Luc 14
25 De grandes foules faisaient route avec Jésus; il
se retourna et leur dit:
26 « Celui qui vient auprès de moi sans
mépriser son propre père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses
sœurs, et même sa propre vie, ne peut pas être mon disciple.
27 « Celui qui ne porte pas sa croix, mais
vient derrière moi, ne peut pas être mon disciple..
28 « En effet, lequel d'entre vous, quand il
veut bâtir une tour, ne commence par s'asseoir pour calculer la dépense et
juger s'il a de quoi aller jusqu'au bout ?
29 Autrement, s'il pose les fondations sans pouvoir
terminer, tous ceux qui le verront se mettront à se moquer de lui
30 et diront : ‹Voilà un homme qui a commencé à
bâtir et qui n'a pas pu terminer !›
31 « Ou quel roi, quand il part faire la guerre
à un autre roi, ne commence par s'asseoir pour considérer s'il est capable,
avec dix mille hommes, d'affronter celui qui marche contre lui avec vingt mille ?
32 Sinon, pendant que l'autre est encore loin, il
envoie une ambassade et demande à faire la paix.
33 « De la même façon, quiconque parmi vous ne
renonce pas à tout ce qui est sien ne peut être mon disciple.
Prédication :
Quelqu’un après ce texte osera-t-il dire, osera-t-il même
penser, qu’il est disciple de Jésus ?
A ce moment là de l’évangile, il y avait de grandes
foules faisaient route avec Jésus. Non pas une foule toujours la même et
composée toujours des mêmes gens, mais des foules distinctes les unes des
autres, et en constant renouvellement. Jésus se déplaçait, quelque part une
foule se formait, puis, plus tard, un peu plus loin, lorsque Jésus s’éloigne du
lieu où vivent ces gens, cette foule se disperse, puis une autre foule se
forme, puis se disperse… La plupart des gens, même pour une bonne nouvelle, ne
s’éloignent guère de chez eux, quelques heures de marches tout au plus.
Une foule se forme, parce que Jésus bénéficie d’une
renommée considérable. Parce que l’enseignement de Jésus est un bon
enseignement, qui accomplit ce qu’il dit, et parfois bien au-delà de ce qu’il
dit ; il accomplit parfois des miracles ; il nourrit parfois la foule… Alors les gens
savent que, lorsqu’il passera près de chez eux, ce sera l’occasion d’un moment
d’émerveillement et de bénédiction.
Ainsi présenté, le ministère de Jésus apparaît comme une
tournée – comme on dit aujourd’hui – dont chaque date est un succès. Après le
show – pardonnez l’utilisation de ce vocabulaire – les gens rentrent chez eux,
contents. Pour les tournées de grandes vedettes, certains fans assistent à tous
les concerts... mais ils sont rares.
Nous n’allons condamner aucun de ceux qui sont venus puis
repartis comme ils étaient venus. Faire, au temps de Jésus, un petit bout de
chemin avec lui c’est tout comme
aujourd’hui, fréquenter l’Eglise, venir au Temple, dans cette perspective, cela
ne peut être reproché à personne. S’agissant du témoignage de la foi, nous ne
savons à peu près rien de ce que les gens en reçoivent, en retiennent, et en
propagent.
Cependant, Jésus étant qui il est, même si les gens
venaient juste pour passer un heureux moment, ils étaient toujours invités à un
certain approfondissement. Ainsi, nous, qui méditons maintenant ces versets,
nous sommes invités à aller un peu plus loin, tout comme Jésus invita tout son
public, ce jour là, à aller, peut-être, un peu plus loin. Essayons.
Plein de gens sont là. Pour quelles raisons chacun est-il
venu ? Jésus opère une distinction apparemment radicale : il y a les
uns, que nous pourrons appeler spectateurs, sans les mépriser aucunement, et
les autres, qu’il appelle disciples. Jésus donne successivement trois
définitions (négative) du disciple.
1. (v.26) « Celui qui vient auprès de moi sans
mépriser son propre père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses
sœurs, et même sa propre vie, ne peut pas être mon disciple. »
2. (v.27) « Celui qui ne porte pas sa croix et
vient derrière moi ne peut pas être mon disciple. »
3. (v.33) Celui qui, parmi vous, ne renonce pas à tout ce
qui est sien, ne peut pas être mon disciple. »
C’est par la seconde définition que nous poursuivons
maintenant. « Celui qui ne porte pas sa croix mais vient derrière moi ne
peut pas être mon disciple. » Rien ne distingue apparemment le disciple
des autres gens. Il s’approche de Jésus tout comme les autres s’en approchent.
Mais le disciple vient en portant « sa croix » ; non pas la croix du Christ, mais sa propre
croix, la croix de l’être humain unique et particulier qu’est ce disciple
lorsqu’il s’approche de Jésus. Pour revenir au vocabulaire d’aujourd’hui, à une
fête, on y va pour s’éclater, ce qui suppose qu’on laisse derrière soi sa
raison, ses soucis, et même la politesse élémentaire… Le disciple s’approche de
Jésus en portant sa croix personnelle. Qu’est-ce que cette croix
personnelle ? Dans le texte, nous avons deux petites paraboles.
Première parabole : construire une tour. La croix
personnelle du disciple, c’est construire et, quels que soient les calculs faits,
c’est ne pas savoir si l’édification de la tour parviendra jamais à son terme.
Construire, en effet, mais pas une tour de pierre dans un jardin. Construire,
pierre après pierre, une vie qui puisse être solide, inébranlable. Mais sait-on
jamais ce que la vie nous réserve ? Sait-on jamais si l’on tiendra ?
On se moque toujours un peu de ces croyants, de ces âmes pieuses, que la vie
éprouve tout autant qu’elle éprouve des voyous. La croix du croyant la
voici : Où est-il, ton Dieu que tu sers, s’entend-on dire ironiquement…
Deuxième parabole : préserver l’existence de ceux
qui comptent sur vous. Il y a des gens qui comptent sur vous, qui espèrent la
protection de la tour que vous avez construite. Dans la parabole, négocier une
paix lorsqu’on est en situation d’infériorité, c’est sage. Mais cette paix
alors dépend surtout de la grandeur d’âme, et de la bonté de cet autre roi, du
plus puissant que vous, voire du Tout Puissant.
Si donc on demande
maintenant quelle est la croix personnelle du disciple dont Jésus parle, il
s’agit ici d’un engagement personnel profond, pour construire une vie
personnelle qui vaille, qui soit peut-être capable de préserver l’existence de
plus vulnérable que soi, le tout en sachant que le succès de cette entreprise
est parfois tout à fait au-delà de votre propre capacité et de vos propres
forces… Telle est la croix de chaque disciple : une croix d’engagement
total, de solidarité personnelle et de confiance éperdue.
Seconde définition donc : « Celui qui ne
porte pas sa croix mais vient derrière moi ne peut pas être mon
disciple. »
Avec cette seconde définition, nous sommes aux antipodes
de la première définition que Jésus énonce. « Celui qui vient auprès de
moi sans mépriser son propre père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères,
ses sœurs, et même sa propre vie, ne peut pas être mon disciple. » Cette
définition est pourtant bien là dans la bouche de Jésus, radicale, et même
destructrice. Elle exprime un isolement total.
Les gourous ne se privent jamais de mettre en avant cette
définition du disciple ; mais les gourons méprisent en fait profondément
leurs adeptes, en réalité, ils les isolent, les détruisent, et ils les
dévorent... Mais pour autant, l’infini souci aimant que nous avons de ceux que
la vie nous a confiés exige une certaine et parfois difficile prise de
distance, un certain recul qui est le signe de la confiance qu’on a en eux, en
la vie, et en Dieu. On ne peut jamais remettre à Dieu les gens qu’on serre de
trop près…
Et puis la vie vous met parfois dans des situations où
rien de ce que vous avez appris n’est utile. A ceux qui veulent être ses
disciples, Jésus ne demande jamais de laisser de côté leur intelligence et
leurs forces. Il leur dit simplement que, parfois, on n’a rien, plus rien à
opposer à la violence, à la vacherie, de la vie. C’est la troisième définition
qu’il donne : « Celui qui, parmi vous, ne renonce pas à tout ce qui
est sien ne peut pas être mon disciple. » Il ne reste parfois que sa foi
en Dieu, sa foi toute seule, au disciple de Jésus.
Qu’est-ce dire à pour finir ? Deux choses. (1) Nul
ne sait, dans une foule, petite ou grande qui s’approche de Jésus, qui pénètre
dans une église ou dans un temple, qui est là pour juste la curiosité, pour la
liturgie, ou qui vient avec sa croix ; nul ne sait qui n’est pas disciple,
et qui est disciple. Notre Dieu, lui, le sait. (2) Ceux qui souhaitent être
disciple de Jésus ont chacun ses propres forces à mettre en œuvre pour que cela
leur advienne, mais dans une commune disposition d’esprit que résume cette
simple prière : « Mon Dieu, je veux être disciple de Jésus et me
voici tout entier, mais, seul, mon Dieu, je ne puis ; puisses-tu, Toi, me
venir en aide. Amen. »