vendredi 22 septembre 2023

Passion avant la Passion (Matthieu 20,1-16)

 
Vous pourrez lire aussi Esaïe 55,6-9 et Philippiens 1,20-27

Matthieu 20

1 «Le Royaume des cieux est comparable, en effet, à un maître de maison qui sortit de grand matin, afin d'embaucher des ouvriers pour sa vigne.

 2 Il convint avec les ouvriers d'une pièce d'argent pour la journée et les envoya à sa vigne.

 3 Sorti vers la troisième heure, il en vit d'autres qui se tenaient sur la place, sans travail,

 4 et il leur dit: ‹Allez, vous aussi, à ma vigne, et je vous donnerai ce qui est juste.›

 5 Ils y allèrent. Sorti de nouveau vers la sixième heure, puis vers la neuvième, il fit de même.

 6 Vers la onzième heure, il sortit encore, en trouva d'autres qui se tenaient là et leur dit: ‹Pourquoi êtes-vous restés là tout le jour, sans travail?› -

 7 ‹C'est que, lui disent-ils, personne ne nous a embauchés.› Il leur dit: ‹Allez, vous aussi, à ma vigne.›

 8 Le soir venu, le maître de la vigne dit à son intendant: ‹Appelle les ouvriers, et remets à chacun son salaire, en commençant par les derniers pour finir par les premiers.›

 9 Ceux de la onzième heure vinrent donc et reçurent chacun une pièce d'argent.

 10 Les premiers, venant à leur tour, pensèrent qu'ils allaient recevoir davantage; mais ils reçurent, eux aussi, chacun une pièce d'argent.

 11 En la recevant, ils murmuraient contre le maître de maison:

 12 ‹Ces derniers venus, disaient-ils, n'ont travaillé qu'une heure, et tu les traites comme nous, qui avons supporté le poids du jour et la grosse chaleur.›

 13 Mais il répliqua à l'un d'eux: ‹Mon ami, je ne te fais pas de tort; n'es-tu pas convenu avec moi d'une pièce d'argent?

 14 Emporte ce qui est à toi et va-t'en. Je veux donner à ce dernier autant qu'à toi.

 15 Ne m'est-il pas permis de faire ce que je veux de mon bien? Ou alors ton oeil est-il mauvais parce que je suis bon?›

 16 Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.»

Prédication : 

    1. Pour autant que je m’en souvienne, et en plus de 25, voire 30 années, et en ayant (catéchisme, école biblique, études bibliques, et bien entendu un petit nombre de sermons) proposé ce texte à la lecture et à la réflexion, la réaction constatée aura été presque toujours la même : c’est pas juste ! Avec plus ou moins d’emportement. Je me souviens même d’adolescents virulents. De certains adultes un fâchés. De trouver ça dans la Bible. Mais j’en ai vu qui se contentaient de hausser les épaules. S’agissant en fait de leur réaction il m’a semblé à l’époque que l’histoire de leur vie – pour ce que j’ai connu – était, s’agissant de la 11ème heure, plus déterminante que la durée de leur vie. Il m’a semblé aussi que certaines sortes de rencontres sont essentielles.
    2. Le Royaume des cieux, ce lieu – ce n’est pas un lieu – cette topique – peut-être, au moment où, au temps où, s’accomplit pour les humains tout ce dont Jésus parle et tout ce qu’il promet. Objet de promesse, qu’il s’agisse d’une expérience concrète ou l’appel à une réflexion profonde, et le déroulement de cette réflexion peut bien en tenir lieu. Le Royaume, c’est ce dont parle Jésus en Matthieu 20, et ce qui nous est proposé, comme objet de réflexion, lecteurs que nous sommes.
    3. Est comparable… Le Royaume des cieux est comparable à… et tout de suite, stop. Déjà stop ? Car il s’agit d’autre chose qu’une comparaison. Il faut trouver plus fort qu’une comparaison. Par exemple semblable. Non pas semblable en quantité, mais semblable en qualité, en essence. Si vous avez l’un vous avez l’autre. Mais que pouvons-nous avoir de l’un ? Et de l’autre ? Le mystère du Royaume des cieux étant ce qu’il est – à moins qu’au fond il ne soit très simple – nous allons évoquer l’homme, seigneur de sa maison. Et c’est cet homme qui, d’emblée, et jusqu’au bout, va, montrer, voire incarner le Royaume des cieux. Le Royaume des cieux, c’est lui. Et puisqu’il interagit avec plusieurs de ses semblables, nous pourrons – peut être – affirmer qu’il est, cet homme maître de maison, une expérience du royaume, pendant au moins un moment. Nous allons voir.
    4. C’est le moment de se souvenir de cette petite histoire – nous pouvons l’appeler parabole – un peu complexe si nous voulons nous attacher à la sophistication du vocabulaire, mais plutôt simple si nous voulons seulement nous attacher à l’inégalité flagrante qui existe à la fin entre la rétribution des premiers embauchés, et la rétribution des derniers embauchés. Le calcul est vite fait, ramené à un taux horaire, ceux de la onzième heure sont onze fois mieux payés que les autres. Il y en a qui grognent, d’un grognement qui parfois peut tourner à la bagarre. Le maître de maison est donc récusé dans sa manière de rétribuer ses gens, il est même peut-être en danger. Mais n’y aura pas de violence autre que verbale, et encore. Redisons-le, le Royaume des cieux, c’est cet homme.
    5. C’est cet homme… ce maître de maison qui sortit de bon matin afin d’embaucher des ouvriers pour sa vigne. Et qui embaucha des ouvriers à la première heure, à la troisième, à la sixième, à la neuvième et à la onzième. J’aurais bien aimé qu’il en embauche quelques-uns à la douzième heure, pour rendre plus inégale encore cette histoire d’appel et de rétribution. Mais je ne suis pas l’auteur, ni l’homme, et dois, nous devons, faire avec cette onzième heure. Souvent nous parlons de grâce et de gratuité, mais là, manifestement, il y a quelque chose à faire. Si grâce il y a dans cette énonciation du Royaume elle est à chercher, dans l’appel  - le royaume appelle et il s’agit d’y entrer et d’y travailler. Et à la fin, le royaume paye. Mais quel travail ? Les hommes travaillent à la vigne. Est-ce une image, la vigne, la vigne divine, ou une vigne toute terrestre, l’agriculture toute terrestre, parce que c’est ce qu’il faut pour vivre ? Nous pourrions ne conserver que le mot travail, parce que d’une manière ou d’une autre travailler c’est transformer une chose en une autre, c’est valoriser… et c’est valorisant aussi. Les hommes sont payés pour ce qu’ils ont fait : 1 denier, c’est le salaire normal pour une journée de travail de l’époque. Et tout va bien. Sauf que le royaume des Cieux – le maitre de maison, ne tient compte à la fin aucunement de la durée. Et c’est cet homme-là qui est le Royaume des cieux. Ça vous appelle quand ça veut, pour un temps de travail flottant, ça s’arrête tous ensemble, il y a une rémunération, mais qui est sans lien avec la durée travaillée, pire, moins vous avez travaillé, plus vous êtes payés (ou le contraire) et pire de pire, vous n’avez pas été prévenu au début. C’est l’homme, le maître de maison, c’est le Royaume des cieux.
    6. Et si nous le savions d’avance ?  Que sait-on, au moment de l’appel ? Il y a bien entendu une sorte de continuité. C’est pour un travail assez précis qu’ils sont embauchés pour le Royaume, par l’homme, un travail que tous pourraient faire, non pas en quantité égale, mais en qualité. Quelque chose de possible, tout en bas même de ce que fait l’espèce humaine.  Et qui trouvera sa fin et sa récompense – la Bible n’est pas avare de propos sur la récompense du travail de ceux qui œuvrent ici, là, mais essentiellement toujours dans la vigne du Seigneur. La vigne est inaliénable, et le vigneron ouvrier sacré. Et non, on ne le sait pas. Le Royaume, c’est le Maitre de maison et le maître de maison est de fait imprévisible même s’il appelle d’abord pour une tâche simple, et cette imprévisibilité ne relève pas du caprice ni de la fantaisie. C’est l’homme, c’est la vie de l’homme qui sans passion, ni sans raison, sème bien des choses sur les chemins que d’aucuns espéraient parcourir sans dérangement aucun… et tout autre chose finalement advient. Est-ce ça, le Royaume ?
    7. Et nous revenons à cet écart entre ce qui est imaginé et ce qui advient. Avec les réactions qui adviennent aussi. Les embauchés de la première  murmurent contre le maître de maison. Et qui a-t-il dans ce murmure ? Ils avaient imaginé telle rémunération, beaucoup, et c’est autre chose qui arrive.   Nous disons parfois de la haine qu’elle est le sentiment qui s’empare de quelqu’un lorsque l’imaginaire vient se fracasser sur le réel. C’est exactement le cas ici. Nous savons aussi que ce sentiment se réalise et s’accomplit en détruisant ce qui l’a causé. Autrement dit, pour la leçon qu’il donne sur le Royaume, le Maître engage sa vie. Nous ne savons pas quelles sont la suite et la fin de cette affaire : « Je ne fais aucun tort. […] Prends ton argent et emporte-le ! », et en plus s’affirme la totale liberté de l’homme, c'est-à-dire la totale liberté du Royaume, totale liberté et du Fils et du Père. Et totale aliénation non pas de l’humanité toute entière, mais  d’une partie au moins du genre humain qui entend bien qu’hommes et Dieu lui soit soumis. Et qui, ou quoi, leur fera comprendre, et admettre la leçon de la parabole des ouvriers de la onzième heure. « Ainsi les derniers seront premiers, et les premiers seront derniers.
    8. Cette parabole, finalement est une sorte de répétition de la première partie de la Passion. Il est généreux de son enseignement, généreux de son corps, pour ceux qui croient en lui, et pour ceux aussi qui ne croient pas. L’accès à ce jardin est ainsi ouvert à tous.