l'Esprit pousse Jésus au désert.

 13 Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

 14 Après que Jean eut été livré, Jésus vint en Galilée. Il proclamait l'Évangile de Dieu et disait:

 15 «Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s'est approché: convertissez-vous et croyez à l'Évangile.»

 

Genèse 9

8 Dieu dit à Noé accompagné de ses fils:

 9 «Je vais établir mon alliance avec vous, avec votre descendance après vous

 10 et avec tous les êtres vivants qui sont avec vous: oiseaux, bestiaux, toutes les bêtes sauvages qui sont avec vous, bref tout ce qui est sorti de l'arche avec vous, même les bêtes sauvages.

 11 J'établirai mon alliance avec vous: aucune chair ne sera plus exterminée par les eaux du Déluge, il n'y aura plus de Déluge pour ravager la terre.»

 12 Dieu dit: «Voici le signe de l'alliance que je mets entre moi, vous et tout être vivant avec vous, pour toutes les générations futures.

 13 «J'ai mis mon arc dans la nuée pour qu'il devienne un signe d'alliance entre moi et la terre.

 14 Quand je ferai apparaître des nuages sur la terre et qu'on verra l'arc dans la nuée,

 15 je me souviendrai de mon alliance entre moi, vous et tout être vivant quel qu'il soit; les eaux ne deviendront plus jamais un Déluge qui détruirait toute chair.


Prédication : 

            Le 26 décembre 2004, un puissant séisme suivi d’un énorme tsunami ravagea toutes les côtes de l’Asie du sud, bords de l’Océan indien et jusqu’à l’Afrique de l’Est. Parlons du bilan humain, considérable, des centaines de milliers de vies perdues.

            Parlons aussi d’affaires à proprement parler miraculeuses, dont une m’a été contée par de vieux chers amis d’une paroisse d’Ardèche. Leurs enfants étaient partis pour un Noël exotique, destination océan indien, l’hôtel leur avait donné une chambre au plus près de la plage. Le 25, le jeune monsieur a commencé à se sentir mal, et il incriminait la plage, la mer, un peu tout… un peu rien. La réception de l’hôtel n’était pas prise au dépourvu par cet étrange malaise et savait donc quoi faire : une annexe de l’hôtel, sur la colline, quelque dizaines de mètres de dénivelée plus haut. Suffisamment haut pour que passe le malaise. Suffisamment pour leur sauver la vie le lendemain. Hasard ?

            Et toujours en rapport avec ce tsunami dans l’océan indien, je dois me souvenir de ceci, qui m’a été servi dans mon bureau : « Ce tsunami est la punition de Dieu contre ces peuples qui pratiquent une autre religion, et qui n’ont pas voulu recevoir Jésus comme leur sauveur. »

            Les bras vous en tombent. Il ne fait pas bon être autodidacte en théologie. Comment peut-on imaginer Dieu, méditer et mettre en œuvre  une telle horreur ? Comment peut-on imaginer qu’Il va faire périr le juste – l’unique juste – avec le méchant ? Dieu sauve Noé à cause de sa justice. Mais s’il sauve aussi la femme, les brus et les fils de Noé, ça n’est pas parce qu’ils sont justes eux aussi, mais en raison de la définition de ce que sont le nom de famille et le nom du chef de famille en ce temps-là.

            Et puis il n’y a pas vraiment de lien entre le Déluge biblique et le tsunami dont nous parlons, ni non plus entre des tempêtes et autres tourbillons. Pour désigner le Déluge biblique, il y a un mot, un seul, qui n’a que ce seul usage et qui disparaît une fois la chose accomplie. C’est un petit peu rigolo parce que ce mot se dit Maboul. Mais c’est sérieux, car il s’agit de détruire intégralement les hommes, les bêtes et leurs habitats, tout en maintenant en vie un certain reste inconnu, car il va de soi que ceux qui périssent ne savent rien de tout cela. Ce qui suggère de dire que le Déluge est à la fois l’abîme de la déréliction, et le sommet de l’espérance… tant qu’il y a un juste, tout ce qui peut finir peut aussi recommencer.

            Combien ce langage est exagéré… Combien cette mystique de la fin et du commencement du monde est en-deçà de ce que vivent ceux que les vagues ont dévorés, et ceux aussi qu’elles ont épargnés. Et si nous tenons comme promesse le « Plus jamais … » du déluge, pouvons-nous aussi tenir une consolation qui serait attachée à cette promesse ? Et toute cette connaissance du Déluge pourrait-elle faire de nous des consolateurs reconnus et efficaces ?

            Cette réflexion peut être menée, et doit être menée, mais elle doit aussi être balayée, pour qu’advienne la parole.

 

            En plus du Déluge… mais qu’a-t-il donc ressenti, Jésus, lorsqu’il a vu – lui seul – les cieux se  déchirer, et l’Esprit descendre sur lui comme une colombe ? Expérience de plénitude, sans doute, et plus sans doute aussi. Mais ces expériences extraordinaires, que produisent-elles ? Comment dit-on ? Les chevilles qui enflent ? Autant de puissance chez un sujet aussi jeune, nous nous demandons ce qu’il va bien en faire. Bien sûr, nous savons, nous autres, que l’Esprit, même tout entier répandu sur chacun, se partage néanmoins entre tous, mais nous savons aussi que cette puissance est parfois comme mise en stock pour pouvoir en jouir plus tard. Tentation, cela s’appelle.

            Et justement 12 Aussitôt l'Esprit pousse Jésus au désert. 13 Durant quarante jours, au désert, il fut tenté par Satan. Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient.

            On nous dit chaque fois que, dans l’évangile de Marc, il n’y a pas de tentations. Étrange. Cela vient d’une faute de lecture. Les gens lisent Matthieu, ils lisent Luc, où ils trouvent deux fois trois tentations, pas dans le même ordre, mais ils ne lisent pas Marc. Alors que les tentations y sont bel et bien « tenté par Satan », d’abord puis : « Il était avec les bêtes sauvages et les anges le servaient. » Tentations, oui. Il est dans désert, et dans le désert il faut se nourrir. En intelligence avec les bêtes sauvages il bénéficie d’une certaine tranquillité, et aussi de la possibilité de prélever sur ces bêtes sauvages de quoi se nourrir. Quant aux anges, toute une vie spirituelle, et intellectuelle passe là.

            Et puis l’homme en intelligence avec les bêtes du désert et avec les esprits, est le modèle de  l’homme dans les littératures de ce temps (Enkidou ; Gilgamesh).

            La tentation donc, c’est de rester tout seul pénard dans le désert, en ne lâchant rien pour personne, en ne s’occupant de personne, et tant pis pour les autres.

 

            Et pour combien de temps ? C’est la Bible et dans la Bible c’est 40 symbolique. Au bout de 40 jours, ce qui doit être purgé est purgé. Et l’homme revient vers les hommes, dans de fraternelles dispositions. Il ne prêche pas encore, mais il revient vers les hommes. Et il ne prêchera qu’après la disparition de Jean le Baptiste, nous pouvons seulement en imaginer la raison, prudence, ou politesse, car on ne doit pas faire concurrence à ce prédécesseur, celui qui vous a baptisé.

            Quand elle vient, la première prédication de Jésus est d’une simplicité et d’une concision remarquables. Il reste le reste de toutes les méditations qui mènent à l’Évangile. Un peu comme si les propos savants, audacieux voire bêtes tenus sur les séismes avaient été érodés, passé au fil des événements, et qu’il n’en restait que deux ou trois phrases, pas plus, sur la tristesse, sur la joie, et sur la gratitude, des phrases pour les survivants, des phrases finalement un peu trop grandes pour ceux qui les prononcent, mais ils n’en ont pas d’autres.

            Trois de ces phrases sont dans l’évangile de Marc, les trois premières, les trois – ou quatre – premières de tous les évangiles – de tous les évangiles possibles : Le temps est accompli, et le Règne de Dieu s’est approché, convertissez-vous et croyez à l’Évangile. Et tout le reste vient après. Amen