Actes 2
1 Quand
le jour de la Pentecôte arriva, ils se trouvaient réunis tous ensemble.
2 Tout à coup il y eut un bruit qui venait du ciel
comme le souffle d'un violent coup de vent: la maison où ils se tenaient en fut
toute remplie;
3 alors leur apparurent comme des langues de feu
qui se partageaient et il s'en posa sur chacun d'eux.
4 Ils furent tous remplis d'Esprit Saint et se
mirent à parler d'autres langues, comme l'Esprit leur donnait de s'exprimer.
5 Or, à Jérusalem, résidaient des Juifs pieux,
venus de toutes les nations qui sont sous le ciel.
6 À la rumeur qui se répandait, la foule se
rassembla et se trouvait en plein désarroi, car chacun les entendait parler sa
propre langue.
7 Déconcertés, émerveillés, ils disaient: «Tous ces
gens qui parlent ne sont-ils pas des Galiléens?
8 Comment se fait-il que chacun de nous les entende
dans sa langue maternelle?
9 Parthes, Mèdes et Elamites, habitants de la
Mésopotamie, de la Judée et de la Cappadoce, du Pont et de l'Asie,
10 de la Phrygie et de la Pamphylie, de l'Égypte et
de la Libye cyrénaïque, ceux de Rome en résidence ici,
11 tous, tant Juifs que prosélytes, Crétois et
Arabes, nous les entendons annoncer dans nos langues les merveilles de Dieu.»
12 Ils étaient tous déconcertés, et dans leur
perplexité ils se disaient les uns aux autres: «Qu'est-ce que cela veut dire?»
Prédication : Vincennes, 28 mai 2023 (Le Creusot, 4 juin 2017)
Que se passe-t-il à Pentecôte ? A question
simple – au singulier, réponses – au pluriel – simples. Ils sont tous remplis
d’Esprit Saint et se mettent à parler d’autres langues, comme l’Esprit leur
donne de s’exprimer (Actes 2). Jésus envoie sur eux ce que son Père a promis
(Luc 24). Ils reçoivent une puissance, celle du Saint Esprit (Actes 1). La
prophétie se réalise (Joël 3). Ajoutez Jean 20,22-23, et 1 Corinthiens 12,3 et
suivants. Ce sont des réponses simples, des réponses bibliques. Et à ces
réponses il est possible d’ajouter d’autres réponses simples, qui portent sur
le commencement de l’existence de l’Eglise. A toutes ces réponses bien connues,
bien méditées, et bien reçues, nous allons associer le beau mot de doctrine.
Mais ce n’est pas à ces réponses
simples et multiples que nous allons nous intéresser maintenant. Je vous
demande de faire un effort, non pas de mémoire, mais d’oubli… l’oubli passe, et
nous assistons à la scène, sans rien connaître de la Bible, mais dans des
dispositions plutôt bienveillantes. Que se passe-t-il ?
Nous voyons et nous entendons des gens
qui sont en train de vivre ensemble une expérience extatique. Leurs visages
sont particulièrement lumineux et des sons diversement articulés sortent de
leurs bouches. Pour nous, c’est incompréhensible, mais d’autres témoins de la
scène reconnaissent ces sons comme des éléments liturgiques émis dans leurs
divers idiomes. Cette expérience ressemble à une ivresse alcoolique, quelques-uns
ne manquent pas de le faire remarquer.
Puis un homme prend la parole et
propose une interprétation très bien raisonnée… ce qui s’appelle une doctrine.
Ainsi, ce qui se passe à Pentecôte peut
être ramené à deux notions, expérience spirituelle et doctrine.
Pourquoi
ce point de départ un peu froid ? C’est que, plusieurs fois ces dernières
semaines il m’est arrivé de devoir réfléchir sur ce qu’on appelle aujourd’hui
« christianisme post-confessionnel ». C’est une expression un peu
précise, un petit peu à la mode.
Elle
a pu servir à décrire le comportement de certaines Églises chrétiennes qui, face à un péril grave, mirent de côté
leurs oppositions traditionnelles et s’allièrent, voire s’unirent, pour mieux résister.
C’est par exemple ce qu’ont fait des Luthériens, des Réformés et des ‘Unis’
qui, en 1934, à Barmen (Allemagne), se prononcèrent d’une seule voix, au péril
de leur vie, pour le Christ contre le Führer.
Mais
cette même expression (christianisme post-confessionnelle) peut servir à
décrire le comportement de personnes qui ne se revendiquent d’aucune confession
chrétienne particulière et récoltent quelque morceaux liturgiques par-ci, un petit
paquet d’éthique par-là, un bon stock de versets bibliques, une convivialité, en
somme se servent selon leur convenance dans les rayons grands ouverts du marché
libre de la religion. C’est une réalité d’aujourd’hui, et ce n’est pas forcément
négativement qu’il faut l’envisager.
C’est
dans un autre sens encore que l’expression « post-confessionnel » est
parvenue à mes oreilles. Il s’agit d’affirmer que le christianisme a pour
composante une et essentielle l’indicible expérience spirituelle, et que c’est
la voie à suivre pour le renouveau des Églises, et pour leur Unité. Il y a
là-dessous deux affirmations : « ce sont les doctrines qui
divisent » (une thèse négative) et « seule l’expérience spirituelle
unit » (une thèse positive). Est-ce vrai ?
Nous
allons réfléchir un peu à cela, dans le cas de la Pentecôte du livre des Actes
des Apôtres.
« Seule
l’expérience spirituelle unit », dit-on. Mais ce n’est pas l’expérience
spirituelle de Pentecôte qui fait que le groupe des premiers disciples est uni,
ni qu’il sera uni aux convertis de ce jour-là. Uni, le groupe des premiers
disciples l’est déjà, de par son histoire commune, de par son attente commune. Sauf
que, au moment précis de l’expérience spirituelle, il n’y a rien d’autre qu’une
extase… ils sont hors d’eux-mêmes. Or ceux qui sont hors d’eux-mêmes n’ont rien
de commun avec personne. Parce que l’expérience spirituelle n’unit pas. Elle
est donnée à qui elle est donnée et le mode de communion groupale qu’elle
appelle n’a rien à voir avec l’unité. Comment l’expérience spirituelle, en tant
que telle, pourrait-elle intégrer ceux qui ne la vivent pas ? Et puis,
imaginez qu’arrive là-dedans une personne moins bien intentionnée que Pierre,
une personne dominatrice. Défiance, le ton monte, échauffourées, puis émeute. A
Jérusalem, en ce temps, émeute signifie aussi bain de sang, l’occupant Romain
ayant pour habitude de ramener le calme manu
militari.
L’expérience
spirituelle unit-elle ? Non. Elle ne peut unir personne. Ainsi, si nous
entendons quelqu’un dire que seule l’expérience spirituelle unit, il nous faut
toujours nous demander prudemment quelles sont ses intentions et ses projets.
Mais
ce n’est pas pour disqualifier l’expérience spirituelle que nous parlons ainsi.
L’Esprit souffle où il veut. Mais affirmer que seule l’expérience spirituelle
unit est faux. Si Pentecôte, dans le récit des Actes des Apôtres, est une
expérience d’unité et d’une unité qui unit ceux qui ont vécu l’expérience
spirituelle et ceux qui ne l’ont pas vécue, c’est parce que viennent se
conjuguer heureusement l’expérience spirituelle et le discours de Pierre,
c'est-à-dire la doctrine.
De
ceci nous pouvons déduire qu’il est faux de dire que ce sont les doctrines qui
divisent. Plutôt donc que d’incriminer les doctrines, mieux vaut interroger
l’usage qui en est fait. Qu’aurait alors été l’expérience de Pentecôte, à
Jérusalem, si Pierre n’avait pas pris la parole ainsi qu’il l’a fait ?
Nous l’avons déjà évoqué. Son discours, c'est-à-dire sa doctrine, a, ce
jour-là, à Jérusalem, une vertu régulatrice, et structurante. Elle ouvre à un
dialogue. Elle interpelle, elle répond aussi. Et surtout, surtout, elle laisse
chacun des auditeurs libre de rejoindre, ou de ne pas rejoindre, ce tout
nouveau mouvement. Pierre agit donc ce jour-là non pas comme un gardien, ou un
manipulateur, mais comme témoin vivant de ce qu’il annonce. Ce qui peut se dire
ainsi : les divisions ne viennent pas des doctrines mais de l’usage qui en
est fait.
Il
arrive cependant, c’est vrai, que les cœurs s’endurcissent, que les discours se
figent, et que la doctrine devienne instrument de domination. Cela arrivera,
même aux Apôtres dans le livre des Actes. Or, lorsque cela arrive, on observe
que l’expérience spirituelle se trouve renouvelée. Ainsi les diacres, dont un
certain Etienne, juste destinés au service des tables, pas du tout censés
enseigner, l’enseignement étant comme réservé aux Apôtres… les diacres vont
prêcher.
Ainsi
aussi l’Esprit Saint sera-t-il répandu sur des Païens, avant leur baptême,
avant leur catéchisme, et sans la permission des Apôtres… Et à chaque fois que
la doctrine apostolique du moment est mal utilisée, et risque de stériliser l’Église,
l’expérience spirituelle la déborde, la conteste, et la renouvelle.
Résumons.
Ce
sont les doctrines qui divisent, entend-on dire parfois, et c’est faux. Car seuls
certains des usages qu’on en fait divisent. Les doctrines structurent des
mouvements qui, autrement, partiraient à vau l’eau sous la domination de gens habiles
et peu recommandables. Il nous faut donc veiller, demander à Dieu qu’il envoie
son Esprit pour que ce qui structure notre pensée et notre Eglise demeure une
parole vivante et jamais ne devienne un carcan.
C’est
l’expérience spirituelle qui seule unit, entend-on dire parfois. Mais c’est
faux. La vertu négative de l’expérience spirituelle est qu’elle isole, qu’elle
est si intense qu’elle est hors langage. Sa vertu positive lorsqu’elle advient,
c’est de contester, d’interpeler, et de féconder.
Puissions-nous
veiller à tout cela. Et, si nous venons à faillir en notre veille, si notre
joie aussi s’éteint, que le Seigneur envoie son Esprit.
Amen