samedi 8 octobre 2022

Une méditation sur l'amour (2 Rois 5,14-17 et Luc 17,11-19)

 

Luc 17

11 Or, comme Jésus faisait route vers Jérusalem, il passa à travers la Samarie et la Galilée.

 12 À son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à sa rencontre. Ils s'arrêtèrent à distance

 13 et élevèrent la voix pour lui dire: «Jésus, maître, aie pitié de nous.»

 14 Les voyant, Jésus leur dit: «Allez vous montrer aux prêtres.» Or, pendant qu'ils y allaient, ils furent purifiés.

 15 L'un d'entre eux, voyant qu'il était guéri, revint en rendant gloire à Dieu à pleine voix.

 16 Il se jeta le visage contre terre aux pieds de Jésus en lui rendant grâce; or c'était un Samaritain.

 17 Alors Jésus dit: «Est-ce que tous les dix n'ont pas été purifiés? Et les neuf autres, où sont-ils?

 18 Il ne s'est trouvé parmi eux personne pour revenir rendre gloire à Dieu: il n'y a que cet étranger!»

 19 Et il lui dit: «Relève-toi, va. Ta foi t'a sauvé.»

2 Rois 5

14 Alors Naamân descendit au Jourdain et s'y plongea sept fois selon la parole de l'homme de Dieu. Sa chair devint comme la chair d'un petit garçon, il fut purifié.

 15 Il retourna avec toute sa suite vers l'homme de Dieu. Il entra, se tint devant lui et dit: «Maintenant, je sais qu'il n'y a pas de Dieu sur toute la terre si ce n'est en Israël. Accepte, je t'en prie un présent de la part de ton serviteur.»

 16 Elisée répondit: «Par la vie du SEIGNEUR que je sers, je n'accepterai rien!» Naamân le pressa d'accepter mais il refusa.

 17 Naamân dit: «Puisque tu refuses, permets que l'on donne à ton serviteur la charge de terre de deux mulets, car ton serviteur n'offrira plus d'holocauste ni de sacrifice à d'autres dieux qu'au SEIGNEUR.

Prédication :

             Commençons par une sorte de commencement, commencement selon lequel le christianisme serait, depuis toujours, une religion d’amour, voire la religion de l’amour (tant il est vrai que certains, arguant de l’unicité et surtout de l’unité de Dieu, auront ce qu’il faut d’audace pour affirmer que leur culte est celui qui doit être regardé, compris et pratiqué comme l’unique culte ; arguant aussi de cela, certains sauront faire valoir une sorte d’autorité spirituelle sur de grands événements en cours, autorité qui viendra au fondement de diverses bénédictions, par exemple sur les chiens, les armes et les chasseurs ; ce ne sont là peut-être que des enfantillages et après tout, chacun peut bien, avec la conviction qui est la sienne, prononcer des bénédictions sur toutes sortes de choses, et sur toutes sortes de gens).

            Maintenant, si je vous propose aujourd’hui cette réflexion, c’est parce qu’une question m’a été posée : où est la religion d’amour ? où est-elle, cette religion d’amour donc certains se réclament ? La guerre est le motif de cette question. L’amour que j’ai d’un jeune couple franco-russe est l’occasion de cette question. On a béni le matériel, les hommes et les actes, on a béni la guerre – disons la moitié de la guerre, l’autre moitié ayant été bénie par le camp d’en face, en utilisant des rituels à peu près semblables. Nous ignorons s’il existe une liturgie pour les agresseurs et une autre liturgie pour les agressés. Mais même s’il existe de telles liturgies spécialisées, la guerre reste la guerre. Et la question qui m’a été posée c’est : Où est la religion de l’amour ? Où est-elle ?

            Pour tâcher d’esquisser une réponse à cette question – vraiment difficile – nous allons méditer deux textes bibliques – nous venons de les lire – et énoncer, s’agissant de l’amour, que l’amour est action, et que l’amour est reconnaissance. Peut-être cela nous permettra-t-il d’esquisser une réponse à la question posée.

 

            L’histoire de Naamân le général araméen lépreux est une belle histoire. Peut-être ma favorite lorsque j’étais enfant – en compétition avec Elie et le feu du ciel. Naamân, général araméen, était couvert de gloire, d’honneur et de pustules, car il était lépreux. Sur les conseils d’une petite esclave israélite qui avait été capturée par les Araméens sortis en razzia, il comparut devant Élisée, prophète en Israël, lequel prophète lui proposa une médecine d’une simplicité déconcertante : se laver sept fois dans le Jourdain. Nous laissons de côté presque tout 2 Rois 5 – vous le découvrirez vous-même. Naamân fit tout comme il lui avait été ordonné, et fut guéri.

            Nous nous demandons toujours pour quelle raison Élisée agit-il en faveur de celui qui, de fait, était un ennemi. Pourquoi Élisée fit-il cela ? Est-ce – comme nous l’avons lu – pour montrer qu’il n’y a pas d’autre Dieu sur toute la terre si ce n’est en Israël ? Il est possible de le dire, mais c’est toujours court de considérer que Dieu – le SEIGNEUR – est en compétition avec des dieux étrangers, comme si le SEIGNEUR et les autres dieux étaient de même genre, ou de même nature, et en l’occurrence chtonien et ethnique. Ça n’est pas le cas, du moins ça n’est pas le cas pour le SEIGNEUR. Le SEIGNEUR que sert Élisée répond à ceux qui s’adressent à lui, sans considération ethnique, sans regarder au faciès, sans regarder au mérite ou à la dignité, en somme, le SEIGNEUR agit pour rien. Et nous voyons bien qu’Élisée agit, lui aussi, pour rien. « Je n’accepterai rien ! », répond-il au général guéri. Tout au plus Élisée accepte-t-il que le général emporte de la terre d’Israël, comme si le SEIGNEUR allait s’y trouver – mais la pensée qui prévaut dans ce texte est une pensée qui en a fini avec la terre sacrée, Dieu le SEIGNEUR est ailleurs, il est vivant, dématérialisé, et partout souverain. Que sont alors deux sacs de terre ? Juste un petit chapitre du catéchisme…

            Élisée agit, pour rien, et contre rien. L’amour est action, avons-nous suggéré tantôt, action gratuite, avant et après. Il agit sans conditions, et aussi sans constituer aucune dette. (Vous découvrirez en élargissant la lecture que ça n’est aussi simple pour tout le monde). Nous repérerons encore que l’amour – l’engagement – de Élisée envers l’Araméen Naamân change ponctuellement – durablement on ne sait pas – le comportement du général : celui qui commandait découvre ce que c’est qu’obéir. Il découvre aussi, et surtout, ce que c’est que la reconnaissance.

 

            Il y avait dix lépreux. Pourquoi Jésus guérit-il ces dix lépreux ? Forts de ce que nous avons dit déjà, nous répondons que Jésus les guérit pour rien. Il n’y a aucune raison pour laquelle il le fait. Il le fait parce qu’il en a la possibilité. Et cette guérison d’ailleurs l’intéresse si peu qu’il se contente de rappeler aux lépreux ce qui doit être fait – juridiquement-religieusement – lorsqu’il arrive qu’on guérisse. Les maladies de peau de cette époque étaient très craintes, et vous mettaient à l’écart. S’il advenait qu’on guérisse, il fallait aller se montrer à un prêtre spécialisé… et l’on pouvait ensuite rejoindre la communauté ordinaire. Mais ça n’est pas tellement cela qui nous intéresse. Jésus guérit parce qu’il guérit et des dix qu’il guérit un seul revient, un Samaritain, un Samaritain qui vient se prosterner, se prosterner devant un Juif, ce qui est hautement improbable dans le paysage de cette époque.

            L’acte d’Elisée le prophète avait conduit à une équation simple, un homme guéri un homme reconnaissant. L’acte de Jésus conduit à une équation un peu moins simple, dix hommes guéris, un homme reconnaissant, aussi vrai qu’un Samaritain est un homme (Juifs et Samaritains se haïssaient). Un lecteur de l’époque aurait disqualifié ce Jésus qui guérissait puis relevait son ennemi. Nous voyons plutôt un très grand engagement de Jésus envers ces lépreux, une immense reconnaissance du Samaritain envers Jésus, et un second très grand engagement de Jésus, envers le Samaritain, qui le relève et le bénit. Et les neuf autres ?

            Nous manquerions quelque chose si nous n’ajoutions pas une sorte de bénédiction à l’adresse des neuf autres malades guéris, et qu’on ne revoit plus, et qui ne se prosternent pas devant Jésus. Mais qui a dit qu’ils devraient le faire ? Et qui sait ensuite ce qu’ils font ? Personne. Et nous, lecteurs, nous nous retrouvons avec l’amour qui est un engagement, et la reconnaissance qui est manifestée, une fois sur dix, ou n’est pas, mais qui est telle que, dans l’amour, elle ne sera jamais exigée. Elle se manifeste, pourquoi pas, mais si elle entend donner en retour elle se heurtera à un refus obstiné. Et si elle ne se manifeste pas, cela n’ôte rien à l’acte dont elle fait mémoire, ou pas.

 

            Et la religion de l’amour ? Nous méditions sur une religion de l’amour qui pourrait, qui devrait, être la manifestation concrète du message porté par les Saintes Écritures – Nouveau Testament, mais pas que. Par religion, on entend souvent quelque chose de collectif, de communautaire, d’ecclésial, ce qui nous fait souvent nommer le tout, sans vraiment considérer la partie. Ainsi, on parle des Samaritains… ou des Protestants, ou des Orthodoxes… etc. et l’on colle sur la face des gens des caractères collectifs qui ne sont pas nécessairement les leurs. Et c’est peut-être cette manière de faire qui fait que nous sommes déçus.

            Au contraire, les textes que nous venons de lire sont des textes qui parlent d’individus. C’est un individu qui s’engage et qui aime. C’est à un individu qu’il s’adresse… ça se passe comme ça, d’homme à homme, d’humain à humain. Et c’est là qu’est le lieu de l’amour, le lieu de la religion de l’amour. Les religions en tant que telles, moment collectif de la foi, transportent et transmettent un patrimoine symbolique, et c’est nécessaire, pour parler de Dieu, pour prier Dieu... Mais c’est entre des personnes, toujours, que se vit l’amour sous cette double forme, l’engagement, et la reconnaissance.