samedi 24 septembre 2022

Des interdits de toutes sortes ? Non ! La liberté (Luc 16:13-31)

Luc 16

13 «Aucun domestique ne peut servir deux maîtres: ou bien il haïra l'un et aimera l'autre, ou bien il s'attachera à l'un et méprisera l'autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l'Argent.»

 

 14 Les Pharisiens, qui aimaient l'argent, écoutaient tout cela, et ils ricanaient à son sujet.

 15 Jésus leur dit: «Vous, vous montrez votre justice aux yeux des hommes, mais Dieu connaît vos cœurs: ce qui pour les hommes est supérieur est une horreur aux yeux de Dieu.

 16 «La Loi et les Prophètes c’est jusqu'à Jean; au delà, la bonne nouvelle du Royaume de Dieu est annoncée, mais tout le monde essaie d’y entrer par force.

 17 «Le ciel et la terre passeront plus facilement que ne tombera de la Loi une seule virgule.

 18 «Tout homme qui répudie sa femme et en épouse une autre est adultère; et celui qui épouse une femme répudiée par son mari est adultère.

 

 19 «Il y avait un homme riche qui s'habillait de pourpre et de linge fin et qui faisait chaque jour de brillants festins.

 20 Un pauvre du nom de Lazare gisait couvert d'ulcères au porche de sa demeure.

 21 Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche; mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses ulcères.

 22 «Or le pauvre mourut et fut emporté par les anges au côté d'Abraham; le riche mourut aussi et fut enterré.

 23 Au séjour des morts, comme il était à la torture, il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare à ses côtés.

 24 Alors il s'écria: ‹Abraham, mon père, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper le bout de son doigt dans l'eau pour me rafraîchir la langue, car je souffre le supplice dans ces flammes.›

 25 Abraham lui dit: ‹Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu ton bonheur durant ta vie, comme Lazare le malheur; et maintenant il trouve ici la consolation, et toi la souffrance.

 26 De plus, entre vous et nous, il a été disposé un grand abîme pour que ceux qui voudraient passer d'ici vers vous ne le puissent pas et que, de là non plus, on ne traverse pas vers nous.›

 27 «Le riche dit: ‹Je te prie alors, père, d'envoyer Lazare dans la maison de mon père,

 28 car j'ai cinq frères. Qu'il les avertisse pour qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture.›

 29 Abraham lui dit: ‹Ils ont Moïse et les prophètes, qu'ils les écoutent.›

 30 L'autre reprit: ‹Non, Abraham, mon père, mais si quelqu'un vient à eux de chez les morts, ils se convertiront.›

 31 Abraham lui dit: ‹S'ils n'écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu'un ressuscite des morts, ils ne seront pas convaincus.› »

Prédication

            (1) Une brebis perdue, et trouvée, complète le troupeau à 100 ; une pièce perdue et trouvée, complète la tirelire à 10 ; souvenez-vous aussi de cet intendant qui falsifia des écritures, à la baisse, encore de l’arithmétique, et toujours de l’argent. Or on nous dit qu’on ne peut servir Dieu et l’argent. Reste à savoir où est la frontière. On nous le dit autrement : les fils de ce monde, dans ces jeux de va et vient, dans ces jeux de profits, sont plus habiles que les fils de lumière. Et reste à savoir qui est qui.

 

            (2) Il faut bien qu’en toutes circonstances un texte ait un commencement et une fin. Il faut bien aussi qu’en toutes circonstances un fragment de texte ait un commencement et une fin. Il faut examiner aussi ce commencement et cette fin. Parfois, il est possible de se contenter d’un petit nombre de versets qui forment une sorte de tout cohérent, parfois des textes plus longs s’imposent – et pas seulement parce que la parabole est longue, longue comme "le mauvais riche et le pauvre Lazare". Des textes plus longs s’imposent pour espérer ne pas trop se méprendre sur la signification de tel ou tel autre fragment. Et c’est ainsi qu’aujourd’hui nous nous retrouvons avec quelque chose qui est assez long – il faut bien le dire – et qui vient en plus s’arrimer aux paraboles que nous avons commentées ces derniers dimanches.

 

            (3) Il aurait été tentant de ne choisir comme texte que "la parabole du mauvais riche et du pauvre Lazare", et de faire de ce texte une parabole sur l’obligation de secourir les plus pauvres des êtres humains, avec pour les plus riches une grande et infernale menace, les plus pauvres étant quant à eux assurés d’emblée du repos éternel. Mais qui donc parmi nous s’empiffre nuit et jour ? Et où est aussi est le plus pauvre des plus pauvres ? Et puis, s’agissant de quelqu’un qui fut riche mais qui connut un grave revers de fortune, quel sera son sort ? Et le sort de monsieur et madame Toulemonde, quel sera-t-il ? Moïse sur ce coup est muet.

            Nous pouvons – je le pense – laisser tomber ces méditations arithmétiques, et dire dans la foi que Dieu sait ce qu’il fait. Concentrons-nous plutôt sur Moïse et les Prophètes. Le riche a cinq frères qui mènent la même vie que lui. Le mort aimerait bien les avertir de ce qui les attend… réponse assez cinglante : « Ils ont Moïse et les prophètes, qu’ils les écoutent ! » Et ne cherchons pas midi à quatorze heures. Cela signifie pour ces hommes, prendre un peu au moins la mesure de ce qu’ils font, prendre un peu au moins la mesure de l’état du monde, puis consacrer un peu au moins de leurs richesses au soulagement de la misère, pas même une misère lointaine, mais seulement une misère de proximité. Et voici Moïse et les Prophètes, dans leur plus simple expression, la plus simple interpellation, la plus simple réponse.

 

            (4) Mais le mort sent qu’écouter Moïse et les Prophètes, ça ne va pas marcher. Il propose donc : si Lazare revenait d’entre les morts, ses cinq frères se convertiraient, mais Abraham de répond : « S'ils n'écoutent pas Moïse, ni les prophètes, même si quelqu'un ressuscitait des morts, ils ne seraient pas convaincus. » Écouter Moïse et les prophètes, nous l’avons dit, c’est prendre de la distance rapport à soi-même et se faire un peu concrètement proche de ceux qui sont dans la misère. Et c’est aussi – ainsi – se préparer à assister à de grandes choses ; des vies sont transformées. Voir des vies être transformées c’est, ensuite, se préparer à l’inouï, à le voir et à l’accueillir. Peut-être sera-t-on soi-même transformé, qui sait ?

            Cet inouï, appelé résurrection dans la parabole, est bien la résurrection de Jésus Christ – nous sommes bien dans l’évangile de Luc, on s’adresse ici à des Juifs, mais aussi à des païens, à des gens déjà un peu familiers avec le Judaïsme et surtout avec l’Évangile. Entendons donc : « S’ils n’écoutent pas Moïse ni les prophètes, ni l’évangile de Luc, même si Jésus Christ ressuscitait des morts, ils ne seraient pas convaincus. »

 

            (5) Maintenant, essayons de comprendre "Moïse et les Prophètes", car c’est l’expression qui encadre la parabole. Et nous reprenons tout en haut, nous revenons, une fois encore, à la pièce, la brebis, le gérant habile, et donc à ces affaires arithmétiques, et à ces personnes qualifiées par le résultat comptable de leur action. Toutes ces choses que Jésus rassemble sous l’expression servir l’argent.

            Et se pourrait-il qu’il en soit de même avec la Loi (Moïse) ? Son observance pourrait-elle être ramenée à des opérations arithmétiques, et le salut alors être attribué à qui aurait accumulé visiblement le plus de mérites, de bon-points et d’images ? Non ?

            Le reproche que Jésus fait aux Pharisiens, c’est d’aimer l’argent, et d’aimer certainement aussi les moyens d’en gagner. Et si un moyen de gagner de l’argent ne fonctionne plus, ils en trouveront un autre. Ce qui s’énonce ainsi : « Tout homme qui renvoie sa femme et en prend une autre est adultère ; et celui qui prend une femme renvoyée est adultère. » Quel rapport ? Dans certaines traditions juives, on utilise quantités de comparaisons pour désigner la Loi – la Torah – et parmi ces comparaisons, il y a une femme, pas n’importe laquelle, la femme aimée, l’heureuse fiancée au jour de ses noces. C’est si vrai qu’il y a une fête, qui s’appelle Simhat Torah, la joie de la Torah, pendant laquelle, entre autres réjouissances et chants très joyeux, les gens dansent en portant les rouleaux serrés contre eux, comme un partenaire de danse. Ainsi, lorsque Jésus parle d’une femme renvoyée, et d’une autre femme qu’on prend à la place de la première, il parle de gens qui changent de loi, ou de morale comme on change de chemise. Et dans ce cadre, si l’objectif poursuivi est le salut, toutes les lois se valent et l’on ira au moins disant. Quel est le moins disant ?

           

            (6) Il y avait d’abord la Loi et les Prophètes (dont le Temple), une affaire considérable pour toute une vie d’homme. Cette Loi, Jean le Baptiste l’avait simplifiée, ramenant le tout à une conversion personnelle, un baptême et à une éthique de vie toute simple et sans violence. Puis vint la Bonne Nouvelle du Règne de Dieu, Jésus de Nazareth, plus simple encore, plus dépouillée que Jean le Baptise, règne de Dieu tout en gratuité, tout de grâce, interpellant l’être humain directement dans son cœur, et le laissant libre de sa réponse, et aussi de la suite de sa vie.

            Mais – il y a un mais – un mais important : l’immense libération dont Jésus fait part au nom de Dieu semble être diversement mise en œuvre par les humains. Libérés de toute contrainte, les uns vont se mettre à s’empiffrer, et d’autres vont se mettre à inventer d’autres ascèses, d’autres contraintes, au nom de Dieu, et au titre desquelles ils se diront sûrs du salut. Alors qu’ils ont, depuis toujours, de précieuses indications, Moïse et les Prophètes, mais aussi Jean le Baptiste qu’ils peuvent choisir librement d’observer, ou pas, librement aussi. Mais veulent-ils de cette liberté ?

 

            (7) Ce n’est pas aujourd’hui que nous allons répondre. Peut-être ne devons-nous pas répondre, même pas essayer de répondre. Le choix de cette liberté ne peut être qu’un choix personnel. Et sa mise en œuvre ne peut être qu’une mise en œuvre personnelle. Quant à cette mise en œuvre, nous pouvons en dire quelque chose, elle est essentiellement orientée vers le service du prochain, un prochain dont elle souhaite l’élargissement, et la liberté. Amen